« Avec un tel abus, que restera-t-il de l’article 31 de la Constitution ?»

L’autorité et la viabilité d’une décision de justice sont tributaires de la motivation qui en constitue le soubassement. La longévité de la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 n’était pas assurée. En effet, cette décision recèle beaucoup d’inexactitudes qui compromettaient sérieusement sa rigidité scientifique et son pronostic vital. C’est la raison pour laquelle la Cour, sa génitrice, a préféré l’euthanasier. Les commentaires biaisés, intéressés et non aseptisés, généreusement étalés à l’occasion du requiem de cette décision, ne peuvent résister à la moindre analyse objective et sérieuse. En réalité, six germes condamnaient la décision DCC 11-065 du 30 septembre 2011 à un inévitable revirement.

Premier germe: Le droit de grève, bien que fondamental et consacré par l’article 31 de la constitution, n’est pas absolu. Un tel principe n’est pas exact d’autant plus que le droit de grève, fruit de longues luttes qui remontent à l’arrêt Dehaene rendu par le Conseil d’État le 07 juillet 1950, est une liberté fondamentale. Il est absolu. Toutefois, le législateur a le pouvoir d’en définir les conditions d’exercice.

Deuxième germe: Le droit de grève est un principe à valeur constitutionnelle. Ce principe n’est pas également juste. Le droit de grève est un principe constitutionnel puisqu’il a été affirmé clairement par l’article 31 de la constitution qui prévoit que «L’Etat reconnait et garantit le droit de grève.» Le constituant béninois, contrairement au constituant français, a inscrit le droit de grève dans la constitution. C’est en France que le droit de grève a été reconnu par le juge constitutionnel, suivant Décision n°79-105 DC du 25 juillet 1979 du Conseil constitutionnel. C’est pourquoi en France, le droit de grève est un principe à valeur constitutionnel.

Par ailleurs, au Bénin, le droit de grève a une origine historique et remplit une fonction sociale et sociologique. En effet, en tant que droit d’ordre économique et social, la grève a pour vocation à corriger non seulement les inégalités sociales, mais vise à surtout protéger et conforter les acquis démocratiques dont elle a largement contribué à la conquête.

Troisième germe: Le législateur peut concilier le droit de grève avec le principe de continuité du service public.
La continuité du service public est un principe à valeur constitutionnelle. Le droit de grève est un principe constitutionnel. En cas de conflit entre un principe constitutionnel et un principe à valeur constitutionnelle, l’arbitrage se fait au profit du principe constitutionnel, au nom du respect de la hiérarchie des normes.

Quatrième germe : Cette conciliation peut aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève par le législateur et le gouvernement aux personnels ayant une fonction d’autorité ou ceux ayant des responsabilités importantes dans des services et entreprises chargés de missions de service public.
La première victime de toute grève est la continuité du service public. La grève et la continuité du service public sont antinomiques.
a) On ne peut donc pas euthanasier le droit de grève sur l’autel de la continuité du service public.
b) La Cour, dont la mission est d’assurer la primauté de la constitution sur toutes les normes juridiques et à l’égard de tous les pouvoirs ne peut, sans aucune limitation, raisonnablement, confier le destin d’un droit fondamental aux pouvoirs législatif et réglementaire qui, sous la Révolution, ont été les tombeaux des droits humains.

Cinquième germe : L’Organisation Internationale du Travail reconnaît la légitimité de l’interdiction du droit de grève moyennant des garanties compensatoires aux agents des services essentiels.
Cette affirmation ne peut résister à l’analyse.

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) n’a aucune convention sur le droit de grève. La Convention N°87 de cette institution relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, ratifiée par le Bénin, n’aborde pas la question du droit de grève. Toutefois, l’OIT dispose d’une commission d’experts et d’un Comité sur la liberté syndicale qui donnent souvent leur avis sur le droit de grève. Le texte de l’OIT invoqué par la Cour est un avis de la commission d’experts et du Comité sur la liberté syndicale. Or une juridiction aussi sérieuse et respectée comme la Cour constitutionnelle ne peut se fonder sur des avis d’experts pour prendre ses décisions.

Sixième germe : L’article 9 de la loi sous examen ne viole ni la Constitution, ni les principes fondamentaux de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
La Cour n’a pas vocation à déclarer une loi conforme à une convention internationale, en l’espèce, les principes fondamentaux de l’OIT.

Au total, en droit, tout juge, par des revirements, peut affirmer et affiner sa position. L’erreur est humaine, y persister est diabolique. Les juges de la Cour constitutionnelle ayant un nom et une renommée qui, pour certains, dépassent nos frontières, ils ne peuvent pas, sans écorner l’image de la haute juridiction et leur réputation laisser dans les annales de la Cour et dans le droit positif une décision dont le pronostic vital est techniquement engagé.

Loin des dénigrements et du lynchage médiatique, j’invite ceux qui, pour des raisons inavouées, commentent la décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 à faire la glose de l’article 31 de la constitution et à s’intéresser à la motivation de ladite décision plutôt que de tirer à boulets rouges sur les sept sages. C’est au pied des commentaires d’arrêts que l’on reconnait le juriste confirmé et non dans les diatribes cyniques. Le droit est une science qui a horreur de la divination, des incantations et des élucubrations intellectuelles.

Plutôt que de brutaliser, au moyen de titres siamois, la Cour et ses juges, les commentateurs de circonstance gagnerait à lire la décision querellée où la Haute juridiction affirme que «La modification d’une disposition déjà déclarée conforme à la Constitution ne peut se faire à l’occasion d’une mise en conformité sans violer l’autorité de la chose jugée attachée à la décision ayant ordonné la mise en conformité.»

Rien que sur ce point, les députés ont méconnu la constitution et leur vote encourt censure de ce chef. En fait, la décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 engage la responsabilité du parlement et soulève l’équation de la maîtrise de la légistique par nos députés. En fait, la Cour a sanctionné un abus du pouvoir de légiférer.

Avec un tel abus, utilisé en guise d’instrument de chantage, que restera-t-il de l’article 31 de la Constitution si le juge constitutionnel, dont la mission est d’assurer la primauté de la norme constitutionnelle, n’avait pas fermé la brèche qu’elle a ouverte le 30 septembre 2011 ?

Quelle sécurité juridique y-a-t-il avec une Assemblée nationale qui délibère subrepticement et dissimile des dispositions liberticides dans les statuts professionnels ?
Plutôt que de livrer les sept (07) sages à la vindicte populaire, il importe que chaque Béninois s’interroge sur la production de la 7ème législature. Il en va du confort et de la consolidation de notre démocratie.

Michel ADJAKA

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