Rencontre Chef de l’Etat – Syndicats : Michel Adjaka relève quelques incohérences

MA LECTURE DE L’ANALYSE DU CHEF DE L’ETAT AU SUJET DE LA DÉCISION DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE SUR LE DROIT DE GRÈVE

Lors de la rencontre qu’il a organisée le 06 février 2018 avec les Secrétaires Généraux des centrales et confédérations syndicales, le Chef de l’État a levé un coin de voile sur sa compréhension des dispositions de l’article 31 de la Constitution et de la décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 rendue par la Cour constitutionnelle.

Le Chef de l’Etat a fondé son analyse sur les dispositions des articles 24, 25 et 98, tiret 21 de la Constitution.
Ces articles disposent:
Article 24. – «La liberté de la presse est reconnue et garantie par l’État. Elle est protégée par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dans les conditions fixées par une loi organique.»
Article 25. – «L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation.»
Article 31. – «L’Etat reconnaît et garantit le droit de grève. Tout travailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi, ses droits et ses intérêts soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s’exerce dans les conditions définies par la loi.»

L’article 98, tiret 21 dispose que «la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, de la sécurité sociale, du droit syndical et du droit de grève.»
Au motif que les principes fondamentaux relatifs au droit syndical et au droit de grève sont du domaine de la loi, le Chef de l’Etat a estimé que l’Assemblée nationale peut retirer le droit de grève aux travailleurs dès lors que la liberté d’aller et venir et la liberté de presse ne font pas obstacles aux mesures privatives de liberté ou d’interdiction de certains organes de presse.

En droit, cette technique, qui consiste à comparer des dispositions ou situations similaires pour en inférer une conséquence juridique, s’appelle un raisonnement par analogie. En matière de liberté, en ce qu’il conduit à des abus, le raisonnement par analogie n’est pas admis.

Mieux, même s’ils sont libellés avec les mêmes verbes «reconnaître» et «garantir», les articles 24, 25 et 31 de la Constitution ne proclament pas des libertés de la même génération et ne visent pas les mêmes réalités ou finalités. Les libertés proclamées et protégées par ces articles étant inaliénables, toute analyse tendant à réduire leur rayonnement ne peut prospérer en droit.

Par ailleurs, l’article 98, tiret 21 de la Constitution, en disposant que «la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, de la sécurité sociale, du droit syndical et du droit de grève.», n’est pas isolé. Pour en comprendre le sens et la portée, il faut convoquer l’article 31 qui traite du droit syndical et du droit de grève.

En reconnaissant et surtout en garantissant le droit syndical et le droit de grève, avec la nuance que le législateur a le pouvoir de définir les conditions de jouissance desdits droits, l’article 31 de la Constitution, n’autorise pas le pouvoir législatif, en application des dispositions de l’article 98, tiret 21 de la Constitution, à retirer, supprimer ou à réprimer ces deux droits protecteurs des travailleurs et de la démocratie. L’article 98, tiret 21 n’habilite donc pas le législateur à étouffer le droit de grève ou la liberté de se constituer en syndicat dans n’importe quel secteur d’activités.

Au surplus, au plan international, le droit de grève a sa source dans le Pacte International relatif aux droits Economiques, Sociaux et Culturels. L’article 147 de la constitution dispose que «Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.»

L’article 8 dudit Pacte reconnaît le droit de grève à tous les travailleurs. L’alinéa 2 dudit article n’empêche toutefois pas de soumettre à «des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des Forces armées, de la police et de la Fonction publique.»
Restreindre n’étant pas synonyme d’éteindre, le retrait du droit par le pouvoir législatif est une violation de l’article 31 de la Constitution du 11 décembre 1990. La Cour, à travers sa première décision de l’année 2018, l’a merveilleusement signifié et affirmé.

Enfin, l’analyse du Chef de l’Etat m’inspire quelques questions.
1-Est-ce parce qu’un journaliste a commis un délit de presse qu’il faut interdire la liberté de presse à tous les journalistes ?
2-Est-ce parce qu’un usager de la voie publique a violé le code de la route qu’il faut interdire à tous les autres usagers l’usage de la voie publique ?
3-Est-ce parce qu’un syndicat a abusé du droit syndical ou du droit de grève qu’il faut interdire à tout le secteur d’activités dont il émane le droit de créer un syndicat ou de faire grève ?
4-Le législateur, peut-il, sur le fondement de l’article 98, tiret 21sus-cité, supprimer le droit au travail et à la sécurité sociale ?
5- Le législateur est-il qualifié pour constater et sanctionner l’abus du droit de grève ?
L’analyse du Chef de l’Etat tend à préparer les consciences à un revirement imminent de la décision DCC 18-001 du 18 janvier 2018 rendue en application judicieuse des dispositions de l’article 31 de la Constitution. Pourtant, il ressort de cette décision que l’Assemblée nationale n’a pas le pouvoir de remettre en cause le droit de grève. Seul le peuple souverain peut retirer ce droit.

Face à une telle évidence juridique, il appartient aux travailleurs de rester mobilisés afin que nul ne remette en cause les libertés acquises de hautes luttes.
Le Bénin est un modèle en matière de préservation et de protection des libertés fondamentales.
Restons vigilants.

Michel ADJAKA

Les commentaires sont fermés.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus