Réforme du système partisan au Bénin : les pertinentes observations de Serge Agbodjan

Azalaï Hôtel de la plage sert depuis ce Jeudi 15 Février 2018 à un séminaire sur la réforme du système partisan, en relation avec la loi portant Charte des partis politiques en République du Bénin.

Sont présents  à ce séminaire les parlementaires, les acteurs politiques, les organisations de la société civile et autres personnalités politico – administratives, partenaires au développement qui, deux jours durant réfléchiront et apporteront leurs contributions pour enrichir la proposition de loi en étude sur la réforme du système partisan.

Sur cette réforme qui cristallise les énergies depuis un moment et qui est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique, le juriste et fiscaliste Serge Prince Agbodjan approfondie la question et tire l’attention des acteurs politiques sur la nécessité d’éviter de faire des réformes « trompe œil »  qui ne fera pas avancer le débat politique. Lire ci-dessous l’analyse de Serge Agbodjan et les questions qu’il soulève sur la question.

Analyse de Serge Agbodjan sur la réforme du système partisan:
Rappel historique sur la question:

« M. Patrice Talon, actuel Président de la République du Bénin, dans son discours d’investiture le 6 avril 2016 affirmait « avec force, que l’enracinement démocratique du Bénin est largement tributaire du système partisan qui est celui des Béninois et des valeurs qu’ensemble nous envisageons de promouvoir ».

Lors de son discours d’investiture le 15 juin 2015, Me Adrien Houngbédji, l’actuel président de l’Assemblée Nationale du Bénin, a insisté sur « l’impérieuse nécessité d’une réforme approfondie du système partisan béninois » afin de réduire le nombre de partis politiques, d’instaurer plus de démocratie en leur sein, de les amener à se bâtir autour de projets de société, etc… Sur le sujet tous les acteurs politiques y compris l’ancien Président de la République, le Président Boni YAYI au cours de sa sortie du 10 Février 2018, sont unanimes pour une réforme du système partisan au Bénin ».

Les limites du fonctionnement du système partisan:

« des lieux réalisé sur le sujet indique que le fonctionnement du système partisan au Bénin présente des limites. Au nombre de celles-ci, on peut citer l’inflation de partis politiques, environ 236 partis politiques enregistrés au Ministère de l’Intérieur. Cette inflation de partis ne donne pas forcément les résultats escomptés, mais a tôt fait d’engendrer des partis départementaux, régionaux voire ethniques, sans moyens (financiers, matériels et humains) nécessaires à leur fonctionnement et à l’animation réelle de la vie politique du pays. Le système partisan béninois génère une multitude de partis politiques qui se forment sans jamais pouvoir faire élire de représentant aux différents niveaux. Créés surtout en période électorale, avec la volonté affichée d’animer la vie politique, ils disparaissent après quelque temps.

Par ailleurs, la morale au sein de la classe politique est faible. Des alliances se créent et ne durent que le temps des élections, leurs protagonistes n’étant animés que par le but de remporter les élections. Des transhumances politiques ont lieu d’un camp vers un autre, sans concertation préalable des électeurs qui leur ont accordé leur suffrage. Il ressort de ce diagnostic dont la plus grande partie a été prise en compte dans l’exposé de motif de la proposition de loi portant charte des partis politiques au Bénin, deux éléments majeurs. Il s’agit de l’inflation de partis politiques au Bénin et l’absence du financement public des partis politiques. En se basant sur ces diagnostics, il n’y a aucune raison de résister à une réforme du système partisan au Bénin »

L’état des lieux ci-dessus présenté est erroné; selon le juriste:

. » Mais une lecture minutieuse et approfondie de la loi n° 2001 –21 du 21 février 2003 portant Charte des partis politiques en vigueur montre que cet état des lieux est erroné et pas juste(1).
Sur la base d’un état des lieux erroné, l’on a fait recours à des propositions de lois qui engendreront en l’état à une réforme biaisée avec des avancées problématiques (2).

1- Etat des lieux erroné et pas juste du système partisan béninois: En se basant sur la liste des partis et alliances de partis politiques publiés ces derniers jours via les réseaux sociaux, on peut retenir que le Bénin compte 236 partis politiques et 17 alliances de partis politiques enregistrés au Ministère de l’Intérieur. De cette liste et se basant sur les discours de plusieurs hommes politiques béninois, le Bénin est dans une « inflation des partis politiques ». Certains acteurs vont jusqu’à proposer la remise en cause de la décision de la Conférence Nationale qui a décidé du multipartisme intégral au Bénin.

Cette position qui semble affirmer qu’au Bénin, nous avons une multitude de partis politiques est erronée si on s’en tient à la loi n° 2001 –21 du 21 février 2003 portant Charte des Partis politiques en vigueur au Bénin.

En effet, selon l’article 7 de cette loi, il est clairement indiqué que « Les partis politiques sont tenus de participer aux élections nationales et locales. Tout parti politique perd son statut juridique s’il ne présente pas, seul ou en alliance de candidats à deux élections législatives consécutives. La décision de retrait de l’enregistrement délivré est prise par arrêté du ministre chargé de l’intérieur et publiée au journal officiel de la République du Bénin. Le recours en annulation contre l’arrêté du ministre chargé de l’intérieur est suspensif ».

A la lecture de cette disposition pourtant en vigueur, on en déduit que, peut être qualifié de parti politique au Bénin que le parti qui « présente seul ou en alliance de candidats à deux élections législatives consécutives ». Combien de partis régulièrement inscrits au Ministère de l’Intérieur présentent seul ou en alliance des candidats à deux élections législatives consécutives ?

A s’en tenir à la liste publiée, nous n’aurons qu’un nombre très limité qui seront en règle. On ne peut donc pas affirmer pour justifier notre réforme du système partisan « l’inflation des partis politiques au Bénin ». Affirmer ainsi est erroné. Et mener une réforme sur une pareille analyse montre déjà que le résultat attendu sera également biaisé. A s’en tenir au législateur de 2003, il fallait rigoureusement appliquer effectivement la loi pour savoir que le Bénin n’a pas une pléthore de partis politiques comme on aime bien nous le faire croire. Un autre grief avancé pour justifier la réforme du système partisan est l’absence du financement des partis politiques au Bénin.

Dire que l’Etat béninois n’assure pas par un financement public des partis politiques est également erroné. On peut reprocher l’insuffisance de ce financement, mais parler de l’absence de financement public n’est pas également juste. En effet, selon les articles 33 et 40 de la loi n° 2001 –21 du 21 février 2003 portant Charte des Partis politiques en vigueur, le législateur a bel et bien prévu dans les ressources externes des partis politiques « les subventions et autres aides de l’Etat ».

Le législateur est allé plus loin en décidant d’attribuer une aide financière annuelle de l’Etat à chaque député. Si l’on sait qu’avant d’être député, l’on doit provenir obligatoirement d’un parti politique, il n’est pas juste d’affirmer que l’Etat n’apporte pas un financement aux partis politiques au Bénin. Ce montant minima attribué annuellement en plus des émoluments et divers avantages accordés aux députés béninois confirme bien que le financement public existe. Le débat peut se porter sur l’augmentation de cette aide financière ou subvention. Selon l’article 40 de la loi portant Charte des partis politiques, il est mentionné que : « Les partis politiques régulièrement inscrits et ayant au moins un (01) député bénéficient d’une aide financière annuelle de l’Etat.

Le montant de cette aide financière est fixé par décret pris en conseil des ministres. En tout état de cause, cette aide ne peut être inférieure à cinq millions (5.000.000) de francs par député élu. La répartition de cette aide se fera au prorata du nombre de députés obtenus par chaque parti politique ». Un simple calcul montre que pour les 83 députés de notre Assemblée nationale à raison du minima de 5 millions de FCFA par an, le Bénin débourse aux partis politiques via les députés qui les représentent un minimum annuel de 415 millions de FCFA.

Si on multiplie ce montant sur les 15 ans d’existence de cette loi (Février 2003 à Février 2018) l’Etat béninois a déjà versé environ 6 milliards 225 millions aux députés sans compter les émoluments et autres avantages accordés à ces derniers donc aux partis politiques. Cette analyse ne vient pas dire que ce montant est excessif vu la mission importante assignée aux partis politiques.

Elle tient à affirmer que l’absence de financement de nos partis politiques évoquée dans l’Etat des lieux pour justifier la réforme n’est pas tout à fait juste. L’analyse des propositions de loi : A s’en tenir aux propositions de lois prévues pour assurer la réforme du système partisan, nous sommes en mesure d’affirmer que si la proposition de loi est votée en l’état, nous assisterons à une réforme inachevée avec des avancées problématiques. Réforme inachevée avec des avancées problématiques. Une réforme du système partisan béninois qui ne propose pas la fin de la « transhumance ou la nomadisme politique » est inachevée et n’a aucun intérêt pour les citoyens béninois.

Financer des personnes qui violent les règles de base de leur élection est non seulement une forfaiture à l’égard du citoyen électeur mais aussi une attaque à la morale et l’éthique étant entendu que l’homme politique doit être aussi un « éducateur » de la société. Et pourtant c’est à ce jeu malsain dépourvu de moral que nos acteurs politiques nous ont tout le temps livré.

Quid de la nouvelle réforme:

« Que nous propose la nouvelle réforme ? La proposition de loi de la majorité parlementaire indique que : « Article 58 : Un membre d’un parti politique peut démissionner de son parti d’origine pour un autre. Article 59 : En cas de démission ou d’exclusion d’un parti politique dans le respect des dispositions de ses statuts et de son règlement intérieur, tout élu national ou local de ce parti perd ses fonctions dans les instances de l’assemblée nationale, des conseils communaux et municipaux, des conseils de village ou de quartier de ville. Il perd également le bénéfice du financement public ainsi que les avantages de toute nature liés à ses fonctions.

A la demande de l’élu lui-même ou du parti politique, l’ANESP saisie l’organe compétent de l’assemblée concernée pour la mise en application des dispositions prévues à l’alinéa ci-dessus. Toutefois l’élu conserve son mandat ». Il ressort de cette disposition qu’un membre d’un parti politique peut démissionner de son parti d’origine pour un autre mais que ce dernier conserve son mandat. La seule chose que ce démissionnaire perd reste les fonctions qu’il assumait en tant que membre du parti qu’il a quitté.

Cette proposition ne règle aucunement la question de la transhumance ou du nomadisme politique. Si dans la pratique observée jusque là, les membres des partis politiques ont des divergences qui pour la plupart se règlent devant les juridictions, aucune disposition interne n’est généralement prévue pour obliger les parties à d’abord tenter le règlement du litige en leur sein. La démarche préconisée par certaines lois régissant les partis politiques ailleurs est d’obliger les parties à tenter le règlement des litiges devant un organe du parti avant toute démarche devant les juridictions.

Le projet de loi actuellement en étude ne prend aucune disposition pour régler ce problème qui est pourtant préoccupant actuellement vu les nombreux litiges qui sont pendants devant les juridictions béninoises. Sans continuer sur d’autres réformes manquées dans le projet, il est à constater que les avancées proposées dans le projet de loi sont problématiques et difficiles à appliquer.

Les avancées proposées par la nouvelle proposition sont problématiques:

« Avancées problématiques et difficiles à appliquer La proposition de loi indique en son article 21 que le nombre des membres fondateurs d’un parti politique ne doit pas être inférieur à cent (100) par commune soit 7700 personnes dans les 77 communes que compte le Bénin.

Il est donc clair que si l’on s’en tient à la terminologie de la notion de « membres fondateurs » dont l’âge ni les interdits légaux ne sont pas affirmés doivent obligatoirement participer à l’Assemblée Constitutive du partis, participation qui donne la qualité de « membres fondateurs », l’on est bien en mesure de se demander les conditions de faisabilité de cette Assemblée. Ce nombre est bien excessif surtout que le projet prévoit également une autre disposition qui entraine le retrait ou la perte de la qualité de parti politique si l’on ne participe pas aux élections législatives.

Une autre proposition controversée qui devrait être pourtant une réforme attendue et saluée est l’organe de gestion des partis politiques. De manière générale, la tendance aujourd’hui est de confier à une structure autonome l’enregistrement et le suivi des partis politiques. Cette option a été choisie par la proposition mais les dispositions organisant cette structure annoncent déjà les conflits et la volonté de contrôler cette structure qui devrait être autonome.

Il s’agit des propositions d’articles 11, 15 et 16 de la proposition de loi. Selon l’article 11, Il est créé une structure administrative indépendante dénommée « Agence nationale d’enregistrement et de suivi des partis politiques (ANESP) ». Elle est dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie administrative et de gestion. Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé de l’intérieur. Quant à l’article 15, il indique que la direction exécutive est dirigée par un directeur exécutif nommé par décret pris en conseil des ministres après appel à candidature du ministre chargé de l’intérieur parmi les cadres de la catégorie A1 ayant au moins quinze (15) ans d’ancienneté dans la fonction publique ou parmi les cadres de niveau équivalent n’appartenant pas à la fonction publique.

L’article 16 vient affirmer que l’organisation et le fonctionnement du conseil d’administration et de la direction exécutive de l’ANESP sont définis par décret pris en conseil des ministres.

Des questions qui restent en suspens:

La lecture combinée des dispositions citées montrent une volonté de contrôle de la Direction exécutive de l’organe. Comment admettre que lorsque la structure exécutive a à sa tête un Conseil d’Administration, que le choix du directeur exécutif soit fait après appel à candidature du ministre chargé de l’intérieur ?

Dans le cas d’espèce, quels sont les rôles dévolus au Conseil d’Administration ? Pourquoi ne pas permettre au Conseil d’Administration de s’occuper du choix du Directeur Exécutif quitte à permettre la nomination de celui proposé par le Conseil d’Administration en Conseil des ministres ? Le législateur béninois n’est pas à une première expérience en matière de choix d’un responsable exécutif d’une structure autonome. Le cas illustratif est celui de l’organe exécutif d’une autre structure autonome qu’est la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA). Pourquoi ne pas prendre les dispositions contenues dans l’article 33 du code électoral et définir autant que possible les conditions du choix du Directeur Exécutif ?

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