Bénin: lettre ouverte de Constantin Amoussou au président du Parti Alternative citoyenne

 

Suite aux menaces du parti Alternative citoyenne envers ses militants qui participent aux mouvements de grèves qui ont actuellement cours dans le pays, Constantin Amoussou adresse une lettre ouverte au président de cette formation politique.

Lire ci-dessous le contenu de cette lettre ouverte.

Lettre ouverte de Constantin Amoussou:

Monsieur le président,

I- MES HOMMAGES

Je salue respectueusement votre science et m’incline devant la réputation qu’elle vous confère; car celle-ci a franchi nombre de frontières, et commande génuflexion à Abomey-Calavi, dans mon village, comme à Dakar, comme à Paris, comme New-York etc…

Je me rappelle qu’en août 2005, à Dakar, à l’appui de notre renommée de quartier latin d’Afrique, mes camarades Olushégun TIDJANI SERPOS, Franck AFOUKOU, Iphigénie KPADJOUDA (paix à son âme) et moi-même, avions été précédés d’une aura que le ministre de la Justice d’alors, Cheikh Tidiane SY, ainsi que les membres du corps d’encadrement dépêchés par l’Université Cheikh Anta Diop à l’effet de nous entraîner, ont saluée, en pensant à vous, nommément, et sans doute aussi, à Me Robert DOSSOU ; qui jouait une partie décisive dans son rôle d’avocat d’ Idrissa SECK (si mes souvenirs sont exacts), ex protégé devenu ennemi public numéro un de Abdoulaye WADE.

J’entendais alors votre nom pour la toute première fois.

J’ai été ensuite fier de vous lorsqu’à l’issue du congrès de transformation de la dynamique Alternative Citoyenne en parti politique le 25 janvier 2014, vous aviez été porté à sa tête, aux côtés d’une escouade d’intellectuels engagés, pour sécuriser l’État de droit, la démocratie et la liberté.

II-MES REGRETS

Mais en ce jour-ci, la frontière que vous semblez avoir franchie est d’un tout autre ordre, et j’ai quelque doute quant à l’honneur que ce fait d’armes pourrait vous procurer.

Monsieur le président,

Par le hasard de mes lectures du jour sur les réseaux sociaux, mon attention a été saisie par un communiqué, signé de votre nom, en votre qualité de président du parti Alternative Citoyenne.

En substance, votre communiqué reprenait à son compte les conclusions du Conseil des Ministres du mercredi 28 février 2018, telles que restituées par le président d’honneur de votre parti, le Garde des Sceaux, Joseph Djogbénou ; et instruisait en conséquence les militants et sympathisants du parti, en activité dans les secteurs touchés par les grèves, à l’effet de « reprendre sans condition le travail ».

Une instruction assortie de la menace de ne leur offrir le bénéfice « d’aucun traitement particulier» en dépit, cela s’entendait, de *« leur proximité avec le parti »*au cas où ils ne s’exécuteraient pas.

J’observe ainsi que le président du parti du Garde des sceaux émet des injonctions à l’endroit des travailleurs qui ne sont même pas professionnellement sous sa tutelle , et s’interpose entre eux, leur conscience citoyenne, et les syndicats sectoriels auxquels ils appartiennent.

Comme si un parti politique, à votre auguste entendement, pouvait devenir maître de la conscience de ses militants et de ses sympathisants ; comme si le renforcement de l’État de droit, comme si la liberté d’opinion, la liberté de penser, de s’exprimer, de manifester… n’étaient plus garanties par la constitution ; et que le parti Alternative Citoyenne, qui vient de prendre l’engagement dans votre nouveau fief, de « maintenir le cap », j’ignore lequel, n’était plus la dynamique citoyenne qui a proclamé le 20 mars 2013, date d’anniversaire de son président d’honneur, que « la peur est le cimetière de l’Etat, de la République, de la démocratie, de la liberté » ; comme si feu Zakari SAMBAOU, membre fondateur de votre parti n’avait plus été prêt à braver un 1er août 2013, les intimidations d’une horde d’hommes en armes pour exprimer souverainement sa liberté de conscience, quitte à en payer le prix par la perte de celle de se mouvoir, placé, comme il le fut, en garde-à-vue ; comme si Séraphin AGBAHOUNGBATA, votre vice-président, n’avait plus été cet historique combattant qui a conduit des dizaines de mouvements de grèves dignement ; comme si le sang versé par Luc TOGBADJA, par Clovis AGOLI-AGBO, Parfait ACATCHA… n’avait plus servi à consacrer les conquêtes démocratiques de notre peuple au nombre desquelles la souveraine liberté de conscience.

Et voilà que j’entends encore votre vice-président marteler et sublimer le droit de grève et la liberté de manifester « pour revendiquer la liberté de revendiquer » au profit enseignants, des magistrats, des praticiens hospitaliers… dans l’historique appel du 19 février 2014 où il ( AGBAHOUNGBATA) appelle tout notre peuple à « bander les énergies » et « brûler » car, dit-il : << si tu ne brûles pas, si je ne brûle pas, si nous tous ne brûlons, comment est-ce que les ténèbres d’aujourd’hui deviendront clarté demain ? »

Monsieur le président,

Il est vrai, je ne me souviens pas de vous avoir vu au front, brûler aux côtés de Yves DAKOUDI, de Bienvenu MILOHIN, de Vianney AZAKPAME TCHAHOUNKA, de Ulrich DEHOU, de Dimitri ADANKPO, de Oswald HOMEKY, de Urbain AMEGBEDJI, de Joël ATAI-GUEDEGBÉ…et de milliers d’autres citoyens béninois engagés.
Mais je m’étais permis de penser que leur révolte habitait aussi votre sang-froid, sous des apparences placides; et qu’alors, comme eux, vous n’êtes pas homme à laisser <<ramollir>> votre ardeur par quelque menace et intimidation qui, pour reprendre les termes de ce communiqué du 20 mars 2013 portant la remarquable structure du phrasé de Me Joseph DJOGBENOU, « encouragent, consolident et vivifient » leurs cibles.

III- EN GUISE DE CONCLUSION

Je voudrais finir en observant, Monsieur que votre communiqué aura à jamais le mérit d’instituer sous le renouveau démocratique, une ère sous laquelle, les travailleurs des différents secteurs d’activités de notre pays devront se référer au mot d’ordre de leur parti politique avant d’avoir à poser des actes qui engagent les intérêts de leur corporation ; sous la menace écrite, de perdre le bénéfice d’avantages et privilèges que votre communiqué évoque en filigrane et réfute ensuite ; comme s’il fût des circonstances en lesquelles la coloration politique leur ouvrirait le droit à une protection, pour avoir agi selon les vœux du chef de leur parti ou avec sa bénédiction.

Et maintenant, je me sens si peu honoré d’avoir été solidaire de votre combat d’hier, du combat de Alternative Citoyenne, d’avoir porté les mêmes causes que vous, que je vous prie de me pardonner d’avoir été fier de vous.

Constantin AMOUSSOU

Les commentaires sont fermés.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus