Bénin: Mémoire du chaudron épisode 40

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend public ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés la « Mémoire du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici l’épisode 40 de la « Mémoire du chaudron ».

On ne peut gérer l’appareil d’État avec des principes moraux rigides. Et cela tient de la façon dont on accède au poste de Président de la République. Dans un système démocratique présidentiel avec l’élection du président de la République au suffrage universel, que promettez-vous par exemple aux « awé » et autres « wess » des ghettos sordides de Zogbohouè, Agla-Akplomè ou Godomey pour emporter leur adhésion à votre candidature ?

Vous ne serez assurément pas assez fou pour leur promettre une lutte implacable contre les petits larcins et la consommation du chanvre indien. Ou alors, quel langage tenez-vous à vos partenaires politiques dont vous négociez le ralliement avant ou après le premier tour du scrutin ? Vous leur dites que les centaines de millions qu’ils réclament pour venir à vous sont hors de vos capacités et que tout cela est par ailleurs hors de vos principes éthiques ?

Faites-le ! Vous finirez plus proche d’un monastère que de la présidence de la République. Inutile aussi de croire qu’il vous sera aisé de signer des accords et de prendre des engagements que vous ne tiendrez pas une fois au pouvoir. Votre séjour à la tête de l’État sera, dans ce cas, tout sauf, un long fleuve tranquille. D’où cette question lancinante qui se posera pendant longtemps sous nos cieux à tout président de la République issu du suffrage universel : comment appliquer votre thérapie généralement contraire aux intérêts de vos partenaires politiques et aux incontournables compromissions qui vous ont ouvert les portes du palais de la présidence de la République, tout en demeurant un homme de parole ?

Toujours est-il que ce qui nous a conduits en cette mi-journée dans la « Hascienda » de Séverin Adjovi, sera le début d’une longue série de chassé-croisé qui ne s’arrêtera qu’avec le vote du second tour de l’élection présidentielle de 2006. J’avais certes déjà vu passer au siège de campagne de Bar Tito, une partie non négligeable des hommes politiques du pays. Je savais qu’ils n’y venaient pas en ballade. Quelqu’un avait forcément pris langue avec eux ou alors leurs bases électorales les y avait encouragé ou contraint. Ceux qui s’y rendaient de façon désintéressée étaient aussi rares que des larmes d’un chien. Mais ils existent et nous en avons déjà largement parlé dans des épisodes précédents. Mais je me dois de rendre justice à l’un des premiers hommes politiques qui s’engagea avec abnégation derrière Yayi et que les limites de ma mémoire avaient si injustement maintenu dans l’oubli et l’anonymat. Il s’agit de Jean-Claude Hounkponou dont l’UPD-Gamesu porta avec constance le yayisme dans le département du Mono. Ses déboires politiques, plus tard, avec le président Yayi qui encouragea sa mise à l’écart par un de ses propres lieutenants, Mathurin Nago, me laissa un immense sentiment de regret. Mais la politique, c’est ça, me direz-vous. Le fils élimine le père sans état d’âme et sans scrupules. Que pouvez-vous alors espérer que la politique ainsi définie apporte à nos sociétés ?

J’ai souvent surpris des passes d’armes mémorables entre Mathurin Nago et Jean-Pierre Ezin dans le bureau du trésorier du BCI, autour de posters de Yayi ou de quelques autres broutilles sonnantes et trébuchantes. C’étaient pourtant deux grands professeurs d’université.

Là encore, c’est la politique, me rétorquerez-vous. Mais alors, Houdou Ali et son maître Séverin Adjovi, avaient raison de nous faire le numéro qu’ils nous firent ce jour-là.

Je n’eus pas accès au grand séjour où se tenaient les négociations. Je passai presque une heure que durèrent les discussions, dans le grand hall sur la façade arrière du majestueux bâtiment. Je trouvai cet espace défraîchi comme s’il se fut agi d’une construction vieille d’un demi-siècle. C’était, me semblait-il, le quartier des cuisiniers et des domestiques de maison. Quand Yayi ressortit enfin, je compris, à sa mine, que la séance ne fut pas concluante. « Bon Tiburce, nous allons devoir nous passer de ce vieux-là « , me dit-il lorsque la voiture redémarra. « Leurs conditions sont injustes et inacceptables » , ajouta-t-il. Les accords que Séverin Adjovi et Houdou Ali proposaient et qui n’avaient rien d’angélique, ne devaient, selon eux, porter que sur le second tour du scrutin. Mais comment accéder au second tour sans passer le premier ? Ce fut la question philosophique qui scella le désaccord entre les deux parties. C’était évident que dans le contexte d’un second tour, tout le septentrion se mettrait spontanément en bloc derrière le candidat qui lui paraîtrait le plus proche. Houdou Ali ne serait plus, dans ce cas, d’aucune utilité.

De toutes les façons , Patrice Talon tirait désormais les ficelles et tout me paraissait subitement plus facile. Il était venu avec Candide Azannaï dans ses bagages, ce qui avait considérablement renforcé le travail de nos différents mouvements de jeunes à Cotonou. On le disait très influent sur Sehoueto Lazare. Et même si celui-ci ne se saborda pas comme nous l’eussions souhaité, il ne fut pas un adversaire agressif sur le plateau d’Abomey.

Koty Lambert qui avait dans un premier temps repoussé de manière dédaigneuse les avances des yayistes, jouera, avec l’entrée en jeu de Patrice Talon que ses proches appelaient simplement par son prénom « Patrice », un rôle dans le fonctionnement du siège de campagne. Sans parler de toutes ces ficelles invisibles, même par moi, qu’il tirait et dont je pouvais néanmoins constater les effets.

Je garde en mémoire une démonstration d’entregent qu’il me fit un de ces jours de déclarations de soutien qui devenaient pratiquement quotidiennes et que nous médiatisions à outrance. C’était à propos de Valentin Aditi Houdé.

Ce samedi-là, j’étais parti très tôt à Ouidah, accompagné de Macaire Johnson. Un ralliement majeur était prévu ce jour-là dans la cité des kpassè. Venance Gnigla, figure politique montante de la localité à l’époque, faisait sa déclaration de soutien à Yayi.

L’homme s’était fait une réputation de philanthrope par divers actions sociales qu’il finançait au profit des populations notamment, les microcrédits, dont l’effet sur les femmes en milieu périurbain est toujours imparable. La cérémonie venait à peine de démarrer lorsque je reçus un appel. Quelqu’un, à l’autre bout du fil, m’annonça d’une voix atterrée que Valentin Houdé s’apprêtait à faire sa déclaration de soutien au candidat Adrien Houngbédji dans une heure.

La nouvelle était trop invraisemblable pour être prise au sérieux. J’en parlai avec Macaire, puis nous décidâmes de l’ignorer.

Mais quelques minutes plus tard, mon téléphone sonna à nouveau. Un autre militant que je ne connaissais pas, me répéta la même alerte. J’essayai en vain le numéro de Charles Toko. Il avait un excellent contact avec Houdé et aurait, sans doute, été alerté avant moi si l’information était vraie.

Mais nous étions en politique et vous me direz, sans doute, tout y est possible.

Je perdis progressivement mon flegme. Ne pas avoir Houdé avec nous, rendrait la conquête de l’électorat aïzo très ardu. Près de 70 mille votants dans un contexte où 450 mille voix ouvraient la porte du second tour, ça méritait qu’on verifiât la rumeur. Mais ce samedi-là, personne n’était joignable dans notre état-major politique.

Yayi était reparti hors du pays quelques jours après sa déclaration de candidature. Alors, Macaire Johnson et moi décidâmes d’écourter notre séjour à Ouidah et de nous rabattre rapidement sur Cotonou. Pendant que nous roulions à vive allure sur cette chaussée en piteux état, un troisième coup de fil me parvint et se fit plus précis sur le montant de l’accord et le lieu de la déclaration de soutien : le Codiam. Une idée finit par s’imposer à moi. Il fallait que je parle à « Patrice ». Je n’avais pas une grande proximité avec lui malgré quelques contacts furtifs et cette séance de validation des visuels de Yayi que nous eûmes à Bar Tito et à laquelle il prit une part active. C’était le gars de Charles et je ne jugeais pas utile de me faire l’intéressant auprès de lui. En plus, son extrême discrétion n’arrangeait rien. Mais maintenant, il me fallait lui parler, lui passer les informations qui me parvenaient depuis près d’une heure.

J’appelai Didier Aplogan que j’informai de la situation. Je ne me souviens plus de ce qu’il en pensa. Toujours est-il qu’il me donna le numéro que je lançai aussitôt. Je reconnus quelques secondes plus tard ce timbre vocal si caractéristique à l’autre bout du fil. Je me présentai et fus surpris du ton très amical qu’il adopta à mon égard.  » Alors Tiburce, quelles sont les nouvelles ?  » , demanda-t-il. Je l’informai de ces trois alertes que je venais de recevoir. Il parut très serein malgré les effets d’urgence et de gravité que j’essayai de donner à ma voix.  » Houdé viendra avec nous « , me répondit-il. Puis ma pression finissant par faire un début d’effet sur lui, il finit par me demander ma position géographique par rapport au lieu où était supposé se dérouler la déclaration. « Va jusque dans la salle. Et si c’est vérifié, monte sur le podium et passe-le moi. Je vais régler » me dit-il.

Quelques minutes plus tard, Macaire et moi étions au Codiam. Le lieu, à notre grand étonnement, était vide et calme. Nous questionnâmes l’agent de sécurité à la guérite. Aucune activité politique n’était au programme. Étrange ! Et si tout cela n’était finalement qu’un canular ?

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