Droit de grève au Bénin: Dénis Togodo pose « les vrais problèmes »

L’exercice du droit de grève par les travailleurs béninois qui alimente la polémique suite à la décision DDC 18-001 du 18 Janvier 2018 de la Cour constitutionnelle  taraude toujours  l’esprit de certains citoyens qui entendent apporter leur éclairage aux parlementaires afin qu’en voulant recadrer le droit de grève comme l’a recommandé la cour, n’usent pas de vengeance.

C’est le cas par exemple de Dénis Togodo, secrétaire général du syndicat des travailleuses et travailleurs des services judiciaires et assimilés du Bénin ( syntrajab) qui présente, dans un post, les véritables problèmes qu’il faut poser dans le débat relatif à l’abus du droit de grève. Lire ci-dessous l’intégralité du diagnostic qui pose.

[su_heading size= »17″]Lire aussi : Retrait du droit de grève au Bénin : Mé Ibrahim Salami clarifie la décision de la cour [/su_heading]

Diagnostic d’un syndicaliste sur l’abus du droit de grève

Il m’a plu de continuer à contribuer honnêtement à ce débat sur l’exercice du droit de grève par les travailleurs béninois. La raison en est que dans cette effervescence née de la décision DCC 18-001 du jeudi 18 janvier 2018 ayant poussé beaucoup à gloser sur la question, le vrai problème semble n’avoir pas été abordé.Or,les députés,semble-t-il, « menacent » de régler le problème de la grève au Bénin qu’ils posent en termes d’abus.

Je l’avais dit dans mes publications antérieures, poser le problème en ces termes,c’est faire preuve de partialité car l’usage du substantif  »abus » dans la formulation du problème condamne déjà l’une des parties ,les travailleurs.En abordant ainsi la situation et sous l’effet de la colère et avec un élan de vengeance, les députés qui ont pourtant en leur sein des femmes et hommes de science, ont choisi la voie de l’égarement,peut-être volontairement car ils sont des politiciens sous les tropiques.
Je vais essayer,en ces trois points ci-dessous, de prendre parti sans parti pris, en puisant dans mes plus de dix (10) ans d’activités en tant qu’acteur syndical du secteur de la justice et d’observateur de la gestion des conflits de travail dans notre pays.Mon écrit n’a pas la prétention de l’exhaustivité.Il peut avoir quelques fois l’allure d’un testament ou d’une confession.

[su_heading size= »17″]Lire aussi : Bénin: Grève à la justice : la mauvaise foi du régime Talon, le nerf de la guerre [/su_heading]

1-LE PROBLÈME EST LA RÉCURRENCE DE LA GRÈVE DANS CERTAINS SECTEURS ET NON SON ABUS 

Contrairement à une idée reçue, les grèves dans les secteurs public et privé ne constituent pas un fait général et un recours systématique. La plupart des secteurs et branches d’activités au Bénin ne font pas habituellement la grève malgré les problèmes hideux et ineffables que vivent les travailleurs en général et ceux du privé en particulier.Pourtant,on entend dire qu’il y a trop de grèves devenues un recours systématique.

Ce qui est n’est pas ce qui est apparent ou colporté sans étude et analyse approfondie.La décision d’aller en grève est la question la plus épineuse pour un syndicaliste sérieux et la plus délicate qui fait souvent l’objet de longues délibérations au sein des travailleurs qui ne sont jamais unanimes.Les délibérations,pour les syndicats sérieux,se font d’abord dans l’informel pendant des jours,des semaines,voire des mois et en supposant que les négociations échouent.Il y a même des grèves qu’on aurait pas aimer faire,mais qu’on est contraint de faire en raison de l’attitude des gouvernants.

Dans le privé, la grève est rarissime. Dans le public, sur plus d’une vingtaine de ministères et institutions, les grèves se font habituellement dans les secteurs de la justice,la santé, l’économie et les finances et dans les trois ordres de l’enseignement.C’est donc la minorité qui fait habituellement les grèves.

Les syndicats concernés commencent toujours par une plate-forme revendicative adressée à l’autorité.Parfois c’est suivi d’avertissement et de menace avant le dépôt d’une motion de grève respectant toujours le délai de préavis.Dès lors, on ne peut plus parler d’abus.L’abus dont il est souvent question relève de la subjectivité et non de la méconnaissance par les syndicats des étapes et conditions pour aller en grève.Le problème n’est donc pas l’abus du droit de grève car n’étant pas la situation réelle et générale.
On devra plutôt parler de la récurrence des grèves dans certains secteurs et dont il faut chercher les causes.

[su_heading size= »17″]Lire aussi : Bénin : la Ligue pour la défense des droits de l’Homme soutient la grève des magistrats [/su_heading]

2-LE RÉSUMÉ DES CAUSES DES GRÈVES RÉCURRENTES

a-du côté des gouvernants et de l’administration :

-La méconnaissance du monde syndical et le fait de ne pas considérer les syndicats comme étant des partenaires,voire des acteurs dans l’action administrative.Pour cela,certaines autorités refusent même d’associer les syndicats même concernant des choses élémentaires.
-Les préjugés défavorables et la méfiance à l’égard des syndicalistes considérés comme des implacables.Ils empoisonnent les relations et les échanges.
-L’instabilité des membres du gouvernement et l’inexpérience de certains parmi eux qui ont souvent eu en face d’eux des syndicalistes qui ont capitalisé des années,voire des décennies d’expérience en matière de gestion de conflit de travail.
-L’absence ou le fonctionnement apparent des structures de prévention et de gestion des conflits de travail.Dans certains cas,les structures créés unilatéralement par l’administration sont inadaptées et rejetées de ce fait par les syndicalistes.
-La duplicité et la mauvaise foi de certains membres de l’administration qui conseillent les autorités dans le mauvais sens et pour provoquer les syndicats qui ont toujours dans leur répertorie des motifs légitimes d’aller en grève.Les autorités adorent cela lorsque c’est le fait des syndicalistes parasites sans troupe qui excellent dans les marchés de dupe par lesquels ils garantissent à leur victime la maîtrise de la situation ou du secteur.
-Les violations manifestes des règles en général et en matière d’affectation et de nomination à des fonctions techniques en particulier ainsi que leur instrumentalisation à des fins politiques.
-Le fait que l’administration à habituer les travailleurs à obtenir presque tout par Le moyen de la grève y compris les choses les plus insignifiantes et les plus faciles.
-Le non respect de la parole donnée et des accords conclus avec les travailleurs.
-La pratique du dilatoire et les négociations de façade.
-La différence abyssale entre le train de vie de l’État et la situation du très grand nombre des travailleurs à qui l’État conseille curieusement le  »jeûne » et le sacrifice.
-Les discriminations injustifiées et inexplicables dans le traitement des travailleurs.

b-Du côté des syndicats:

-L’émiettement du monde syndical qui rend difficile les discussions et qui augmente le nombre des grèves au cours d’une année surtout si elles se font successivement par les syndicats ou groupe de syndicats.
-Le fait de se baser sur les situations précédentes pour engager toutes discussions avec les autorités. Avec beaucoup de doute,les syndicats dèja dupés auparanvant se disent que tous les politiciens sont pareils.
-L’impatience dans certains cas et face à des revendications dont la résolution, de toute évidence, nécessitera un peu de temps.
-Les actions provocatrices des syndicats à la solde du gouvernement à l’égard de leurs pairs.
-La conviction prouvée que rien ne s’obtient sans la grève au Bénin.
-Le désire de démonter qu’on n’est pas de connivence avec le gouvernement surtout lorsqu’on est accablé d’accusations de corruption parfois alimentées par Les gouvernants.
-Les comparaisons inappropriées entre travailleurs, sans prendre en compte les différences de statuts et de niveau de responsabilité pouvant justifier certaines discriminations légales et légitimes dans les traitements.
Les diplômes de recrutement et La qualité de fonctionnaire ne sont pas des paramètres suffisants pour apprécier les traitements entre fonctionnaires.
-La pression venant des militants qui ne comprennent pas la retenue dont font preuve parfois leurs responsables syndicaux.
-La duplicité et la mauvaise foi de certains syndicalistes.

[su_heading size= »17″]Lire aussi : Bénin: Retrait du droit de grève : Adrien Houngbédji sort de son mutisme [/su_heading]

3-LE FAUX PROBLÈME DES STATISTIQUES MACABRES DANS LES CENTRES DE SANTÉ PUBLICS

On entend souvent invoquer ici et là les chiffres macabres dans les hôpitaux pour expliquer l’abus du droit de grève et la justification de son retrait ou son encadrement malicieux.En dehors de la simple affirmation jamais chiffrée et documentée de la part des autorités et autres partisans, on n’a jamais eu la production et la publication des statistiques macabres du fait des grèves dans les centres de santé publics.D’ailleurs en temps normal,les gens mouraient déjà dans lesdits centres.

Et si des gens meurent effectivement dans les centres de santé du fait des grèves,ce qui est inadmissible, la grande responsabilité incombe à l’État qui aurait failli à son devoir de réquisitionner 20 % des acteurs conformément à la loi.

Le secteur de la santé est l’un de ceux où le service minimum est obligatoire.S’il y a donc une responsabilité qui doit incomber aux travailleurs de la santé, elle ne peut être que de second plan.Le fait d’invoquer la mort dans les hôpitaux n’est même pas un argument qui arrange le gouvernement car il met à nu son incapacité à protéger les citoyens et sa faillite sur ce plan.

En définitive la récurrence des grève dans certains secteurs est le problème et non son abus comme on le fait accroire.Cette récurrence est révélatrice de l’existence de beaucoup de violations de la part des gouvernants successifs,l’absence d’anticipation dans la gestion des problèmes,l’inexistence de cadre crédible de résolution des conflits et la méfiance réciproque qui est un mal béninois.Et c’est sur ces causes qu’il faut agir pour limiter les grèves.

[su_heading size= »17″]Lire aussi : Retrait du droit de grève au Bénin : Michel Adjaka évoque des dispositions contraires à la Constitution [/su_heading]

Enfin,les syndicats aujourd’hui défendent par leurs revendications, des intérêts corporatistes mais aussi l’intérêt général.La défense de l’ intérêt général n’est donc pas l’apanage des gouvernants.

DENIS TOGODO

Les commentaires sont fermés.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus