Retrait du droit de grève au Bénin : Mé Ibrahim Salami clarifie la décision de la cour

La Cour constitutionnelle a rendu aux magistrats et agents de santé le droit de grève à eux retiré par le Parlement dans des votes il y a quelques semaines. Après un article que nous vous avons servir il y a quelques jours et où il indiquait le chemin à l’institution de Théodore Holo, le Professeur titulaire de droit public Ibrahim David Salami revient dans un commentaire rapide des décisions DCC 18-001 du 18 janvier 2018 et DCC 18-03 du 22 janvier 2018. Lisez plutôt…

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AU-DELA DU CHEMIN: LA RESTAURATION DU DROIT DE GRÈVE ET PLUS ENCORE

Dans un article précédent, j’indiquais selon ma lecture de l’article 31 de la Constitution, le chemin à emprunter par la Cour pour restaurer le droit de grève arraché aux travailleurs en 2011 par le législateur et validé par la Haute juridiction (voir).

La décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 doit figurer dans les annales des grandes décisions de la Cour constitutionnelle béninoise. La DCC 18-03 du 22 janvier 2018 contrôlant la conformité à la Constitution de la loi n° 2018-01 portant statut de la magistrature n’était qu’une confirmation de la première décision de l’année. C’est pour cette raison que l’essentiel du commentaire sera consacré à la première. En effet, il était attendu de la première décision qu’elle restaure le droit de grève à travers le rétablissement de la décision de 2006 et la mise à mort de celle malheureuse de 2011. Ce que j’attendais de la Cour a été fait (I). Sans avoir la prétention d’avoir été suivi, la Cour constitutionnelle est allée bien plus loin qu’elle n’était attendue. C’est l’inattendu ou l’inespéré (II).

I) L’attendu:
Le 18 janvier 2018, la Cour a déclaré contraire à la Constitution la loi n°2017-43 modifiant et complétant la loi n° 2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la fonction publique votée par l’Assemblée nationale le 28 décembre 2017.
La Cour constitutionnelle a dégonflé la bulle de la controverse entre les partisans de la décision de 2006 et ceux de la décision de 2011.

La main du juge constitutionnel n’a pas tremblé, son cœur n’a pas balancé, il a tranché. Relevons la méthode puis le résultat. La méthode a consisté à rappeler les considérant des deux décisions contradictoires pour habilement rectifié celle de 2011 en l’en amputant du venin inconstitutionnel qu’elle recèle. Curieusement, les deux décisions aboutissant à des conclusions contradictoires avaient en commun l’idée de limitation du droit de grève. Le venin c’est la conclusion de l’interdiction de la décision de 2011. C’est pour cela que la Cour constitutionnelle ampute ladite conclusion : « les limitations apportées au droit de grève peuvent aller jusqu’à l’interdiction dudit droit aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ».

La Cour en arrive au résultat qu’on peut décliner ainsi :
– Le droit de grève est un droit fondamental ;
– Les conditions de son exercice et de sa mise en œuvre sont fixées par le législateur ordinaire ;
– Celui-ci peut lui apporter des limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, la satisfaction de l’intérêt général, la sécurité publique, la sûreté d’autrui, la santé, la morale ou les droits et libertés des personnes. Il s’agit ici d’une avancée puisque la Cour redéfinit en l’élargissant, le domaine des limitations prévues par la loi. L’on ne peut donc pas dire que la Cour a choisi des droits à protéger au détriment d’autres ;
– Seul le constituant dérivé peut interdire l’action syndicale et le droit de grève.
La Cour ne fait pas que rattraper une simple erreur ou faute, elle corrige une fraude à la Constitution commise par la décision de 2011.

Dans la DCC18-03, la Cour constitutionnelle ne cite plus les sources internationales. Elle resserre les rangs des normes de référence en se recentrant uniquement sur l’article 31 de la Constitution et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples pour déclarer l’article 20 dernier alinéa retirant le droit de grève aux magistrats, contraire à la Constitution. Rappelant que seul le pouvoir constituant peut interdire l’action syndicale et le droit de grève, la troisième décision de l’année ajoute que toute disposition législative ou réglementaire qui les interdit est contraire à la Constitution. En ajoutant la disposition réglementaire, la Cour va au-delà du contrôle de la loi qui lui est soumis et pose le principe de l’interdiction, pour l’avenir, même pour les actes administratifs.

Ce faisant, la Cour restaure l’interprétation la plus fidèle de l’article 31 de la Constitution en rétablissant le droit de grève pour tous les travailleurs, notamment les agents publics. Mais la Cour est allée plus loin qu’attendu.

II) L’inattendu
Il était inespéré que la Cour aille plus loin que la neutralisation de la décision de 2011. Elle a surtout innové sur deux points et confirmé sa jurisprudence sur un point.
D’abord, la modification d’une disposition déjà déclarée conforme à la Constitution ne peut se faire à l’occasion d’une mise en conformité sans violer l’autorité de la chose jugée attachée à la décision ayant ordonné la mise en conformité. Tel est le point de confirmation. A l’occasion de l’examen de la loi contrôlée dans la décision commentée, le législateur a intégré les dispositions de la n° 2017-03 portant régime général d’emploi des collaborateurs externes à la loi 2015-18. Cette intégration a été jugée contraire à l’autorité de la chose jugée conformément à l’article 124 de la Constitution. En effet, contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas ici d’une innovation de la décision commentée.

C’est une confirmation d’une jurisprudence constante de la Cour. Par cette technique, la Cour revient sur le contenu de la loi sur les collaborateurs externes de l’Etat, ce qui lui permet de faire bouger la frontière entre le droit administratif et le droit privé en deux points : d’une part, le collaborateur externe est un agent de l’Etat en ce qu’il participe à l’exécution d’une mission de service public et le contrat qui le lie à l’administration est administratif. La Cour ajoute avec autorité qu’il n’est pas possible de déroger par voie d’accord aux règles de compétences administratives, exception faite de l’arbitrage.

Ensuite, dans le droit positif béninois, une loi déjà contrôlée par la Cour et entrée en vigueur échappe à toute censure en raison de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de la Cour constitutionnelle sur le fondement de l’article 124 de la Constitution. La première grande innovation réside dans la technique de contrôle qui consiste à revenir sur une loi déjà entrée en vigueur pour la contrôler à l’occasion de sa modification. C’est ce qu’a fait la Cour constitutionnelle dans la décision commentée. En effet, la loi n°2001-09 du 21 juin 2002 déclarée conforme à la Constitution par la DCC 02-004 du 8 janvier 2002 envisage comme étant exclus du champ d’application de ladite loi des agents à qui le droit de grève est interdit. De la même manière, la loi n° 2011-25 portant règles générales applicables aux personnels militaires, des forces de sécurité publique et assimilés interdit le droit de grève aux corporations visées. Quant à la loi ayant fait l’objet de contrôle dans la décision commentée, elle ajoute aux hommes en uniforme le personnel de la santé, le personnel de la justice, les personnels des services de l’administration pénitentiaire, les personnels de transmission opérant en matière de sécurité de l’Etat.

La Cour déclare l’interdiction du droit de grève pour l’ensemble des corporations (en uniforme et civils) contraire à la Constitution. Ce faisant, la Cour fait remonter son contrôle de constitutionnalité aux lois de 2002 et de 2011. C’est une neutralisation rétroactive des dispositions en question. La Cour est allée neutraliser le venin dans le passé. Désormais, toutes les dispositions qui font état de l’interdiction du droit de grève dans notre droit positif sont neutralisées. Ici, c’est le Bénin et c’est le droit de grève pour tous (travailleurs du secteur public et du secteur privé). Il s’agit d’une technique de contrôle redoutable qui permet au juge constitutionnel de visiter le passé pour le rattraper et le mettre en conformité avec son interprétation de la Constitution.

Enfin, un revirement jurisprudentiel est passé inaperçu. Il est le moins sensationnel mais le plus révolutionnaire en termes de protection des droits et libertés. Il tient en peu de mots « Le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui fait partie du bloc de constitutionnalité précise en son article 8 alinéa 2 que la garantie constitutionnelle du droit de grève… ». C’est une phrase anodine qui a pour conséquence de faire entrer sans équivoque et de façon solennelle le Pacte dans le bloc de constitutionnalité béninois. Cela consacre un élargissement substantiel du bloc de constitutionnalité et donne des moyens plus importants de protection des droits et libertés aux requérants. On retrouve la référence au Pacte dans la décision de 2011 mais la Cour n’avait pas mentionné qu’il faisait partie du bloc de constitutionnalité. C’est une avancée considérable.
Par ailleurs, on retrouve dans la troisième décision de l’année, trois confirmations inattendues de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. D’abord, contrairement à une idée reçue, les règles fixées par le statut général de la fonction publique s’appliquent aux fonctionnaires dont les statuts sont fixés par des lois spéciales dans la mesure où elles ne sont pas contraires auxdits statuts (DCC 15-209 du 15 octobre 2015). Ensuite, toute activité politique n’est pas interdite au magistrat mais seulement l’exercice d’une fonction politique (DCC 33-94 du 24 novembre 1994). Enfin, la Cour constitutionnelle retient qu’aucune spécificité de la fonction de magistrat ne lui confère plus de droit à être pris en charge de manière particulière par l’Etat en cas de maladie que les autres agents de l’Etat. L’on pourrait être tenté de reprocher à la Cour un nivellement par le bas. En réalité, cette censure doit être lue comme une invite au législateur à traiter tous les fonctionnaires de la même manière.

Pour ne pas conclure, les deux décisions constituent-elles un recul ou une avancée démocratique ?
Primo, il y un vrai problème d’abus ou d’exercice irrégulier du droit de grève qui entretient une sorte de « pouvoir syndical » au Bénin. Cependant, l’abus ou l’exercice irrégulier appelle une meilleure réglementation et non un abus du pouvoir de légiférer conduisant à l’interdiction d’un droit fondamental.

Secundo, il est reproché à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle d’être porteuse d’instabilité juridique. Cette critique est facile à combattre. La Cour devait trancher et choisir entre l’interdiction ou la restriction législative. Elle a choisi la restriction. Ce nouvel état du droit rétablit l’espace de liberté consacré par la Constitution. Les citoyens gagnant en liberté, la Cour n’a pas failli à sa mission. L’intelligibilité et la qualité de la loi ainsi que la sécurité juridique commandent que le législateur tire les conséquences des deux décisions commentées en regroupant les dispositions sur le droit de grève dans la nouvelle mouture de la loi sur l’exercice du droit grève. Les dispositions sur le droit de grève dans toutes autres lois seront supprimées et y seront reversées. Le législateur ne pourra pas restreindre le droit de grève jusqu’à le vider de son contenu.

Ce sera un abus du droit de légiférer susceptible d’être censuré par la cour constitutionnelle. Mais la modulation législative sera de mise selon la sensibilité de la corporation concernée. Il va sans dire que l’exercice du droit de grève des militaires et assimilés sera plus restreint que celui des enseignants ou des assistants sociaux.
Tertio, le droit constitutionnel a joué son rôle régulateur social. Les deux décisions de la Cour constitutionnelle ont pour vertu de dégeler la crise sociale qui avait atteint son paroxysme depuis 1990. Le droit de grève pour tous y compris pour les fonctionnaires en uniforme a eu cours de 1990 à 2011. La décennie 2011-2018 doit être considérée une parenthèse ouverte sur fond de pression politique du PVI-NG.
Le droit est désormais à l’endroit.

Porto-Novo, ce 25 janvier 2018.

Me Ibrahim Salami

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