Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : la « Mémoire du chaudron » (épisode 6 à 8)

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend public ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés les « Mémoires du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici les épisodes 6, 7 et 8 des « Mémoires du chaudron ».

[su_heading size= »17″]A (re)lire : Bénin – dans les méandres du pouvoir Yayi : les « Mémoires du chaudron » (épisode 1 à 5) [/su_heading]

Mémoires de Chaudron épisode 6

Il devrait sonner 22h lorsque je pris congé du nouveau président de la république élu, Yayi Boni à Cadjehoun. C’était la seconde fois que j’obtenais un face à face avec lui depuis son élection. La première fois , c’était le soir de la proclamation des résultats du second tour. Le domicile était plongé dans un calme si inhabituel que je crus un moment que le maître des lieux était absent. Mais il était bien là, aussi seul dans son séjour. Un léger dispositif sécuritaire se mettait déjà en place, mais le soldat en faction au portail manquait encore d’assurance et n’avait pas encore la main assez autoritaire pour me bloquer le passage.

Quand j’entrai dans le salon, je vis Yayi assis, tout frais, habillé d’une simple chemise et lisant une autobiographie de Abdoulaye Wade. Je me dirigeai vers lui en murmurant un timide « félicitation monsieur le président », comme si j’attendais encore une autre preuve de son élection.  » Tiburce « , répondit-il en me tendant mollement sa main que je remuai énergétiquement. J’eus immédiatement un flash après ce geste. Je crois que je venais de faire une bêtise. C’était à lui de remuer ma main. Ce genre d’erreur coûtera la disgrâce à tant de personnes pendant les dix années suivantes.

Ce soir, je comprenais mal ce qui arrivait. Yayi et moi avions passé près de deux heures à jouer au chat et à la souris. Il changeait prestement de sujet chaque fois que j’abordais les perspectives d’après victoire. Son premier gouvernement était déjà connu. Quant à son cabinet civile, les choses semblaient piétiner. Après la nomination de Ahmed Akobi à la direction du cabinet civile, Nicaise Fagnon et Jonas Gbian avaient pris bureau à la présidence sur ses instructions, mais aucune nomination officielle n’était encore intervenue pour officialiser le statut de ces deux derniers.

Les premiers jours d’après victoire sont souvent très malaisés pour ceux qui ont joué un rôle ostentatoire dans la victoire d’un président de la république. Il leur faut pouvoir expliquer, au quotidien, à tous ceux qui les ont vu évoluer durant la rude bataille électorale, les raisons de leur absence dans les premières nominations. Exercice hautement agaçant, surtout qu’après la victoire, ils ne tiennent plus solidement aucune corde.

Sur la petite véranda donnant accès au séjour, je vis le garde du corps principal, un peu perdu dans ses méditations. C’est bien lui qui m’avait facilité le rendez-vous et qui m’avait introduit. C’est avec lui que, depuis plus de trois ans, nous avions parcouru le pays dans tous les sens en compagnie du prétendant au fauteuil présidentiel. Aujourd’hui le fruit est mûr, mais un orage d’un genre inconnu couvait à l’horizon.

Je l’entraînai par la main jusqu’au portail pour lui faire le point des deux heures stériles que je venais de passer avec le président.  » Il me demande d’aller voir Guidibi  » lui dis-je, excédé. Il lâcha un bref soupir d’impuissance, puis au bout d’un moment de silence, me demanda ce que je comptais faire. « Je rentre directement chez moi », lui répondis-je.  » Tu ne perds rien à faire comme il te l’a dit« , temporisa-t-il, avant de me confier sur le ton de la confidence : « Ça tombe d’ailleurs bien. Guidibi doit être actuellement dans la maison en face. C’est chez sa belle-mère. La voiture allemande stationnée devant le portail est la sienne. Je te conseille de faire profil bas et d’aller l’écouter. Tu pourras ensuite apprécier« .

Il profita pour me confia une ou deux « top infos » qui me montrèrent que les carottes étaient totalement cuites. C’est que le père Guidibi, sollicité par le nouvel élu pour gérer la chasse aux bonnes têtes, n’alla pas loin chercher son premier trophée : son propre fils…! Il lui arrangea rapidement une série de rencontres avec Yayi à l’issue desquelle ce dernier sortait totalement bluffé. Il fallait dorénavant faire avec.

Franchir cette ruelle cabossée qui me séparait de cette maison où se trouvait Edgard, fut pour moi l’une des plus terribles épreuves de brisement dont j’ai souvenance. Je poussai le petit portillon vert puis pénétrai dans la petite cour encore animée à cette heure. J’aperçus Edgard Guidibi dont les rondeurs étaient reconnaissables entre mille. Il faisait des petits va- et-viens dans la demi-obscurité. En m’approchant de plus près, je remarquai des écouteurs dans ses oreilles. Il était au téléphone. Je lui fis un signe un peu confus et il me tendit directement la main tout en continuant sa conversation téléphonique.

Il enchaina avec un geste du pouce qui signifiait qu’il me demandait de patienter.
L’attente ne dura pas longtemps. Aussitôt libéré de ses écouteurs, il me retendit plus franchement la main et se présenta : « Edgard Guidibi« , « Tiburce Adagbè« , répondis-je. « Le président me demande de te voir« , enchaînai-je. « Ok je vois. Vous devez certainement faire partie de mon équipe de communication« , dit-il, avant d’enchaîner innocemment : « Je travaille depuis trois jours sur l’architecture générale de la cellule de communication du président de la république dont j’ai la charge. Je suis encore à l’étape de la définition des profils. Tu fais quoi exactement ?« , « Journaliste » répondis-je sèchement.

Puis sans perdre son naturel, il me dit qu’il aurait certainement besoin d’un profil comme le mien et qu’il attendait mon curriculum vitæ pour le lendemain. En ressortant de la maison, toute la scène de notre première rencontre dans le bureau de Charles à Atinkanmey me revint à l’esprit. Mais encore plus, sa question presque fatale « votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ?« .

Mais je dois à la vérité de reconnaître qu’il avait posé sa question au bon moment. Et il l’avait posée juste. Car en 2005, à un an de la présidentielle, notre machine était grippée, inopérationnelle. Le problème ? Il n’y avait pas d’argent. Yayi avait beau jouer avec le temps en repoussant toujours à plus tard le moment de sortir le nerf de la guerre, je compris très vite qu’il était loin d’avoir les moyens financiers de la bataille qui s’annonçait.

Et je pense d’ailleurs que Charles Toko aussi s’en était rapidement aperçu. Mais lui et moi n’en discutions jamais, peut-être par pudeur. Les mécènes qui s’étaient annoncés, se faisaient de plus en plus désirer, surtout avec le regain d’activité des tenants du courant favorable à la révision de la constitution pour le maintien du Général Mathieu Kerekou au pouvoir.

Cette conjoncture profita à un personnage comme Razaki Baba-Tunde Olofindji, plus couramment connu sous le nom de Tunde. Celui-ci prit une importance soudaine par la floraison des titres généralement douteux qu’il faisait placer chaque jour à la Une des journaux « Le Challenge » et « Djakpata ». Tunde était en effet un homme irascible, peu enclin à une quelconque ouverture d’esprit.

Dès qu’il avait une idée, elle devenait définitive pour autant que les moyens de sa mise en oeuvre devait venir de sa bourse. Alors nous découvrions chaque matin, avec impuissance, des titres bonbon comme « Yayi Boni, l’homme populaire » à la Une des journaux. Un encart sur les cahiers « Le papillon » n’était, bien entendu, jamais loin des articles. Le plus insupportable pour moi, c’est cet appel que je pouvais parfois recevoir vers la mi-journée de la part de Tunde et au bout duquel je devais le féliciter pour la brillance de ses titrailles.

C’est dire à quel point la situation, à un moment donné, paraissait désespéré. Et c’était justement en ce moment précis que Edgard nous infligea sa féroce question : « votre gars a-t-il les moyens de ses ambitions ?« . Puis un soir d’Août 2005, Charles me téléphona, très enthousiaste : « Tiburce, on a gagné. C’est plié. Patrice est rentré dans la danse« . « C’est qui Patrice ?« , lui demandai-je. « Tu ne connais pas Patrice Talon ? Viens…viens…viens ! Je suis au bureau« …

Mémoires de Chaudron épisode 7

Impossible de remonter à pas de charge l’étroite cage d’escaliers torsadée qui menait au bureau de Charles Toko, à Atinkanmey. Il fallait s’assurer, avant de poser le pied sur la première marche, que personne , du haut, ne faisait mouvement dans le sens inverse. L’étroitesse de la cage d’escaliers était en effet telle que l’un des deux usagers devait patienter que l’autre sorte du toboggan. Quand donc je surgis à l’accueil, au bout de ce drôle de mouvement de tournoiement sur moi-même comme un tire-bouchon dans un morceau de liège, le sourire rafraîchissant de Monique, la secrétaire, ne fut pas la moindre de mes récompenses.

Elle m’autorisa à aller directement sonner sur la porte du bureau de son patron. C’est qu’à force de me voir venir là, elle avait fini par ne plus juger nécessaire la protocolaire annonce de visiteur par interphone. De toutes les façons, Charles avait truffé de caméras de vidéo-surveillance, tout le parcours qui montait jusqu’à lui, de sorte que le visiteur averti, avait conscience d’être aperçu depuis qu’il stationnait sur la petite devanture sablonneuse de l’immeuble, souvent encombrée des motocyclettes des journalistes et autres agents du journal Le Matinal. Je m’engageai donc avec reconnaissance dans le couloir qui menait au bureau du DG. A peine étais-je sur le pieds de la porte que, dans un bourdonnement épais, celle-ci s’ouvrit.

Charles était là, visiblement affairé sur son ordinateur portatif posé sur la table.  » Hé Tiburce, on est sauvé…walaï », me lança-t-il avant même que j’eusse pris siège en face de lui. « Parle- moi Charles, il semble que les nouvelles sont bonnes ? » questionnai-je.  » Ah oui oui, elles sont même excellentes. Dis-moi, tu ne connais donc vraiment pas Patrice Talon ? », fit il en se détachant dare dare de son ordinateur.

« Non Charles. J’ai peut-être déjà entendu parler de ce nom quelques fois. Mais je n’y ai jamais accordé un intérêt. Est-ce lui le propriétaire des camions marqués sur leurs battants arrière des initiaux PT ? » lui demandai-je. Puis sans attendre la réponse, je l’encourageai à lâcher le morceau en me disant ce que ce Patrice venait chercher dans notre affaire et ce que cela changerait concrètement. « Tiburce, me confia-t-il, tu ne connais pas Patrice mais tu vas le connaître bientôt. C’est l’homme le plus riche du Bénin, mais aussi le plus effacé. Il a décidé de soutenir Yayi Boni. Et il ne fait pas les choses à moitié. Il me l’a confirmé cet après-midi. Il veut qu’on aille désormais très vite. Siège de campagne, budget de fonctionnement sur les six prochains mois« .

Je demeurai un moment songeur. Qui était donc ce Patrice Talon et quel intérêt aurait-il à dépenser autant pour un candidat de la bouche de qui je n’avais jamais entendu prononcer son nom ? Avait-il pris langue avec Yayi ? Et si oui, pourquoi celui-ci aurait gardé un silence aussi étanche autour de l’arrivée de ce bon samaritain ?. « Charles, Dieu est grand », finis-je par dire. » Nous foncions droit dans le mur. La situation sur le terrain devenait intenable ». Mon interlocuteur se leva, s’étira, laissant claquer sèchement ses articulations puis disparut dans la petite salle de toilette dont la porte était juste dans le dos de son fauteuil directeur.

Quelques images de call-girls en simple appareil défilaient silencieusement en mode diaporama sur l’écran de son ordinateur placé en biais. Il réapparut quelques instants plus tard dans un vacarme assourdissant de chasse-d’eau tirée. Tiburce, relança-t-il en se rasseyant, je ne vois plus comment on peut perdre avec Talon de notre côté. Maintenant il faut qu’on prenne les choses en mains. Adam Bagoudou et une équipe sont chargés de trouver rapidement un bon locale pour le siège de campagne.

Pour la communication, je vais demandé à Didier Aplogan de se joindre à nous. Tu le connais, non ? Je fis non de la tête. Il est bon, me rassura-t-il, il gère la branche locale d’une grande agence de publicité dont les bureaux sont à cadjehoun. C’est vrai qu’il m’a dit récemment que les gens de Houngbédji lui mettaient la pression, mais il viendra avec nous. Si tu as aussi d’autres personnes de confiance, on étoffe l’équipe.

Je peux te jurer sur la tombe de ma maman, que s’il me restait un seul ami à Cotonou, ce serait Patrice. Il m’a aidé à un moment crucial de mon parcours, quand tous ceux sur qui je comptais me mettaient sur répondeur. C’était quand je courais pour lancer le journal Le Matinal. Il m’a fait un chèque de 8 millions sans demander aucune garantie. Et quand au bout du processus de création de la société, j’étais allé lui faire signer les documents consacrant son statut d’associé, il avait décliné l’offre. J’en ai été profondément marqué.

Et depuis, je garde avec lui une relation fondée sur le respect mutuel. Je ne lui demande plus jamais rien, alors que je sais qu’il aurait réagit positivement si je le faisais. Avec le temps de fréquentation assidue que j’avais déjà passé avec lui, je savais que Charles aimait les formules faussement définitives, les grandes affirmations émotionnelles qu’il faisait invariablement cautionner par la tête ou le tombeau de sa maman. Néanmoins, cette présentation qu’il me fit de ses relations avec Patrice Talon me marqua spécialement.

« Bon Tiburce, reprit-il, vos faux riches là peuvent maintenant aller se cacher« . « Charles, répondis- je sur un ton d’humour qui me prenait souvent à l’improviste, n’oublie pas que Tunde lui au moins fait « Papa Mimoune » einh…« . Il éclata franchement de rire. J’eus alors une énième occasion de comparer ses traits avec une caricature de lui, signé du célèbre dessinateur de presse Amoussou Évariste Folly et qui était accrochée sur un mur du bureau. En prenant congé de lui, je continuais de me demander cyniquement si c’était une caricature…ou un portrait.

Je venais à peine de passer le carrefour en face de l’église Saint- Michel, la tête un peu dans les nuages, quand mon téléphone sonna. Sachant que j’en aurais pour au moins trois quart d’heures de conversation, je me donnai d’abord le temps de garer convenablement sur le trottoir. Le téléphone sonna longuement puis se tut. C’était Yayi. J’attendis qu’il rappelle.

De toutes les façons, quand c’est lui qui avait besoin de vous, vous n’aviez pas besoin de vous gêner. Et bientôt le téléphone se remit à sonner. Le ton naturel sur lequel il enclencha la conversation me surpris. Patrice Talon avait donné son accord pour lui faire du « tout fourni » et lui ne semblait même pas en être informé ? Quelle affaire !! Je décidai alors, à un moment de la conversation, de prendre le devant et de lui faire le compte rendu de ma rencontre avec Charles.

Il m’écouta silencieusement puis, sans faire un quelconque commentaire, changea de sujet. Je sentais pour la première fois qu’une clé de lecture de la situation manquait à mon porte-clés. Je ne tarderai pas à la trouver. C’était une clé massive. Une clé infalsifiable. Une clé sans laquelle personne ne pouvait avoir la bonne lecture des dix années de relations Yayi-Talon…

Mémoires de Chaudron épisode 8

Cela faisait bientôt trois mois que le siège de campagne de Yayi Boni fonctionnait à plein régime. C’était une villa bourgeoise sise à la jointure des quartiers Jéricho et Bar Tito de Cotonou et appartenant aux héritiers Fèliho. D’une bâtisse presque en décrépitude, la maison fut rapidement transformée en une ruche débordante de vie qui s’animait très tôt le matin pour ne se désemplir que tard le soir.

Le duplex offrait suffisamment d’appartements au rez-de-chaussée pour abriter une grande salle multi fonctionnelle qui servait de salle d’accueil, des locaux du secrétariat général, un magasin, un ou deux bureaux vagues, puis une salle pour la cellule de communication. A l’étage auquel on accédait par un escalier central, se trouvait, outre deux salles de réunion, un bureau pour l’administrateur général du siège que nous appelions DC, enfin un vaste bureau lumineux aménagé avec grand soin, c’était le bureau du candidat que nous appelions déjà Président.

Avec Charles, j’occupais, en bas, la salle réservée à la cellule de communication et qui deviendra rapidement un passage obligé pour la quasi totalité des promoteurs de journaux à qui nous offrions quotidiennement une agréable raison de passer nous dire le  » bonjour « . Ceux parmi eux qui étaient d’un calibre supérieur et qui pouvaient nourrir quelque scrupule à se faire voir là, envoyaient se faire prendre le « bonjour ».

Charles m’avait responsabilisé pour ce contact médias et n’y intervenait que très rarement. D’ailleurs, son journal, Le Matinal, n’était jamais pris en compte. Il l’avait voulu ainsi. Cette expression de son engagement me surprenait. Je commençais donc ma journée très tôt au siège, par un survol des livraisons des journaux. Nos « bonjour » assidus pacifiaient l’essentiel des contenus.

Mais il n’était pas rare de tomber de temps à autres sur une ronce dissimulée en deuxième ou troisième de Une. Le DP, interpellé, se répendait alors en d’interminables escuses, prétextant toujours une traitrise de la part d’un de ses collaborateurs. Les journaux L’Indépendant et Le Béninois libéré étaient abonnés réguliers dans ce registre. Mais ce n’était pas d’eux que je reçus le coup le plus mémorable de cette période. C’était de Distel Amoussou, alors DP de Panorama, un journal aussi imprévisible dans son rythme de parution que dans son contenu.

Puisqu’il nous arrivait de recevoir des coups, nous en donnions aussi régulièrement, et parfois avec une paume plus vigoureuse que celle utilisée pour nous baffer. Et en la matière, Charles devint rapidement une école pour moi. Ce jour-là, un article paru dans deux ou trois journaux, nous mit particulièrement de mauvaise humeur. Dans ce petit monde de la presse, les informations allaient vite et il n’était généralement pas difficile de connaître le commanditaire ou le marionnettiste caché derrière un pareil acte de guerre. Nous n’eûmes pas un grand mal à porter dare dare nos accusations sur Malik Gomina.

Je dois préciser qu’une féroce inimitié dont j’avais du mal à cerner les vraies raisons, l’opposait à Charles. Ce contexte eut rapidement un effet grossissant sur l’article paru dans les journaux et hostile à Yayi, dont Charles tenait responsable Gomina. Oeil pour Oeil, dent pour dent, la réplique devrait être rapide et foudroyante. Un dossier brûlant, concernant Fraternité FM à Parakou, radio dont Malik était le promoteur, nous tomba opportunément dans les mains en début d’après-midi. Charles me chargea de la rédaction du brûlot qui aurait fait immédiatement ajourner le paiement d’une facture d’un montant conséquent à la radio par l’administration.

Le plus difficile ne fut pas de rédiger l’article de presse. Encore faudrait-il trouver un journal capable de le publier. Car nous ne sous-estimions pas la densité du réseau d’information que Gomina avait tissé dans la moindre des rédactions. Notre casting retint finalement Distel. C’était le seul capable d’accepter l’offre. Pour avoir passé mes premières années au journal Le Progrès avec lui, je savais de quoi il était capable quand la mise était bonne. Je l’avertis vers 20h que j’avais quelque chose d’intéressant. A sa façon excessive de me remercier, je compris que les temps étaient durs pour lui et qu’il accepterait n’importe quoi.

Malgré ses relances persistantes, je laissai passer minuit pour me pointer devant sa rédaction à Zogbo. Il ne me donna pas l’air de s’intéresser au contenue du texte que je lui remis. Son centre d’intérêt était ailleurs. Je lui promis le « bonjour » dès la parution de mon texte, puis pris congé de lui. Il fut le premier à me téléphoner au petit matin. Il voulait me remettre un exemplaire de sa parution pour, bien entendu, être réglé. Il me mit une telle pression qu’à peine rentré dans la ville de Cotonou, je dû le rencontrer sur l’esplanade du stade pour solder mes comptes avec lui.

Malgré l’heure matinale, d’épaisses volutes de fumée voilaient de temps en temps son visage. Il me tendit le journal puis je lui serrai d’une certaine façon la main, avant de foncer vers Bar Tito. A mon arrivée, Charles n’y était pas encore. Il avait dû trainer tard dans le bureau avec un de ses marabouts qu’il y faisait nuitamment venir pour des séances de blindage et de conjuration de sort. Les rondelles d’oignon que j’y retrouvais quelques fois les matins, en étaient souvent de tangibles indicateurs.

Je lui téléphonai donc avec satisfaction pour lui faire le point du coup avec Distel. Il m’en félicita puis me demanda de bien lui conserver l’exemplaire. Mais vers 13h, alors que je déjeunais à quelques encablures du siège de campagne, mon téléphone sonna. Charles, à l’autre bout, me destabilisa en me demandant si j’étais sûr de mon affaire avec Distel. Bien sûr que oui, lui répondis-je. J’ai encore l’exemplaire du journal ici sur moi. Sans plus rien ajouter, il raccrocha.

Je compris plus tard que cet exemplaire de Panorama que j’exhibais comme un sabre de samouraï, était le seul en circulation… ! Distel avait revendu toute sa parution à Gomina qui la transforma en fumée et cendre, juste avant de se pointer à ma rencontre avec le seul exemplaire qu’il sauva des flammes pour néanmoins se faire payer à nouveau. Comme un idiot, je m’étais fait avoir…

Ainsi allait la vie à Bar Tito ; trépidante, vertigineuse, avec sur les soufflets du forgeron, un Patrice Talon si lointain, si invisible, mais si proche à la fois. Je remarquais bien de temps cette Mercedes sombre qui remontait lentement le long garage du bâtiment. Puis ensuite il m’était impossible de reconnaître dans les nombreuses silhouettes qui se mélangeaient dans le bâtiment, la sienne. On m’avait pourtant déja dit une fois, que Patrice Talon, c’était celui que je venais de croiser dans les escaliers et que je prenais pour un responsable d’étudiants. J’avais décidément du mal à l’identifier.

Un jour, on m’annonça une séance de travail à la cellule de communication, à laquelle devrait prendre part Patrice Talon en personne. L’occasion que j’attendais. Sur ce nom, j’allais enfin pouvoir définitivement mettre un visage… et un contenu !…

La suite des « Mémoires du chaudron » dans nos prochaines parutions.

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