Bénin – Réalisation du Ravip : la société Safran sur la sellette

Longtemps annoncée à grand renfort médiatique, l’opération de recensement des populations pour la réalisation du Ravip est entrée dans sa phase active depuis ce 1ernovembre 2017. Comme pour toute initiative, les premiers jours connaissent des couacs et semblent confirmer les craintes de certains politiques et du monde syndical qui y voient une opération à polémique et peu rassurante.

« Les députés ont voté la loi 2017-08 du 19 juin 2017  sur le Ravip parce qu’ils sont convaincus de la nécessité de l’identification de la personne de chaque béninois et de chaque béninoise ainsi que des personnes vivant sur notre territoire ».  Ainsi s’est exprimé le président de l’Assemblée nationale Adrien Houngbédji lors de l’installation des membres de la commission du Recensement administratif initial à vocation d’identification de la population (Ravip) ce 29 septembre 2017.

Dans un discours rempli d’assurance et d’engagement, la deuxième personnalité de l’Etat se réjouit de cette avancée technologique qui permettra à la nation de se doter d’un fichier numérique et d’un numéro d’identifiant à tout faire. Animé également des mêmes sentiments, le Chef de l’Etat béninois Patrice Talon a déclaré  « qu’à la fin du processus chacun de vous, moi, le président de l’assemblée, nous aurons un identifiant unique et une carte d’identité électronique  ».

Dans une allocution très émotionnelle ce 29 septembre 2017, Patrice Talon a exhorté les membres de la commission à veiller « au déroulement normal et transparent de cet événement important » pour la nation béninoise. Et pour conduire à bon port les opérations de ce recensement, la commission composée de dix-huit membres dont neuf (9) du pouvoir exécutif (du gouvernement ndlr) et neuf (9) du pouvoir législatif (Assemblée nationale ndlr).

Du Ravip à la carte à multiples fonctions

La loi 2017-08 du 19 juin 2017 portant identification des personnes physiques en République du Bénin, comme l’ont spécifié les parlementaires, servira de boussole à l’Agence nationale de traitement (Ant) dans le cadre de  l’opération de Recensement administratif initial à vocation d’identification de la Population (Ravip) qui a débuté ce mercredi 1er novembre 2017.

Sans nul doute, le gouvernement du Président Patrice Talon a désormais le mérite d’avoir initié le Ravip. Comme l’a stipulé la loi qui le consacre, au terme du recensement, tous les Béninois disposeront de cartes d’identité électroniques à multiples fonctions. Ce sera donc une première dans l’histoire du Bénin. « Mieux, la mise en œuvre de cette carte d’identité biométrique constitue une révolution technologique, dans la mesure où la carte d’identité actuelle n’offre aucune garantie de sécurité pour l’identification des personnes en République du Bénin », a vivement soutenu le ministre de la justice, Joseph Djogbénou, président de la commission du Ravip.

Le comité de pilotage du Ravip a toujours indiqué que la carte d’identité électronique dont disposera chaque citoyen, sera dotée d’un numéro d’Identification fiscale unique (Ifu). Ledit numéro, au terme de la loi, sera, pour toujours, un numéro personnel, individuel, incessible et permanent (art 4).

L’opération qui a connu un lancement officiel ce mercredi 1ernovembre 2017 à Cotonou durera six (6) mois afin de prendre en compte tous les citoyens béninois, quelque soit leur âge.

Selon le régisseur général de l’Agence nationale de traitement, (Ant), bras technique de cette opération, Jean-Claude Ahouanvoébla, la loi sur le Ravip a deux innovations majeures : c’est d’abord une loi d’application intégrale pour les finalités de développement. C’est dire qu’avec le numéro Ifu, aucun citoyen ne pourra plus s’embarrasser d’avoir plusieurs numéros à sa portée qu’il soit sur le territoire national ou vivant à l’extérieur.

Il est à rappeler que pour planifier le développement équilibré du territoire, l’Etat béninois s’est rendu compte que de nombreux citoyens qui se connaissent ont des difficultés à prouver leurs identités.

Ensuite, le Ravip permettra de réaliser le Registre national de la population. La réalisation du Ravip est donc un outil de planification pour l’avenir du Bénin. Tous les Béninois âgés de 18 ans et même les mineurs qui en font la demande auront au terme du recensement, une carte d’identité électronique, imposée par la loi. Il est prévu, suivant toujours ses déclarations, à la fin de l’opération, un outil d’automatisation de l’Etat-civil qui sera mis à la disposition des communes pour continuer la mise à jour des bases de données.

Or, l’exigence de plus en plus accrue de la preuve de l’identité pour bénéficier de certains droits tels les droits sociaux, économiques, politiques, se fait sentir à tous les niveaux. De même, les tracasseries administratives auxquelles sont soumises les populations, à la quête de la carte d’identité et du passeport deviennent insupportables.

Le Ravip est donc la solution, pour doter chaque béninois d’une carte à multiple fonctions et qui servira de base, à tous les actes administratifs, à effectuer, à compter de sa date, d’entrer, en vigueur.

Et pour se doter de ce joyau, l’Etat béninois a fait appel à une société française qui visiblement, n’a pas une bonne renommée sur le continent africain dans de telles opérations.

Safran, bon chiffre d’affaire mais peu crédible

Safran est une société française et un groupe international de haute technologie, équipementier de premier rang dans les domaines de l’Aéronautique, de l’Espace et de la Défense. Elle est implantée sur tous les continents et emploie près de  cinquante-huit (58) mille collaborateurs pour un chiffre d’affaires de  près de seize (16) milliards d’euros soit près de dix mille quatre cent (10 400) milliards de francs CFA en 2016. Safran occupe, seul ou en partenariat, des positions de premier plan mondial ou européen sur ses marchés. Pour répondre à l’évolution des marchés, le groupe s’est engagé dans des programmes de recherche et développement qui ont représenté en 2016 des dépenses de 1,7 milliard d’euros. Safran est une société cotée sur Euronext Paris et fait partie des indices CAC 40 et Euro Stoxx 50.

Cette vue financière de cette société devrait rassurer les Béninois qui ont vu leur recensement confié à une telle société, disposant d’un tel chiffre d’affaire et qui est si mondialement reconnue. La biométrie étant désormais en pleine croissance, le Bénin ne pouvait pas s’empêcher d’entrer dans cet univers électronique qui ouvre d’énormes avantages. Et suivant les informations officielles fournies par le groupe Safran, Morpho a été vendue cette année 2017 à un fonds d’investissement américain, Advent International, qui l’a fusionnée avec une autre firme française, Oberthur, pour former OT-Morpho.

Le marché de la biométrie électorale est en pleine croissance, notamment en Afrique, où l’utilisation de ces systèmes est encouragée et d’ailleurs financée par les institutions internationales et l’aide des partenaires techniques et financiers (PTF). Deux firmes françaises, OT-Morpho et Gemalto, figurent parmi les leaders de ce secteur d’activité et le Bénin, selon certains défenseurs de cette opération, a mieux fait de solliciter les services de cet opérateur.

Mais paradoxalement, Gemalto, une des filiales de ce groupe,  fait aujourd’hui l’objet d’une plainte déposée par plusieurs associations pour corruption active ou passive en lien avec son contrat de biométrie électorale au Gabon, au Kénya, en Côte d’ivoire et partiellement au Ghana.

Les plaintes fusent alors de toute part surtout dans les pays africains où ce groupe, à travers ses filiales, a conduit les opérations de recensements biométriques et l’établissement de la liste électorale ou d’un fichier national.

Au Kenya, à titre illustratif,  Raila Odinga, opposant N°1 au régime du Président sortant Uhuru Kenyatta, a  appelé le gouvernement français à ouvrir en urgence une enquête sur la société Safran qu’il accuse d’avoir « subverti la volonté du peuple kényan ». Ce candidat qui s’est d’ailleurs retiré de la course présidentielle afin de ne pas cautionner ce qu’il qualifie de mascarade électorale, a ouvertement et officiellement  accusé Safran d’avoir fourni à la commission électorale kényane des services technologiques non conformes à la loi kényane.

Dans sa plainte, Raila Odinga l’accuse d’avoir trempé dans ce qu’il qualifie de « crime haineux », c’est-à-dire le fiasco électoral au Kenya. Loin, cet opposant bien averti presse la France de faire la lumière sur cette affaire. Pour lui, « Nous disons que le gouvernement français devrait enquêter sur Safran qui a fourni le système de gestion électoral intégré qui a échoué ».

Parallèlement, en France le 25 octobre dernier, la même société Safran a été condamnée. Safran Aircraft Engines a donc pris connaissance de la sentence arbitrale notifiée le 25 octobre 2017 relative au litige de nature commerciale, décrit dans la note sur les litiges annexe aux comptes consolidés intégrés au document de référence de Safran (page 148), opposant la République de Chine à un groupe de trois industriels français, parmi lesquels figure Safran Aircraft Engines.

Cette sentence, qui intervient au titre d’un contrat conclu en 1992, donne lieu à une condamnation financière des industriels dont Safran et le montant total de la sentence s’élève à 227 millions d’euros intérêts compris avec une part de Safran Aircraft Engines s’élevant à 29 millions d’euros frais inclus.

Au vu donc ces condamnations et vu également les dénonciations de ces pays africains quant à la mauvaise politique de la société  à véritablement opérer en respectant la volonté des peuples africains, le fonds spéculatif TCI a annoncé mercredi qu’il demanderait  aux actionnaires de Safran de voter le renvoi de Ross McInnes  de la présidence du groupe pour divers raisons.

 Déjà des défaillances de SAFRAN pour le Ravip

« Où devrais-je me rendre pour me faire enrôler ? » « Quelles sont les pièces dont j’ai besoin pour cette opération d’enregistrement du RAVIP ? » Telles sont les questions que se posent des millions de Béninois depuis ce mercredi 1er novembre 2017 après que le gouvernement ait officiellement lancé le recensement pour le RAVIP. Depuis ce lancement officiel donc, difficile de se repérer quant aux centres d’enrôlement qui pourtant, suivant les dernières communications, seraient disponibles dans chaque localité et que chaque zone  dispose d’un point précis d’enrôlement qui pourrait permettre à chaque citoyen du pays d’accomplir ce devoir légalement reconnu.

Sur le terrain, des centres de collectes de données sont toujours vides puisqu’aucune équipe ne s’est pointée pour cette mission. Du coup, des populations, dans un désespoir presque, s’interrogent sur le sort à eux réservé. « Le gouvernement avait énormément communiqué nous invitant à nous présenter dès les premiers jours pour se faire enrôler. Nous voici ici depuis le matin sans une équipe pouvant s’occuper de notre cas », a désespérément lancé Angèle,  commerçante rencontrée ce jeudi 2 novembre 2017 devant la maison des jeunes de Sèmè-Podji où devrait normalement se dérouler cette opération.

Hormis le mystère qui entoure les centres ou l’impossibilité pour les citoyens de repérer leurs lieux de collectes de données, il y a la sécurisation de ces  données enregistrées par les agents recenseurs. « Vu les mérites de la société Safran vantés dans la presse, on avait pensé qu’une fois les données enregistrées dans un centre de collecte, cela empêchera la même personne de se faire enregistrer ailleurs. Mais hélas, il semble bien que tu peux le faire autant que tu voudras », a ironisé Anatole, conducteur de Taxi moto qui, avec sa bande, a fait l’expérience dans la journée de ce mercredi 1er novembre 2017. Avec ce témoignage, il est sans nul doute qu’il s’agit d’une défaillance technologique qui pourrait être préjudiciable au fichier administratif que le pays envisage de détenir à l’issu de cette opération. Si rien n’est donc fait pour corriger cet état de chose, de tels faits donneront raison à certains acteurs politiques qui s’opposent à cette opération.

Des Béninois dubitatifs

 Le choix porté sur la société française Safran n’est pas du goût de nombre de Béninois qui y voient un probable échec de l’opération qui pourrait, dans le pire des cas, déboucher sur des conflits comme c’est le cas dans d’autres pays du continent.

Sur la finalité du document qui sera issu de cette opération de recensement des populations béninoises, des Béninois ne semblent pas accorder assez de crédits aux discours qu’ils qualifient de mielleux des dirigeants actuels. « Pour la confection de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi), les dirigeants d’alors nous avaient miroité des avantages et avaient vanté les mérites d’une carte capable de remplacer la carte nationale d’identité. Mais à l’arrivée, les milliards du contribuable béninois n’ont servi qu’à un quart de papier A4 sur lequel étaient inscrites les données personnelles », s’offusquent aujourd’hui Antoinette, comptable dans une structure étatique dans la ville de Cotonou.

En plus de ces discours qui pourraient ne pas se traduire en des actes, il y a Safran, cette société technologique qui devrait s’occuper de l’opération. Lors de la session ordinaire de l’assemblée nationale en octobre 2017, le député Guy Mitokpè, élu sur la liste de l’Union fait la nation (Un) mais originellement du parti Restaurer l’espoir (RE), a fait des déclarations troublantes devant ces collègues députés.

« Et ce fameux Safran connu de tous, impliqué dans ce qui se passe au Kenya, condamné au Nigéria, condamné dans un certain nombre de pays, acceptez que nos inquiétudes soient des inquiétudes justifiées, parce que nous n’avons pas envie de traverser ce que traverse le Kenya actuellement. Tout ce qui se passe à Nairobi, à Mombassa et ailleurs au Kenya, Safran ne nous dira pas qu’il n’a pas la main dans tout ça. Safran a une part de responsabilité dans ce qui se passe au Kenya, les verdicts sont là. Que Safran vienne démentir ce que nous sommes en train de dire », annonce avec grand amertume l’honorable Guy Dossou Mitokpè devant ses collègues parlementaires hébétés par ces troublantes révélations.

Toujours dans la même récrimination, Candide Azanaï, président du parti Restaurer l’espoir (RE) et ancien ministre délégué chargé de la défense national démissionnaire enfonce le clou et dévoile que le contrat avec Safran a été même signé avant même que la loi sur cette opération ne soit envoyée à l’Assemblée nationale.

« Il ne paraît pas sain que Morpho Dys qui traque déjà les empreintes à l’aéroport et que ce soit Safran orienté par gré à gré dans le Ravip en fasse autant dans le cadre du recensement administratif initial orienté vers la mise entre parenthèses ou la mise sous éteignoir de la Lépi pour laquelle le contribuable béninois avait dépensé si tant », s’est indigné Candide Azanaï au détour d’un entretien exclusif accordé à nos confrères de « La nouvelle tribune ».

Ce vendredi 3 Novembre  2017, les membres du Front pour le sursaut patriotique (FSP), un conglomérat de partis politiques et d’acteurs de la société civile, est monté au créneau pour dénoncer et fustiger le choix de cet opérateur technologique qui n’a malheureusement pas une bonne renommée en la matière sur le continent africain.

Mais ces inquiétudes n’émeuvent nullement les chantres de la rupture et du nouveau qui tentent, tant bien que mal, de rassurer les Béninois. Il faut quand même signaler que ces observations et dénonciations n’empêchent également pas les mêmes acteurs à inviter leurs militants et sympathisants à se faire enrôler pour la réussite de cette opération.

« Mais espérant que le gouvernement et la société Safran vont, ensemble améliorer la qualité de la prestation pour le bonheur des Béninois, nous devons incessamment continuer la veille citoyenne », s’est engagé le FSP lors de sa sortie.

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