Bénin – dans les méandres du pouvoir Yayi : la « Mémoire du chaudron » (épisode 1 à 5)

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend public ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés les « Mémoires du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici les 5 premiers épisodes des « Mémoires du chaudron ».

[su_heading size= »17″]A (re)lire : Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : la « Mémoire du chaudron » (épisode 6 à 8) [/su_heading]

Mémoires de Chaudron épisode 1

L’ambiance d’un certain mardi matin dans le bureau du président Yayi me revient à l’esprit. Je ne sais plus si Didier y était. Mais je me souviens qu’avec Enoc Gouroubera et Edgard Guidibi, nous avions presque réussi, au prix de moult subterfuges, à détourner la violente colère de Yayi contre les parutions du jour et qui justifiait notre présence dans son bureau.

Quand les invitations de Yayi étaient pressantes, on le sentait dans la voix de Yasmine, son assistante. Au bout d’un moment, on annonça la présence de Lionel Agbo dans la salle d’attente. S’il est là , c’est que Yayi l’avait fait appeler. Ça faisait en effet un moment qu’il se plaignait de brasser de l’air à la présidence et de n’avoir jamais reçu une mission, ni la moindre parole à porter de la part du président de la république dont il était pourtant sensé être le porte-parole.

L’occasion était donc trop bonne. Yayi allait pouvoir enfin lui en confier une. Il fut immédiatement introduit dans le bureau où nous occupions déjà l’essentiel des fauteuils…

Mémoires de Chaudron épisode 2

Dès que la voix fluette de l’assistante à l’autre bout de l’interphone annonça Lionel Agbo, Yayi activa dans une telle fébrilité la gâchette d’ouverture de la porte d’entrée du bureau, que le crissement sourd du déclic nous fit presque sursauter. Me Agbo apparut, dans une tenue locale blanche, svelt et légèrement courbée vers l’avant, un grand calepin de prise de notes enserré dans l’aisselle. Malgré les petits clins d’œil amicaux que nous échangeâmes discrètement avec lui, je perçu sa surprise de nous retrouver là.

En cette année-là, Yayi occupait encore le bureau présidentielle hérité de son prédécesseur le général Mathieu Kerekou, dans l’ancien bâtiment du Palais. C’était un modeste rectangle de moins cinquante mètres carré au bout d’un long couloir. Alors que tout le monde le pressait d’y changé tout le mobilier utilisé par son prédécesseur, le président Yayi décida de le garder tel. La grande table de travail en bois massif, la petite bibliothèque de rendement, les fauteuils de séjour en cuir autour d’une petite table basse.

Cependant, il ne pu résister aux différentes exhortations à renouveler la moquette au sol. J’ai toujours eu ma petite explication sur la chose. Le fait de conserver le bureau en l’état, l’avait plutôt aidé à vite rentrer dans la peau de président de la république. C’est un rythe personnel qu’il expérimenta déjà avec une certaine satisfaction, quand douze ans plus tôt, il alla remplacer, à la tête de la Boad (Banque ouest africaine de développement – ndlr), Aboubacar Baba-Moussa, le père de Yasmine Baba-Moussa qui deviendra d’abord sa secrétaire particulière à Lomé, puis assistante à la présidence du Bénin.

Yasmine était une petite dame pleine de vie. Pour avoir déjà suivi Yayi pendant tant d’années, elle faisait partie de ceux qui pouvaient se vanter de vraiment le connaître. De son poste d’assistante du président de la république, elle avait un regard gyroscopique sur les grands dossiers du pays. Personne n’était assez insensé pour se la mettre à dos.
Le président invita chaleureusement Lionel Agbo à prendre siège.

Tous les fauteuils de séjour étant déjà occupés, l’un d’entre nous céda place et alla tirer péniblement l’un des fauteuils visiteurs en face de la grande table de travail du maitre du pays. L’épaisseur de la moquette rouge-bordeaux ne facilitait pas, en effet, les roulements.
« Maitre, vous avez suivi les petits de Canal 3 ce matin ? » , lança Yayi à brûle-pourpoint.

Puis, sans faire attention aux premiers mots de Lionel Agbo, il enchaîna :  » je me fais répéter du matin au soir que ma communication ne marche pas. Tous les diplomates ne cessent de me le dire. Wade m’a dit récemment encore que je ne tiendrai pas longtemps si ça devrait continuer comme ça « …

Mémoires de Chaudron épisode 3

Me Agbo avait visiblement du mal à placer un mot. Yayi qui déroulait avec nervosité son long chapelet de récriminations contre la presse nationale ne lui en laissait pas l’opportunité. Il était alors réduit à ponctuer les déclarations du président de « oui « … » exactement« … »absolument« … Je compris, par expérience, qu’il ne pourrait jamais placer une phrase entière si je ne l’y aidais pas.

Alors je raclai légèrement la gorge en donnant l’impression d’avoir eu une illumination soudaine. Le président se tut momentanément. Ça ne ratait que rarement. Ce n’était pas scientifique, mais c’était l’une des nombreuses formules que j’avais fini par développer quand j’étais avec lui et que je tenais à l’interrompre et à placer un mot. Tous ceux qui ont déjà connu ces moments avec Yayi, savaient qu’on pouvait faire une heure avec lui sans jamais réussir à placer une phrase entière.

Je ne lui connaissais pourtant pas ce trait quand mes contacts avec lui devinrent quasiment quotidiennes à partir de la Saint-Sylvestre 2002 qu’il m’invita à passer avec lui à Tchaourou. Je connaissais déjà assez bien cette petite bourgade à une centaine de kilomètres de Parakou, pour y avoir passé certaines vacances scolaires de mon enfance, quand mon père y travaillait comme chauffeur du sous-préfet entre 1979 et 1982.

Ce réveillon fut très sobre dans la petite chapelle protestante UEEB (Union des églises évangéliques du Bénin – ndlr) de Tchaourou où Yayi prononça un discours à l’endroit de ses « frères en Christ » à qui il déclara devoir son bilan et sa stabilité à la tête de la Boad. « Sachez que je ne vous oublierai jamais« , avait-il conclu dans le vacarme d’applaudissements qui secoua la salle mal éclairée par quelques lampes Néon qui vacillaient au gré des quintes de toux régulières du petit groupe électrogènes qui geignait quelques mètres à l’écart.

En vérité, le futur candidat à la présidentielle de 2006, testait ce soir-là, pour la première fois, ce style de discours sur un auditoire. Il ne l’abandonnera plus. Mais ce Yayi-là était très différent de celui que nous découvrîmes au lendemain du 6 avril 2006. Il exerçait un tel sens de l’écoute, que pendant les longs voyages que j’effectuais à travers le pays chaque week-end, assis à côté de lui, sur la banquette arrière de sa Mercedes à immatriculation diplomatique, j’avais parfois le sentiment de me parler à moi-même.

Il ne se fatiguait pas de m’écouter, me relançait sur tel ou tel sujet, se contentait parfois de dodeliner mollement de la tête. A part les grosses pontes de la télévision nationale, il me donna bien l’impression de connaître très bien Pépéripé et Édouard Loko. Sa connaissance des hommes des médias pourrait s’arrêter là si on ajoute l’un des frères Migan qui assurait la couverture médiatique de toutes les activités de la Boad au Bénin.

Lionel Agbo pu ainsi saisir enfin la parole puis, dans un style qu’il voulut chatoyant, mais qui jeta immédiatement le malaise dans la petite assistance, déclara : « monsieur le président de la république, voici plusieurs mois que j’ai élaboré un document complet sur la stratégie de communication. Et je vous assure que si elle était mise en branle, toute la presse allait se discipliner. Mais, monsieur le président, il y a des gens qui n’avaient pas intérêt à ce que le document soit connu de vous« .

Voyant l’atmosphère s’alourdir, Yayi entreprit une diversion en se saisissant soudain de la télécommande qui traînait sur la table basse, puis actionna le volume de l’immense écran plasma installé dans une des encornures du bureau et qui , jusque-là fonctionnait en mode « Muet ». La télévision nationale diffusait, sans doute pour la énième fois, dans une de ses innombrables éditions siamoises de la matinée, sa descente de la veille sur le quartier Womey. Cette initiative produisit son effet. Me Agbo perdit la parole.

« Maître, embraya ensuite le président quelques secondes plus tard, je lirai bien votre document. Mais je veux aujourd’hui envoyer un message très clair aux journalistes. Je me fais insulter dès le lever du jour et tout le monde me conseille de me taire. Ce n’est plus possible. Ce sera désormais du tac au tac »

Connaissant déjà notre hostilité à une prise de parole officielle pour répondre à des parutions dont l’impact n’était visible nulle part, Yayi parlait désormais en ne regardant que Lionel Agbo. Celui-ci reprit inconsciemment son exercice de… « Oui« … « absolument« … « c’est normal« . Maitre, conclu enfin le président, il faut que vous passiez à la télévision ce soir. Je sais que vous parlez très bien. Il faut que vous parliez une fois pour de bon à ces journalistes de ma part. S’il veulent la guerre, ce sera la guerre ».

Il appuya plusieurs fois sur un petit bouton blanc. La gâchette de la porte de son secrétariat bourdonna ; Yasmine déboula dans le bureau. « Dites à Julien Akpaki de passer me voir à 17h. Je le reçois avec Maître Agbo« . Nous fûmes tous congédiés sur ce verdict. Dans le couloir étroit qui nous conduisait hors de la zone présidentielle, nous marchâmes, silencieux, à queue-leu-leu.

Me Agbo marqua un arrêt devant l’entrebâillement de la porte du bureau de Yasmine qui donnait sur le couloir pour, certainement, prendre des détails sur cette séance de travail à 17h avec le DG-Ortb et le président de la république. Son heure avait enfin sonné. Les journalistes l’entendraient ce soir….

Mémoires de Chaudron épisode 4 

Nous marquâmes un arrêt dans la petite salle d’attente pour récupérer nos téléphones portables. Me retrouver enfin dehors, sur l’esplanade en haut des interminables escaliers d’honneur de l’ancien bâtiment du palais, me parut une délivrance. Le courant d’air marin qui me fouetta le visage, me fit le plus grand bien. Je ne réussissais vraiment pas à m’habituer à cette ambiance quotidienne de pression et d’intrigues.

Pression, oui c’est bien le mot ! Avant 2006, j’avais très vite compris que Yayi était un boulimique du travail. Très lève-tôt, il était généralement sur pieds à 5h, quelque soit l’heure à laquelle il se couchait. J’ai pu m’en rendre compte pendant ces nombreux week-end que nous passâmes dans sa résidence privée d’alors à Tchaourou.

C’était cet immeuble blanc massif au style colonial, bordé de filaos qu’aucun usager de la voie inter-États ne pouvait louper. Ce bâtiment me paraissait toujours très singulier, vu le très peu de capacité d’hébergement qu’il offrait, malgré sa taille très voyante. On pouvait traverser toutes sa largeur en quelques petits pas.

Yayi, disais-je, était un lève-tôt. Et pendant que je tournais paresseusement dans mon lit, accablé par le long voyage de la veille, sur des pistes rurales généralement en mauvais état, je pouvais l’entendre, depuis sa chambre à coucher, fredonner a voix intelligible des cantiques protestants. La fréquence de sa voix me renseignait qu’il exécutait les cantiques en vaquant à ses occupations. Il les chantait juste, il les chantait de mémoire, il les chantait avec une incroyable précision.

En français et en nagot, il les chantait peut-être pendant une demi-heure, puis passait réveiller la maisonnée. Il lui arrivait de passer personnellement toquer sur chaque porte. Se réveiller aussi tôt avait surtout un côté très pratique. Car en ce moment-là, faire un petit déjeuner à Tchaourou était un vrai casse-tête.

La petite ville qui n’était couverte par aucun réseau GSM, n’avait pas non plus la moindre boulangerie. Alors le vieux chauffeur Tankpinou devait se rendre jusqu’à… Parakou pour la moindre baguette de pain. Entre-temps, je pouvais apercevoir Yayi, seul, déambulant lentement, en pyjama, dans la vaste cour de la propriété, une petite radio vissée à l’oreille.
Il était très matinale sur les informations.

Et cette habitude qu’il conservera après son élection à la présidence de la république, fera le malheur de toutes ses équipes de communication. Je fus d’ailleurs très surpris de remarquer un jour la présence de ce même poste radio que je connaissais très bien, dans son bureau à la Marina. Il suivait lui-même tous les programmes d’information, en commençant par « la grogne matinale » dont il mémorisait pour la journée toutes les interventions. Il se câblait ensuite sur la matinale de Canal 3.

Avec le temps, il connaissait tous les journaux qui passaient sur la revue des titres. Il devrait aussi bien connaître Sulpice Oscar Gbaguidi qui, derrière ses lunettes sombres de Mariam & Amadou, pouvait lui pourrir l’humeur sur plusieurs jours. Le problème, c’est que Yayi nous contraignait à adopter le même rythme que lui. Ce qui avait le don de m’agacer profondément.

J’avais beau essayer de lui montrer le danger qu’il courait en allant de lui- même au contact avec les parutions des journaux, il y voyait plutôt un aveu d’incompétence de ma part. Et quand dans son bureau ce matin, je découvris ce qui le tracassait, je ne pu m’empêcher de me dire en moi-même : « pauvre de lui… »

C’est que je savais avant la grande majorité des Béninois, qu’une fois élu, le président Yayi serait un problème pour la presse autant que la presse le serait pour lui. Je l’ai sû un jour de 2004 quand , comme à son habitude, il me téléphona pour échanger un peu sur l’actualité du pays. Mais je sentis très vite que quelque chose n’allait pas. Sa voix était plus rauque que d’habitude. « Tiburce, tu as vu le journal Fraternité ? Qui en est le propriétaire ?« .

Surpris, je bredouillai quelques mots puis lui demandai de m’accorder quelques minutes pour y jeter un coup d’œil. Le journal était en effet dans le lot des journaux éparpillés sur la table devant moi. J’étais encore au journal « Le Progrès ». Je le pris fébrilement et découvris un petit article en bas de Une, signé Seibou Larry. Ce qui était plutôt rare. Je parcourus rapidement l’article et remarquai le bout de phrase qui , légitimement, provoquait l’indignation de Yayi. Sans raison compréhensible, l’article, dans sa chute, s’en était pris violemment à son physique…!

Curieusement je retrouvai le même article à la Une de L’Aurore et signé d’un certain Pierre Kouma. Professionnellement, c’était une grosse faute. Mon confrère et complice dans l’aventure, Serge Loko m’eût été d’une grande utilité en ce moment précis. Il connaissait mieux que moi le microcosme politico-médiatique et avait un niveau d’analyse politique qu’on prenait rarement à défaut.

C’était d’ailleurs lui qui fut à l’initiative de l’article publié deux ans plus tôt par le journal  » Le Progrès  » et qui alluma la fusée médiatique Yayi. J’avais d’ailleurs fait geler sur plusieurs jours la publication dudit article en lui demandant chaque jour de me reprendre sa démonstration. Puis un vendredi, le journal lâcha enfin la bombe. Mais Serge était désormais de moins en moins présent à la rédaction. Il s’investissait dans un autre secteur d’activité. Je devais trouver seul les ressources pour parler à Yayi.

Mon embarras fut donc grand lorsque mon téléphone sonna à nouveau et que je vis le numéro de Yayi réapparaître sur l’écran. Volontairement, je le laissai sonner très longuement, le temps de rassembler mes idées. Quand je finis par décrocher, je compris au bout d’une heure de roulement de mer, que notre presse irait devant une confrontation directe après le départ du Général Mathieu Kérékou.

Tout ce souvenir me revint en flash au moment où avec mes deux autres collègues, nous nous séparions sur l’esplanade avec des mous d’impuissance et que chacun prenait la direction de son bureau. Ce soir sur le plateau de l’Ortb, la grande solution viendrait enfin peut-être de Lionel Agbo. Je me promis de rester calé devant mon téléviseur….

Mémoires de Chaudron épisode 5

En remontant ce jour-là les escaliers en colimaçon qui donnaient sur le dernier étage du bâtiment de l’intendance du palais, où se trouvait mon bureau, je ne pus m’empêcher de repenser à la visite marquante que me rendit « Maman Glessougbe » , un jour de janvier 2016 à mon domicile dans l’arrière-banlieue de Akassato.

La soixantaine dépassée, cette brave femme n’en avait pas moins gardé sa vivacité d’esprit et sa combativité. C’était une mobilisatrice de renom dans toute la zone de Vidolé à Abomey. Ce fut donc à bon escient que j’allai faire du prosélytisme chez elle quelques mois plus tôt, lors de l’une de mes descentes à Abomey. Elle marqua beaucoup de réserve, étant déjà sollicitée dans les structures locales de campagne du candidat Adrien Houngbedji. Je dus donc lâcher prise et battre en retraite, en faisant contre mauvaise fortune bon coeur.

Ma surprise fut donc grande lorsque ce jour-là, alors que je récupérais, chez moi, de la grande fatigue de l’organisation de l’investiture du candidat Yayi Boni, au palais des sport de l’anciennement stade de l’amitié et au cours de laquelle se révéla l’artiste GG Lapino, la dame s’annonça à mon portail. Non sans méfiance, je la fit introduire dans mon séjour. A la gravité de son regard et aux petits toussotements qu’elle émit après que je lui eu servi de l’eau, je compris qu’elle avait quelque chose de préoccupant à me dire. N’étant pas de nature à apprécier les suspens, je l’aidai immédiatement à accoucher.

« Mon garçon, enclencha-t-elle, je viens comme ça d’Abomey, juste pour te parler. J’ai déjà parlé avec ton père et ta mère qui m’ont proposé de venir te parler directement. Ils regrettent ne plus pouvoir traiter certains sujets avec toi depuis que tu es devenu sisinnon ( chrétien évangélique). Mais à mon âge, on ne prend pas une grande décision, sans d’abord aller « prendre ça voir« . Eh bien je l’ai fait à propos de ton monsieur ( gnan towe). Je suis allée chez un de mes vieux à qui le fâ est encore très soumis. L’oracle n’a pas begayé. C’est du djogbe. Tous les cauris sont ouverts. Ce que tu nous apportes sur la terre des dadas est solide.

Elle marqua une courte pause, essaya d’évaluer l’effet que cette déclaration me faisait, puis reprit : « mais c’est la mise en garde qui a accompagné la parole de l’oracle qui me motive à venir te voir. Ton messieur sera élu haut les mains. Mais le fâ prévient que quiconque l’aidera à prendre le pouvoir, en gardera une immense amertume« . Elle se tut à nouveau pour provoquer une réaction de ma part. Mais sans savoir pourquoi, ses révélations ne me firent pas le moindre effet. L’éclatant succès de la cérémonie de déclaration de candidature de la veille me grisait encore. J’étais gonflé à bloc. Plus rien ne pouvait arriver, pensais-je.

La pauvre dame, voyant le peu d’intérêt que produisait sur moi sa démarche, conclut la séance de façon presque lapidaire : « dahovi (prince en langue locale fongbé – ndlr), c’est juste cette mise en garde que je tenais à te porter. Si ça marche pour toi, ça marchera nous aussi« . Puis elle ajouta, sur le ton de la plaisanterie :  » je vois vraiment que les sisin nous ont arracher nous enfants les plus chers ». Je répondis par une autre blague dont je ne me souviens plus, mais qui eut le double avantage de détendre l’ambiance et de fermer le sujet.

Cependant, j’avais beau être sisinnon, cette visite s’installa durablement quelque part , sur le disque dur de mon esprit. Et la première personne sur qui je commençai par constater la douloureuse réalité de cette révélation n’était ni plus ni moins Charles Toko. Mon contact avec Charles était assez distante et vague jusqu’à ce jour de début 2004, quand je reçus son coup de fil, me demandant si je pouvais passer le voir à son bureau sis à Atinkanmey.

Nous avions bien quelque chose de commun et ce n’était pas Yayi Boni. Nous étions tous deux du quartier Yebouberi à Parakou. Moi pour y être né et lui pour en être autochtone. J’avais fait comme lui le CEG1, mais lui devait avoir six où sept années académiques sur moi. C’était donc un grand frère du quartier mais qui était si effacé que quand je découvris sa signature des années plus tard dans une ancienne parution du journal des étudiants « Le Héraut », je ne pouvais plus faire le lien avec sa personne.

D’ailleurs ce n’était pas Charles qui marqua les papilles gustatives de tous les enfants du quartier Yebouberi de Parakou. C’était sa mère. Elle avait établi sa solide notoriété de boulangère traditionnelle, avec ses boulettes de pain doré au goût sucré- salé et que nous appelions  » pain Baba Moussa ». Ses fourneaux en terre cuite dressés au centre de la maison Baba Moussa, en face de la mosquée centrale de la ville, nous maintinrent longtemps captifs. Voilà sommairement ce qui pouvait être nos liens, jusqu’à notre contact de ce soir-là.

Arrivé à Atinkanmey, je le trouvai très motivé et surtout entreprenant. J’en fis immédiatement un compte-rendu enthousiaste à Yayi qui , tout en prenant positivement ce ralliement qui lui tombait sur la tête, se montra néanmoins très circonspect.  » Maintiens le contact avec lui » , m’avait-il finalement ordonné. Puis l’incroyable énergie de Charles entra dans le jeu et changea profondément la physionomie du dossier Yayi. Au fil de nos contacts devenus quotidiennes, je découvrais un peu plus ce personnage singulier qui ne pliait pas, mais qui cassait très vite.

C’était un émotif fragile, mais surtout un travailleur acharné qui croyait autant à la vertus de l’effort rationnel qu’aux solutions irrationnelles venus de quelque lieu ésotérique de Gamia ou de Kouandé. Les deux années que je passai avec lui, à travers des réunions politiques secrètes, des comités de réaction, des petits cercles de barbouzes, me montrèrent son niveau d’engagement au yayisme naissant. C’était lui qui me présenta pour la première fois Edgard Guidibi et Didier Aplogan.

Mon premier contact physique avec Edgard Guidibi eut lieu dans le bureau de Charles à Atinkanmey, un soir de 2005. Edgard y était déjà quand j’arrivai. Je le trouvai à son aise cet étroit bureau encombré où nous passâmes une demi-heure. Je l’avais déjà suivi quelques fois avec beaucoup d’incrédulité, quand il développait ses théories de Dale Carnegie sur la télévision nationale. Mais c’est ce que Charles m’en a dit ce soir-là qui suscita mon intérêt pour lui. « Tiburce, m’avait-il dit, il est brillant et peut nous aider« .

Guidibi prit alors la parole sans complexe et nous fit un cours magistral de développement personnel qui eut le don de m’agacer furieusement. Pendant son développement, Charles saisit une feuille de papier qu’il se mit en défi de plier et de rendre le plus petit possible avant de l’envoyer dans la bouche pour d’intenses moments de machouillage. C’était bien la preuve que Guidibi l’ennuyait déjà aussi. Puis le jeune orateur finit par la question que nous redoutions le plus : « votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ?« .

Je laissai lâchement Charles s’occuper de la patate chaude. Je n’ai pas grande mémoire de ce qu’il répondit. Je me souviens par contre comme si c’était hier, du verdict de Guidibi : « votre gars a peut-être toutes ses chances. Mais si dans trois mois il ne parvient pas à mobiliser les moyens de ses ambitions, il sera trop tard« . Je repartis de Atinkanmey, un peu assommé. Je ne revis plus Guidibi qu’après le 06 Avril 2006, quand Yayi m’envoya lui remettre mon Curriculum Vitæ…

La suite des « Mémoires du chaudron » dans nos prochaines parutions.

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