Opinion: La cour constitutionnelle, le souffre-douleur de l’exécutif et du législatif

Poutre principale de l’architecture démocratique béninoise, la Cour constitutionnelle a été extraite des décombres du régime militaro-marxiste qui a assiégé et asphyxié le peuple de 1972 à 1989. Instituée pour servir de chien de garde aux acteurs politiques, elle a pour vocation, selon le professeur HOLO, à remédier à : 

«Une instabilité chronique liée à :

-l’existence d’une classe politique extrêmement versatile, composée d’acteurs sans grand sens de l’Etat, plus souvent préoccupés de leur promotion sociale que du service public, prompts pour la plupart à se servir qu’à servir et partisans résolus, au gré de leurs ambitions, de la démocratie du tiers exclu.

-une violation massive des droits humains contre la lettre et l’esprit des textes qui consacrent abondamment dans l’ordre constitutionnel les droits de la personne humaine comme fondement de la dignité du citoyen.»

Créée pour quasiment tenir à la gorge les gouvernants, naturellement prédisposés aux abus, la Cour constitutionnelle est souvent la tête-de-turc du pouvoir exécutif et du parlement. Ce drone destiné à traquer et à réprimer les violations de la loi fondamentale est souvent l’objet d’attaques non conventionnelles perpétrées au moyen d’armes interdites.

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En effet, convaincus que la Cour constitutionnelle devrait logiquement leur servir de faire-valoir, les pouvoirs politiques ne s’’imaginent jamais perdants ou vaincus par de simples citoyens devant une juridiction issue de leurs entrailles. Cette conception de justiciables super-privilégiés de la Cour constitutionnelle qu’ont les hommes politiques béninois explique et justifie la maltraitance et la hargne dont ils font montre à l’égard de cette institution ou de ses membres chaque fois qu’ils rendent contre eux une décision historique, salutaire et confortatif de l’État de droit et de la démocratie.

Cette hostilité viscérale  à l’égard de cette institution destinée à ramollir les abus et les élans liberticides des politiques s’est accentuée et caractérisée sous le régime actuel par la violation massive, non seulement de la constitution, mais surtout des décisions de la Cour constitutionnelle. Tout en faisant litière en l’espèce des violations répétées de la constitution, il importe de convoquer quelques violations de décisions de la Cour constitutionnelle. Il s’agit entre autres des décisions :

1-DCC 16-091 du 07 juillet 2016, Stephane TODOME contre Etat béninois,

2-DCC 17-57 du 09 mars 2017 relative à la disposition des couleurs nationales sur les documents officiels,

3-DCC 17-186 du 05 septembre 2017, Agapit Napoléon MAFORIKAN contre Etat béninois,

4-DCC 17-023 du 02 février 2017 relative à la nomination des membres de l’Autorité de Régulations des Communications Electroniques et de la Poste (ARCEP),

5-DCC 17-209 du 19 octobre 2017 condamnant la violation par l’ancienne ministre de la communication de la décision DCC 17-023 du 02 février 2017.

S’inscrivant dans cette vicieuse dynamique de violation des décisions de la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale a littéralement ignoré l’ultimatum à elle donné, suivant décision DCC 17-262 du 12 décembre 2017 de désigner au plus tard le 21 décembre 2017, ses représentants au sein du Conseil d’Orientation et de Supervision de la Liste Électorale Permanente Informatisée (COS-LEPI).

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Pourtant, l’article 124 de la Constitution dispose que les décisions de la Cour constitutionnelle «s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.» L’article 34 de ladite constitution précise que «Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi, ainsi que les lois et règlements de la République.»

[bs-quote quote= »Loin d’être un défi personnel ou l’expression d’une quelconque suprématie institutionnelle, la violation des décisions de la Cour constitutionnelle, soulève au contraire une véritable équation de culture démocratique en même temps qu’elle révèle l’épuisement, à tout le moins le délitement de l’ordre politique et institutionnel issu des états généraux de la démocratie de février 1990. Ces symptômes laissent penser que le contrat social né de la Conférence des Forces Vives de la Nation a achevé ses réserves et atteint son déclin. » style= »style-8″ align= »center »][/bs-quote]

Ainsi, aussi inadmissible et inacceptable que cela puisse paraître, on enregistre, non sans désolation, les jérémiades articulées contre les sept (07) sages à travers un rituel de lynchages et de dénigrements médiatiques orchestré par les perdants de la décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 par laquelle la Cour a reconnu le droit de grève à tous les travailleurs, conformément aux dispositions de l’article 31 de la Constitution.

Depuis cette courageuse et lumineuse décision, il ne se passe pas de jour où, au moyen de titres siamois et de commentaires opportunistes et désobligeants, des compatriotes proches du pouvoir exécutif ne tirent à boulets rouges sur les sept (07) sages et la Haute juridiction.

Quel aurait été le comportement du chef de l’Etat si les lois querellées avaient été déclarées conformes à la constitution et promulguées et que les syndicats en luttes refusaient de se soumettre à son autorité ?

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La campagne de déstabilisation de la Cour constitutionnelle préfigure la fin de l’État de droit et le requiem de l’autorité de l’Etat. Il en résultera un ordre politique fossoyeur des libertés et porteur de maladies sociétales chroniques ou endémiques. Une Cour constitutionnelle affaiblie marque la résurrection des dérives totalitaires jadis déplorées, dénoncées, condamnées et combattues au prix de lourds sacrifices. Une telle rechute démocratique est synonyme de marche à reculons, inapte à assurer la paix et le développement. Le peuple béninois en est indigne.

Une opinion du magistrat Michel Adjaka

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