Bénin : les hommages de Constantin Amoussou à Laurent Mètongnon

Puis à cinq (05) heures du matin, chaque jour, de décembre 1989 à janvier 1990, peu avant que le régime militaire ne s’avise d’ouvrir la Conférence nationale, Metongnon et ses co-détenus au Petit-Palais, à l’endroit-même qui abriterait un mois plus tard les plus historiques assises politiques de notre pays, étaient extraits de leurs cellules et déposés sur le sable marin.

Une horde d’agents des Forces de sécurité publique, constituée de militaires, de gendarmes et de policiers leur arrosaient le corps d’eau, afin d’humidifier convenablement la surface à laminer; afin que les lanières ne manquassent jamais de chair à avaler; et qu’en pleuvant de toutes parts sur les corps étalés, gigotant tel des carpes au bout d’une ligne, elles les balafrassent dans tous les sens, transformant leurs torses ruisselant de sang et de sueur mêlés au sable marin, en un triste décor de reliefs accidentés que de violents coups de rangers venaient accentuer.

Et pourtant, il ne s’agissait là que de l’introduction.

À 13 heures , soit après 8 heures de bastonnade et de torture, on leur remettait enfin une pelle. Ils devraient s’en servir eux-mêmes, les yeux tuméfiés, le corps ruisselant, les muscles éméchés, pour creuser le sable marin autour d’eux-mêmes, jusqu’à la hauteur de leurs épaules, en sorte à être ensevelis jusqu’au cou, comme des fossoyeurs à qui on ferait creuser eux-mêmes leur propre tombe.

Et en ce moment, une joyeuse excitation s’emparait des agents commis à leur torture, qui se mettaient à frapper plus énergiquement sur leurs crânes nus, sans égards pour les larmes et le sang qui leur débarbouillaient le visage.

Pour la plupart, les victimes n’étaient pas à leur baptême de feu, sous les affres de la torture.

À Metognon, sur le chemin de Ségbana quelques années plus tôt, on avait désossé les hanches, par coups de matraques aidés des secousses violentes d’un voyage exécrable de 700 km vers l’enfer…l’enfer de Ségbana, une prison digne de la philosophie des camps de concentration nazi…

Ce ne sont pas des voleurs. Ce ne sont pas des assassins. Ils avaient le tort d’avoir une opinion, et d’avoir l’audace de l’exprimer en un temps et en un pays où l’audace de dire la vérité était une infraction.

Cela fait deux heures que je suis assis en face de Laurent Metognon, à la prison civile de Cotonou. Je profite d’une fraction de seconde où il se fut tourné vers les cinq (05) autres compatriotes qui m’accompagnaient, et tente, du revers de ma main gauche, imperceptiblement, de sécher mes yeux embués.

Je songe au martyre d’Akodéha. Son tribut est lourd. Elle a perdu un jour, un fils, un compagnon de lutte de Metognon, Togbadja Luc.

Aujourd’hui encore, l’histoire bégaie, et dans l’indescriptible audace de l’homme qui me parlait, je vois toute l’âme d’une ville martyre se muer en force de résistance.

Qui se souvient de Parfait Acatcha?

Qui rend hommage, à cette audacieuse survivante de ce temps dont le seul nom résume l’audace des femmes sous la pseudo-révolution ?

Nous sommes en 2018 sous le Renouveau démocratique. Nous sommes à l’ère de la Rupture, et un innocent paie par la privation de liberté, son entêtement à voir son pays bien gouverné. Un héros de l’histoire du Bénin que les hommes forts du moment ont décidé d’humilier, d’abattre injustement, moralement, en le déposant dans une prison, en un pays où les escros deviennent préfets, où les malfrats sont couronnés de gloire, où ceux qui n’ont jamais lutté, récoltent seuls et sans pudeur les fruits des combats de ceux qui versent sang et larmes.

Ici, c’est le Bénin.

*Constantin AMOUSSOU*

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