Benin: memoire du chaudron episode 45

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend publiques ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés la « Mémoire du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici l’épisode 45 de la « Mémoire du chaudron ».

La pantalonnade que nous fit Houdou Ali au domicile de Séverin Adjovi était du plus mauvais goût. Et c’est le moins que l’on pouvait dire après la blague qu’il en fit publiquement :  » Yayi me propose une culotte, Adjovi m’offre un pantalon  » , avait-il déclaré, pour justifier sa décision de quitter notre barque. Nous savions bien qu’il ne pèserait pas le poids d’une plume dans la décision de l’électorat de Karimama et de Malanville.

Mais dans cette dernière ligne droite, les effets psychologiques comptaient énormément. Donner l’impression d’un mouvement centrifuge vers soi est en effet la meilleure façon d’attirer plus de soutiens encore. Personne, dans cette phase, ne s’aligne spontanément derrière un cheval donné perdant. Ceci expliquait sans doute la pression supplémentaire que la position de Valentin Houdé mettait sur nous.

Le maillage que nos mouvements politiques avaient fait de l’Atlantique était impressionnant, mais nous aurions fort à faire si, en plus des zones de Sô-Ava et de Allada qui étaient tenues par le candidat Adrien Houngbédji à travers les députés Aladja Gbadamassi et Tidjani Serpos, nous devrions affronter celui qui paraissait alors maître de l’électorat Aïzo.

Ancien membre de la Renaissance du Bénin, Houdé était l’un des rares hommes politiques à démissionner du parti politique des Soglo, sans subir une sanction électorale immédiate lors des consultations suivantes. Et c’est flairant le rôle déterminant qui pourrait être le sien lors de la présidentielle de 2006, que Macaire Johnson, Agapit Maforikan, Charles Toko et moi, si ma mémoire me reste fidèle, lui rendîmes une visite de courtoisie, courant 2005, à son bureau de ministre chargé des Relations avec les institutions. La rencontre fut chaleureuse et l’homme se montra particulièrement amical. En repartant de l’ancienne primature ce soir-là, aux environs de minuit, nous avions un message de Houdé pour « le grand frère », c’est-à-dire Yayi.  » Dites au grand frère de ne pas s’éloigner de Kérékou « , nous avait-il répété à longueur de séance. Sans donc donner une position claire, il nous montra cependant que l’offre que nous lui faisions de venir avec nous ne le laissait pas totalement indifférent.

Les relations interpersonnelles peuvent servir de ferment dans les négociations politiques, à condition qu’elles soient établies et entretenues en temps de paix, loin de la furie du marchandage qui caractérise la veille des élections présidentielles. Car devoir discuter, négocier, démarcher un leader d’opinion que l’on a snobé tout le temps, peut devenir une contrainte périlleuse, à moins d’avoir le vent en poupe et la victoire clairement à portée de main. Dans ce cas, les rapports de forces jouent en votre faveur, et même si vos alliés ne venaient pas à vous de bon coeur, ils y seraient contraints par cette alchimie que crée votre marche triomphale vers la victoire. Houdé ne nous était pas hostile, même si nous savions, ce soir-là, qu’il espérait meilleur interlocuteur que nous pour lui parler clairement des offres du yayisme.

Dans le quadrillage de l’Atlantique, nous avions, en dehors des structures et des mouvements politiques regroupés au sein de l’Inter mouvement pour le changement IMC-Yanayi et de l’Union fraternelle pour la République, UFPR de Edgar Soukpon, l’appui d’une vingtaine de mouvements politiques et de personnalités isolées. Le seul parti politique allié à s’annoncer dans cette zone était l’UDNP du président Émile Derlin Zinsou, avec désormais aux commandes, le professeur Jean-Claude Codjia, ancien doyen de la Faculté des sciences agronomiques à l’Université d’Abomey-Calavi, épaulé par Claudine Prudencio.

Il est vrai, moins étincelante qu’aujourd’hui. Dans la région Tori, nous avions pour support, le docteur Alexandre Hountondji qui, depuis sa seule expérience électorale heureuse avec le RDL-Vivoten de Séverin Adjovi, lui a permit de siéger à l’Assemblée nationale, première législature, se cherchait désespérément une cure de jouvence. À Tori également, nous pouvions compter sur l’activisme des frères jumeaux Akouakou.

L’arrivée de l’étoile politique montante de l’époque à Ouidah, Venance Gnigla, servit d’élément catalyseur et fédérateur des petits mouvements épars dans la ville porte océane. Le bassin électoral de Godomey était tenu par un essaim d’initiatives politiques spontanées, liées à la sympathie naturelle qu’éprouvaient les populations fons pour le candidat Yayi, présenté comme la réincarnation politique du baobab Nicéphore Soglo qui, pour elles, restera sans doute un mythe éternel. Il est d’ailleurs intéressant de faire remarquer, ici, et en réexaminant les résultats des différentes élections présidentielles depuis la conférence nationale de février 1990, que cet électorat fon a toujours voté en bloc, fédérant ses énergies autour d’un unique candidat à travers une ligne géographique imaginaire qui part de la rive ouest du chenal de Cotonou, jusqu’à Dan, au nord de Bohicon.

Cette même tendance électorale se répétant au sein de toutes les communautés fon installées dans les autres contrées du pays, généralement autour des gares de chemins de fer. De sorte qu’au démarrage des dépouillements de votes, les premières tendances livrées par les urnes à Godomey se répètent fidèlement au quartier « Dépôt » de Parakou. C’est une donnée sociologique sur laquelle j’espère que des études scientifiques dépassionnées pourraient un jour faire la lumière, afin de nous permettre de prendre la mesure des profondes lignes de faille qui parcourent notre communauté nationale, et qui, pour le moment, servent bien les intérêts égoïstes des hommes politiques.

Une chose est sûre, l’ouverture de l’électorat fon vers Yayi en 2006 constituait une formidable opportunité de penser des siècles de blessure car le caractère trans-ethnique et la trans-culturalité du suffrage exprimé en sa faveur étaient le signe que des fractures se soudaient enfin. Mais si en 2016, après dix ans de règne Yayi, l’électorat fon retourna à ses fondamentaux en votant pour le fils de la maison, le  » fils de notre fille « , Patrice Talon, c’est que des blessures que le peuple avait en 2006, décider de refermer, ont été maladroitement reouvertes par mégarde, par cynisme, par étroitesse d’esprit ou par populisme primaire. Et nous revoilà presqu’au même point de départ.

De Godomey à Calavi, des figures comme Luc da Matha Santana, Germain Cadja Dodo, Victoire Kpèdé, les frères Lantonkpodé, et j’en oublie. Mais toute cette énergie, encore diffuse, avait besoin d’être chapeautée. Houdé l’avait vite compris, et dans les exigences qu’il fit pour son ralliement, il demanda la coordination de la campagne de Yayi dans tout le département de l’Atlantique. Évidemment, nous sommes en politique et, exactement comme dans le monde des affaires, on ne vous achète jamais au-dessus de la valeur initiale que vous vous attribuez.

En faisant cette exigence, l’homme politique Houdé avait déjà la tête dans les législatives de 2007. Cette position lui servirait de tour de contrôle politique avec une vue imprenable sur toute la sixième circonscription électorale.

Et en plus, qui dit coordination départementale d’un candidat sérieux aux élections présidentielles, dit moyens financiers, sans compter les clauses sonnantes et trébuchantes de toute transaction politique en de pareilles circonstances. Houdé n’était pas dupe. Il savait que « Patrice » était au contrôle. Le discours soporifique du candidat Yayi n’intéressait plus personne. L’heure était venue de trousser les lèvres et de cracher au bassinet.

Demain n’est pas la veille du jour où les Béninois éliront un candidat fauché.

Mais la vérité, c’est que notre candidat était fauché. Les dernières promesses que lui firent miroiter Késsilé Tchalla et Issifou Kogui N’douro sur un hypothétique mécène à Luanda en Angola, se révélèrent un miroir aux alouettes. Dès lors, il fallait prendre ce « Patrice » très au sérieux, même si certaines indiscrétions persistantes soupçonnaient le mécène politique béninois de financer parallèlement le candidat Adrien Houngbédji… !

Tiburce Adagbè

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