Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 48

Yayi Boni et Vicencia Boco sont les seuls capables, à mon avis, de dire dans les annales de l’histoire, les circonstances du recrutement de la directrice de campagne du candidat du Changement en cette matinée de fin janvier 2006. Ce que j’en sais ne va pas forcément au-delà de ce que beaucoup de Béninois ont déjà lu dans le livre « Yayi Boni : l’intrus qui connaissait la maison » de Édouard Loko.

Au siège de campagne de Bar Tito ce jour-là, la rumeur, d’abord diffuse, devint persistante, pour se transformer en réalité quand, en début d’après-midi, je reçus confirmation de la part du garde du corps de notre candidat. La version schématique est donc celle-ci : comme la trentaine de prétendants au fauteuil présidentiel, Yayi se présente pour la visite médicale. Il y rencontre, dans le collège médical, une professeure agrégée en imagerie médicale. Il est illuminé. Elle se nomme Vicencia Boco. Taille moyenne, regard vif et intelligent, un tantinet coquine. Il la veut aussitôt… comme directrice de campagne, bien entendu.

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Cette version romancée et presque chevaleresque continue de porter des zones d’ombre dans mon esprit. J’apprendrai, certes de la propre bouche de Yayi, cette même version plus tard, mais j’y soupçonnais toujours une tentative de manipulation. Je savais, il est vrai, que le candidat Yayi était dos au mur, qu’il avait du mal à trancher entre ceux qui se bousculaient pour occuper ce poste.

Mais si le prétendant Ahmed Akobi partait ouvertement défavorisé par ses origines septentrionales, on ne saurait en dire de même de quelqu’un comme Lambert Koty qui, selon toutes logiques, partait grand favori. C’était en effet lui qui occupait la fonction d’organisateur principal de la vie du siège de campagne de Bar Tito depuis un peu plus de trois mois. Il avait donc déjà une vue périscopique sur les réalités qui seraient bientôt celles de la campagne électorale.

Car tout ce qui nécessitait une dépense d’argent passait sur son bureau. Et Dieu sait que le moindre projet, la moindre initiative, était dorénavant accompagné d’un budget qu’il fallait comprendre et arbitrer. Du coup, tous les acteurs de notre campagne étaient déjà connus de lui, pour être déjà passés au moins une fois dans son bureau à l’étage, ou parfois dans son bureau à l’Agetur, pour des contacts qui nécessitaient plus de discrétion.

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Nous n’avions pas à nous plaindre des conditions matérielles du fonctionnement du siège de campagne, même si je trouvais parfois le mobilier de notre cellule de communication, acheté dans la précipitation sur le marché aux puces, désuet. Les roulettes des fauteuils-directeurs coinçaient, le climatiseur était bruyant et peu performant.

Mais qu’importait ! Nous savions que nous étions dans un contrat de bail limité dans le temps, même si Charles Toko agitera, plus tard, sans succès, l’idée que nous puissions acquérir définitivement le bâtiment et empêcher ainsi qu’il ne serve plus tard de siège de campagne à des forces politiques hostiles à nous.

L’idée n’était pourtant pas saugrenue car, si plus tard ce siège de campagne avait servi de siège national aux Forces Cauris pour un Bénin Émergent ( FCBE), au lieu de ce bâtiment anonyme et sans charge historique loué à Mènontin, l’alchimie eût été différente avec les militants. Mais une fois la victoire acquise, le siège de Bar Tito, qui n’avait jamais eu la sympathie de Yayi, sera vite abandonné.

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Un lieu pourtant chargé d’histoire…Par ailleurs, la vie au siège de Bar Tito, sans être inutilement opulente, était assez motivante pour y maintenir un flot humain du lever du jour, jusqu’à tard le soir. Je ne parle pas seulement de ce service-traiteur qui y assurait au quotidien le déjeuner, je parle de ce réseau de numéros téléphoniques mis en corporate, qui nous furent attribués et que la plupart d’entre nous continuons d’avoir comme numéro personnel, plus de douze ans plus tard.

De sorte que, de mémoire, aujourd’hui encore, je peux composer le numéro de Lambert Koty qui, à tout seigneur tout honneur, finissait par le…01, de Armand Zinzindohoué qui finissait par le…07 juste après le mien, …06, du garde du corps principal de Yayi qui finissait par le… 10, de Benoît Dègla qui finissait par le …14, etc.

Et puis il y avait ce passage que nous faisions dans le bureau de Lambert Koty à la fin de chaque mois, comme de vrais salariés… C’était déjà là la méthode Patrice : rétribuer aussitôt et même grassement s’il le faut, toute prestation. Cela lui permet de conserver ses distances vis-à-vis du prestataire et d’échapper plus tard aux tintements ininterrompus du grelot du devoir de reconnaissance.

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Lambert était celui qui maîtrisait le mieux l’appareil politique du candidat Yayi et qui, de l’avis général, méritait de jouer le rôle de directeur de campagne. Mais avec du recul, on comprend aisément que tout en exprimant de moins en moins de scrupules à recevoir la manne très sonnante de « Patrice », Yayi séparait déjà rageusement leurs deux territoires.

Lambert était trop proche de Talon et Yayi n’en voulait pas comme directeur de campagne. Il ne le voudra pas non plus, plus tard, comme directeur de cabinet à la présidence de la République, après le décès prématuré et brutal de l’étoile politique montante de la Donga et premier directeur de cabinet du président de la République fraîchement élu, Boni Yayi. Bref, nous en parlerons plus tard.

Le jeu de Yayi était donc extrêmement brillant. Il n’avait pas choisi Vicencia Boco pour un quelconque souci d’approche genre dans sa campagne. Il l’avait choisie pour créer une discontinuité entre les structures organisationnelles de Bar Tito et lui-même. Vicencia Boco était en fait son fusible. La méthode Yayi se révélait progressivement. Mais même moi, qui ai passé tant de jours et de nuits dans son antichambre, n’en faisais pas encore la bonne lecture. Tous ceux qui peuvent justifier d’une quelconque légitimité à un poste de responsabilité deviennent rapidement des obstacles à l’épanouissement de son autorité.

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Et au fil de la composition de ses équipes gouvernementales pendant les dix ans qui suivront, cette théorie sera très rarement démentie. Yayi avait enfin choisi Vicencia Boco parce qu’il voulait une direction de campagne faible. Bien entendu, nous alertâmes la presse sur le « coup de génie » que venait de réaliser notre champion par cette confiance faite à la gent féminine.

Un élément particulièrement soigné passa dans l’édition du soir du journal télévisé de Canal 3. La photo et le parcours professionnel cinq étoiles de notre directrice de campagne étaient à la une de toute la presse écrite le lendemain matin, pendant que Yayi devrait être en train de ricaner intérieurement. « Un fusible nommé Vicencia », aurait pu pourtant joliment titrer un chroniqueur bien inspiré.

Mais en ces moments, personne, dans la presse, n’avait plus le temps des bonnes analyses et des bons papiers, tout comme d’ailleurs personne, parmi nos rivaux, ne put mettre en lumière le problème éthique que posait la nomination de Vicencia comme directrice de campagne d’un candidat dont elle était censée avoir jugé, en toute indépendance, le dossier sanitaire.

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Il faut dire que nos rivaux politiques étaient plutôt débordés par notre rouleau compresseur. Houngbédji était occupé par son histoire de cadavre au bord de sa piscine, l’hymne de GG Lapino se fredonnait par le personnel de maison de Bruno Amoussou, je ne retrouvai Léhady Soglo que plus tard, dans l’isoloir, sur le bulletin unique. Inutile de préciser que je ne tamponnai pas dessus.

Vicencia n’avait aucune intention de jouer les faire-valoir dans cette opportunité que le destin lui offrait. Elle en donnera le ton dès le lendemain de sa désignation. C’était au cours de la première réunion de la direction nationale de campagne qu’elle dirigea à Bar Tito, et à laquelle Charles m’envoya représenter la cellule de com.

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