La « Mémoire du chaudron » (épisode 31 à 38)

L’ancien Conseiller technique à la communication du président Boni Yayi, Tiburce Adagbè, rend public ses mémoires des faits vécus à la présidence de la République entre 2006 et 2011. Intitulés la « Mémoire du chaudron », les écrits croustillants de Tiburce Adagbè rentrent dans les méandres du pouvoir Yayi. Voici les épisodes 31 à 38 de la « Mémoire du chaudron ».

Mémoire du chaudron 31

Branle-bas de mobilisation. Un peu plus de deux jours pour faire le plein du palais des sports du stade de l’amitié. Deux jours pour brander cet auditorium de 6 milles places qui donnait l’illusion, quand il était plein, d’en contenir 25 milles. Il était question de frapper fort à cette cérémonie officielle de déclaration de candidature de notre champion. Il fallait qu’il parte clairement gagnant dans l’esprit de tout le monde. Et pour ce faire, les moindres détails pouvaient compter.

Remplir ce palais des sports en 48 heures d’organisation et de mobilisation paraissait à la fois simple et un immense défi. Nous nous y étions déjà pris un an auparavant lorsque l’IMC-YANAYI, sous la houlette de Benoît Degla, avait pris de court toutes les autres structures et organisations politiques pro-Yayi, en dressant publiquement le portrait robot du nouveau président de la république. Un portrait qui, bien entendu, tissa une camisole qui ne pouvait aller qu’à Yayi. Nous étions pourtant initialement partis pour appeler clairement son nom. Mais la veille de ce 03 février 2005, pendant que nous donnions les dernières touches à l’organisation matérielle de l’événement, dans le hall du palais des sports, Degla reçu un énième coup de fil de Yayi qui faillit faire tout capoter. Yayi qui, pourtant, était associé au projet de bout en bout, se rebiffait. Il était déjà 21 heures et il ne voulait plus entendre parler de cette sortie prévue pour le lendemain. Il demandait que tout soit purement et simplement annulé alors que tous nos militants étaient déjà en effervescence. Que faire ?

Lorsque Benoît Degla rejoignit le petit groupe que nous formions et qui devisait, debout, au milieu du hall du palais des sports fourmillant d’activités, son ton désespéré et son air grave ne laissaient aucun doute : « les amis, dit-il, l’heure est grave. Le président exige que nous annulions la sortie ».  » Quelle sortie ? Demandai-je » , « Ah beh celle pour laquelle nous sommes ici en train d’aligner des chaises… » répondit-il. Je ne comprenais pas trop bien ce qui se passait. Nous avions été en contact continu avec Yayi sur ce projet de sortie politique depuis une dizaine de jours. Il y avait apporté sa touche, même si le Yayi de ces moments là comptait son argent au franc près. Et c’était un exploit de lui en prendre. Nous avions tenu réunions préparatoires sur réunions préparatoires. Nous avions mis en branle la centaine de mouvements politiques que comptait IMC-YANAYI.

Et ce soir, le comité d’organisation s’était donné rendez-vous dans ce hall du palais des sports pour suivre la mise en place des chaises, du podium et des différentes banderoles. Et voilà que …patatras, Yayi changeait de direction comme un toboggan par temps instable. Alors que j’essayais de m’expliquer cette versatilité de notre leader, mon téléphone sonna et je vis apparaître sur l’écran son numéro. Ce fameux numéro Libercom que je savais reconnaitre de toutes les manières et qui mériterait bien une place dans le musé du hold-up politique. Ce « 90-02-…  » a dû s’afficher en seulement quelques années, sur l’écran de tous les portables qui comptaient dans le pays, tantôt accepté, tantôt rejeté.

Lorsque s’afficha donc ce numéro sur mon téléphone, j’avertis aussitôt notre petit groupe, puis hâtai le pas jusqu’en dehors du hall. A l’autre bout du fil, Yayi. « Tiburce ça va ? Bon écoute, il faut que tu parles à Degla et à tout le groupe. J’ai demandé de surseoir à votre manifestation de demain »,  » ce serait une erreur  » , répondis-je alors que dans une monopolisation habituelle de la parole, il alignait son argumentaire.  » Une erreur ? Et pourquoi ?  » demanda-t-il, préoccupé.  » Personne ne nous prendra au sérieux le jour où nous lancerons une nouvelle activité du genre « . Mais sans lâcher prise il argumenta :  » j’avais bien interdit que mon nom apparaisse, mais on vient de me rapporter que vous avez le nom sur les banderoles ». Je compris alors que quelqu’un était allé nous plonger chez Yayi.

Le pouvoir n’était pas encore là mais la guerre de positionnements était déjà impitoyable entre différentes structures faîtières de mouvements de jeunes que Yayi, malicieusement, avait mis en compétition. Trois de ces structures se livraient cette guerre d’influence, Il s’agissait bien entendu de l’IMC-YANAYI présidé par Benoît Degla, de l’UFPR de Edgar Soukpon et de Víctor Adimi, de la CFC de Yacoubou Bio Sawe, Directeur de cabinet de l’actuel président de la Boad et qui fut le premier messager du yayisme dès 2001. Il eu la clairvoyance, après la victoire de Yayi en 2006, de solliciter son envoi dans l’administration de la Banque ouest-africaine de développement où il poursuit une carrière stable à ce jour. Les luttes d’influence entre ces mouvements avaient certes ce côté positif en ceci qu’elles constituaient une source d’émulation, mais le revers de la médaille existait. Et c’était à elle que nous faisions face en ce 02 février 2005, veille de la sortie officielle de l’IMC-YANAYI. Une des autres structures rivales avait tenu à faire avorter l’événement et avait, pour atteindre son but, avait intentionnellement lu YAYI partout où sur nos banderoles, nous avions écrit YANAYI. La mise en compétition systématique des collaborateurs présentait donc cet inconvénient mortel qu’elle pouvait induire le surplace, les énergies s’annulant mutuellement. Je réussis à rassurer Yayi : son nom ne figurait nulle part sur nos affiches et les différentes allocations.

La mobilisation était prévue pour être grande, je lui en donnai également l’assurance car, redoutait-il à raison, un échec de la mobilisation serait un précédent fâcheux à cette étape de notre marche. Finalement tout se passa très bien le lendemain et la réponse du public combla largement nos attentes, et même si nous n’avions pas rempli la moitié de la salle, nous avions eu par contre des militants motivés à bloc. Benoît Degla, de sa voix saccadée, avait lu les critères de choix retenus par l’IMC-YANAYI pour diriger le Bénin à partir d’avril 2006. Et pour lui aussi ce fut un triomphe. Car pour conduire cette manifestation, il avait dû braver les mises en gardes d’un de ses proches beaux-parents, homme des hautes et basses oeuvres du système kerekou finissant, Alexis Babalao.

Mais en réfléchissant sur ce volte-face de Yayi qui pour moi n’était rien d’autre qu’un manque de cran et de courage, je me felicitai de l’avoir tenir dans l’ignorance d’un coup audacieux qu’à trois, Charles Toko, Johnson Macaire et moi, nous montâmes et mîmes à exécution avec une folle audace.

C’était, je crois, en 2004. Un tract distribué sur le campus universitaire d’Abomey-calavi me parvint un après-midi, au siège du journal « Le Progrès ». Un texte vaguement signé d’un prétendu  » groupe d’officiers patriotes de l’armée béninoise  » mettait en garde contre  » les manoeuvres du général Mathieu Kerekou dont le seul dessein est de conserver le pouvoir au nord en se faisant succéder par son frère Yayi Boni, actuel président de la Boad ». Puis le texte se répand en une série de menaces épouvantables. Une copie du tract en mains, j’alertai Charles Toko puis il m’invita aussitôt à son bureau de Atinkanmey.

A mon arrivée, je le trouvai en grande verve avec un visiteur. Pendant que je patientais pour que prenne fin la causerie que je trouvais interminable, je ne pus m’empêcher de penser avec amusement à cet écriteau sur la porte de son bureau et qui disait en résumé ceci :  » vous avez 5 minutes en tout pour poser votre problème « . Et accroché au mur, à l’intérieur du bureau, un autre écriteau, illustré par un personnage aux traits grimaçants, avertit :  » ne me parlez pas de vos problèmes d’argent. Moi aussi j’en cherche « …

Lorsqu’enfin le bruyant visiteur se retira, je tendis le tract à Charles Toko qui le parcouru pendant un temps anormalement long puis, comme illuminé, me déclara :  » j’ai une idée. Nous allons faire endosser au mystérieux groupe d’officiers patriotes, le contraire du contenu du tract ». L’idée me paru tellement étrange que j’eclatai de rire. Quelques idées pour épicer notre texte me vinrent rapidement en tête. Je pris un stylo, une feuille, et sur un bout du bureau, je rédigeai le contenu de notre tract à nous. Le groupe d’officiers patriotes, dans mon texte, présentait ses excuses à tous ceux qui ont pris au sérieux le contenu d’un document qu’elle reconnait avoir publier la veille, mais hélas à l’issue d’une séance de beuverie. Ce groupe dit tout son regret et appelle à soutenir la candidature prochaine du président de la Boad, le docteur Yayi Boni. Sans blague ! Lorsque Charles eu parcouru la copie que je lui tendis à la fin, il éclata d’un rire si irrépressible que ses yeux déjà naturellement rougis, laissèrent couler des larmes. Il saisit ensuite le texte sur son ordinateur portatif puis me promit que son homme de main du moment, Yacinth Tchobo me ferait signe dès que les tracts seraient sortis de ses presses. Je connaissais en effet quelqu’un de suffisamment zélé pour le yayisme, pour prendre le risque d’en assurer la distribution. Surtout que le lieu retenu pour recevoir les tracts n’étaient ni plus ni moins… la devanture de l’État Major Général des Forces Armées Béninoises ainsi que l’entrée principale du camp Guezo. Des lieux où sont postées en permanence des sentinelles !

La personne que je jugeai assez motivée pour cette mission folle était Macaire Johnson. Je l’avertis aussitôt que nous devrions nous retrouver à deux devant l’imprimerie du Matinal au bord de l’artère pavée en face de l’église St Michel, à une heure que je lui indiquerais. Puis je remontai à Sikecodji au siège du journal « Le Progrès ». Quand Yacinth me fit signe, il était presque 1 heure du matin. Je fis signe à Macaire qui partit de Akpakpa Pk6. Nous nous rejoignîmes à St Michel, à l’imprimerie du Matinal où je lui expliquai la mission. Il empoigna le lourd colis, le disposa entre les jambes sur sa moto Mate 80 un peu fumante et disparu dans la nuit cotonoise. Je remontai directement sur Calavi. Je ne me rappelle pas avoir parlé de cette action folle avec Yayi. Si nous l’avions associé, c’est sûr que nous n’aurions rien fait. Non pas qu’il eut fait preuve de quelque vertu que ce fut. Mais il n’aurait jamais eu l’audace de l’autoriser. Dans certaines situations en effet, point n’est besoin de requérir l’aval du leader pour certaines actions de barbouze. Ça ne marche presque jamais.

Aujourd’hui nous sommes à 48 heures de la première grande sortie officielle de Yayi. C’est surtout le moment de faire un inventaire exhaustif de nos hommes sur le terrain. C’est maintenant que tout commence.

Memoire du chaudron 32

Même si l’argent ne crée pas un courant de sympathie durable en politique, son rôle y est si fondamental qu’en manquer à certaines étapes d’une aventure de conquête du pouvoir peut se révéler, ni plus, ni moins qu’une faute mortelle. Il en sera encore ainsi aussi longtemps que vivra notre système politique actuel avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct. La femme la plus vertueuse du monde se méfiera toujours instinctivement des avances d’un gueux. Tout autre discours ne serait qu’hypocrisie pour berner des imbéciles. Yayi ne l’ignorait pas. Et même s’il passait une partie de nos rencontres à faire un travail psychologique sur le petit groupe de compagnons que nous formions autour de lui dans le milieu chrétien évangélique sur le nécessaire détachement vis-à-vis de l’argent, nous savions tous que le moment de la vérité ne tarderait pas à sonner. Cependant, avec le recul qui est le mien aujourd’hui, je me demande si ses difficultés à financer, comme cela se devait, nos activités, n’étaient pas la raison première de l’humilité dont il faisait preuve à notre égard, car dès qu’il fut plus tard en mesure de financer et de faire marcher qui il voulait, des noms comme Briga Bruno, Dogo Pascal, Loko Serge, Alagbe Dieudonné, Bovis Macaire, Glin Laurent, Chabi Sidi Abdel Kader, Togbe Euloge… semblèrent ne plus rien lui rappeler. C’était pourtant avec eux que nous semâmes, à mains nues, par temps de soleil et par temps de pluie, les graines du yayisme dans le milieu évangélique à travers le pays. C’étaient eux, les compagnons dont il ne voulait jamais se séparer pendant que les premières résistances apparaissaient comme en 2003, lorsque Joseph Sourou Attin, alors ministre des travaux publics et des transports du Général Mathieu Kérékou, refusa de nous donner accès à la salle de conférence où nous avions prévu organiser une conférence-débat sur le thème  » La place du chrétien dans la vie économique de sa nation » et dont le seul orateur était opportunément Yayi Boni. Le ministre Attin était pourtant un fonctionnaire de la Boad en détachement. Il était pourtant chrétien évangélique actif. C’est dire les montagnes que durent déplacer quelques fois ces noms qui resteront dans l’oubli pendant les dix années de règne du « frère Yayi ». Je les ai cités ici exprès pour motif personnel de justice, sachant qu’ils ne vous diront rien, ceux qui l’affublaient des épithètes les plus abjectes étant devenus les principaux animateurs de la dévotion évangélique quotidienne à son domicile.

L’énergie de la conviction en politique a donc, comme je le disais plus haut, ses limites si le nerf de la guerre faisait durablement défaut. Et le premier à mettre les pieds dans les plats face au discours ascétique de Yayi, fut Rachidi Gbadamassi. Un des premiers soutiens politiques ouvertement affichés de Yayi, Rachidi Gbadamassi qui venait d’infliger une historique humiliation électorale à Ousmane Batoko dans la course à la mairie de Parakou en 2003, comprit très vite toute la caution morale et technique que pouvait représenter pour lui ce grand-frère, président de la Boad, et dont les ambitions présidentielles se murmuraient déjà. Cela tombait d’ailleurs très bien puisque l’institution sous-régionale venait de valider le financement d’un vaste projet de rénovation de la voirie de Parakou. Gbadamassi, en ces moments-là, fit tant de zèle à chaque descente de Yayi dans la cité des koborou pour un lancement de pavage de tronçon ou une énième visite de chantiers, que personne ne comprit son brusque renoncement au yayisme après seulement un an de lune de miel avec l’homme de Tchaourou qu’il avait pourtant présenté à tous ses lieutenants du quartier Bâ-Ouèra de Parakou, comme son choix pour 2006, au cas où le général Mathieu Kerekou déciderait de quitter le pouvoir. Il se faisait que l’homme politique Rachidi Gbadamassi comprenait mieux que son  » grand frère  » Yayi, le langage politique que parlaient ses électeurs de Parakou. Son exposition aux côtés du président de la Boad lui avait coupé de nombreux robinets financiers chez tous les autres dinosaures de la classe politique nationale. Le plus cocasse dans l’affaire, c’est que le maire de Parakou repartait toujours de chez Yayi, la tête pleine de promesses et de théories, les poches désespérément vides. Intolérable ! Il finit par s’en ouvrir à Yayi, comme cela sied à un vrai connaisseur des moeurs politiques du pays.  » Président, nous avons besoin d’argent pour entretenir le terrain. Je sais que vous n’en avez pas. Alors voici ma proposition : autorisez-moi à aller solliciter quelqu’un que je connais très bien et qui peut beaucoup nous aider. C’est Patrice Talon « . Le maire de Parakou se serait-il, malgré la réponse évasive de Yayi, rapproché de Patrice Talon ? Toujours est-il que le refroidissement puis la rupture inattendue de son soutien au président de la Boad, tenaient en partie des écarts d’approche que les deux hommes avaient du rôle de l’argent dans la gestion d’une carrière politique. Mais a posteriori, on peut dire que Rachidi Gbadamassi, en évoquant la solution Patrice Talon déjà en 2004, avait eu tort d’avoir trop tôt raison. Une fois hors de l’orbite Yayi, il roula tour à tour dans la farine Bruno Amoussou à qui il promit l’électorat de Parakou, Séverin Adjovi à qui il poussa l’humour cynique jusqu’à remettre les clefs de la ville, puis enfin Adrien Houngbedji à qui il offrit un meeting avec bain de foule mémorable au stade municipal de la cité des kobourou.

Il ne vécut l’élection présidentielle de 2006 que depuis l’enceinte pénitentiaire de Natitingou où l’envoya la scabreuse affaire de l’assassinat du juge Coovi. Mais on peut l’aimer ou pas, il avait vu avant tout le monde, la thérapie au problème qui rongeait le yayisme et qui se révèlera avec une extrême acuité à l’occasion de l’installation du bureau et des points focaux départementaux du bureau central intérimaire, BCI, dont Moïse Mensanh était le président, Benoît Degla le trésorier et Edgar Soukpon le secrétaire général.

Nous étions en 2005, à un an des échéances électorales de 2006. L’urgence de fédérer les énergies jusque-là dispersées, se faisait plus que jamais sentir. Il était question de regrouper toutes les forces politiques yayistes opérant sur le terrain dans une grande structure faîtière qui sera le soubassement politique de la campagne électorale du candidat Yayi. Les travaux eurent lieu au quartier JAK à Akpakpa, à la salle des fêtes  » Les Hortensias  » située dans le vaste domicile de Francis da Silva. C’était surtout un défi organisationnel car les délégués, venus des quatre coins du pays devaient être hébergés et nourris. Au plan strictement des activités, les assises posèrent d’emblée les bases de ce qui sera plus tard FCBE, Forces Cauris pour un Bénin Émergent. Entre autres points focaux départementaux désignés, il y avait Michel Sogbossi pour le Couffo, Bernard Degbe assisté de Jean-Pierre Ezin et Mathurin Nago pour le Mono, Patrice Lovesse et Judes Aïbatin pour le Zou, Codjo Atchode et André Dassoundo pour les Collines, Debourou Djibril,Théophile Babalolla pour le Borgou, appuyés par de jeunes virtuoses aux crocs déjà acérés comme Gildas Aïzannon. Il y avait Bani Samari pour l’Alibori, Emmanuel Tiando et Madame Dafia pour l’Atacora, Ahamed Akobi assisté de Wallis Zoumarou, Soumanou Toleba et Garba Foulera pour la Donga, et Rogatien Akouakou assisté d’une escouade d’activistes dont Souleymane Naïmi, Oussou Christophe au surnom évocateur de « Babassa », Justin Adjovi, Macaire Johnson pour le Littoral, Alexandre Hountondji, le magistrat Honorat Adjovi et Da Matha Santana pour l’Atlantique, Anani Abimbola et Robert Tagnon pour le Plateau, Simplice Codjo et Dominique Takpodji assistés de Hélène Kêkê pour l’Oueme. A tous ces noms il faut ajouter les fortes individualités féminines comme mesdames Olga da Silva, Grâce Lawani, Claude Olory-Togbe, Madame Denise Houngninou, Madame Satchivi, Madame Zoumarou, Madame Bio Sawe. Puis vint le moment des comptes. Sur un budget prévisionnel d’une centaine de millions pour la désignation et l’installation de ces points focaux, nous en avions à peine mobilisé le cinquième. Les délégations veneus de loin étaient bloquées dans leurs hôtels dont nous n’avions pas les moyens d’honorer la note. Les espérances placées en un sursaut d’orgueil du candidat s’effondrèrent. L’angoisse et la crise des nerfs étaient palpables chez les organisateurs. Il fallait parer au plus pressé. La coque du navire craquait. Le naufrage était imminent. Pour la première fois, je vis Tunde hors de lui-même. Francis da Silva, d’ordinaire si maîtrisé, laissa éclater son exaspération en petit comité :  » s’il ne peut pas boucler ce budget, alors ce type ne peut pas être président de la République. Nous avons perdu notre temps » avait-il lâché, au bord de l’infarctus. Mais ce n’était plus le moment des états d’âme. Il fallait trouver un recours, un mécène, n’importe quoi. Le fameux nom Patrice Talon réapparut…

A deux jours de cette cérémonie de déclaration de candidature, les choses paraissaient moins compliquées, côté financier. Rachidi Gbadamassi était en prison. Mais son flair avait eu raison de toutes les pudeurs. La cérémonie s’annonçait belle. Elle s’annonçait grande. Elle s’annonçait surtout historique.

Memoire du Chaudron 33

Supputons un peu. Les élections présidentielles de 2006 auraient-elles connu cette issue si Yayi et Talon avaient fait chemin deux ou trois ans plus tôt ? Mon avis est négatif. Car les deux hommes se seraient découverts et le duo se serait disloqué. Alors je retourne la question autrement : Yayi aurait-il triomphé dans cette compétition s’il avait eu plus tôt les moyens de son indépendance financière ? Là encore ma réponse est négative. Car il aurait vite montré les tares qu’il présenta plus tard dans la gestion du pouvoir et aurait suscité méfiance et rejet. Alors la conclusion qui sied à mon avis est celle qui veut que le pouvoir d’État soit d’appel divin. Et dans ce Bénin si mystérieux et si spirituel, pays aux milles rois mages, vous êtes vite repérés par l’une des nombreuses tours de contrôle spirituel lorsque vous êtes porteurs de cet appel. La première tour de contrôle qui capta avec précision le faisceau de lumière sur Yayi en fin 2002, fut le lobby libanais conduit en ce temps par le patriarche Feu Assad Chagoury. La soirée d’échanges et de partage à laquelle il convia Yayi, en compagnie de quelques uns de ses compatriotes, était plus pour lui dire « nous avons vu ton étoile ». Aussi, la mise en place spontanée autour de lui d’un comité de vieux sages aux yeux perforants dès la même année et constitué du président Émile Derlin Zinsou, de son frère René Zinsou, de Albert Tevoedjre et de Moïse Mensanh, avait, à mon avis, plus à voir avec l’irrationnel. Il en va ainsi du pouvoir d’État ici. Si vous en êtes porteurs, cela se sait dans certains cercles. L’expérience qui fut la mienne sur le chemin du pouvoir aux côtés de Yayi Boni, m’en a donné une conviction définitive, même si je reconnais que ce genre d’assertion ne doit pas avoir sa place dans l’espace public et le discours officiel comme commença malheureusement à le faire le président Yayi juste après sa prise de pouvoir. Car alors on se retrouve dans une vision de monarchie de droit divin alors qu’on a été régulièrement élu par des instruments démocratiques modernes. La responsabilité dans ce cas de l’entourage d’un chef d’État est déterminante. Il faut contre vents et marrées, l’aider à continuer par se sentir homme, citoyen et non démiurge, thaumaturge ou « messikoï ». Je sais cet exercice très risqué et périlleux dans des environnements du pouvoir marqués par les intrigues, les coups bas, la jalousie et la méchanceté toujours gratuite. Mais il faut des  » malio » pour indiquer au Egoun goun enivré par le roulement endiablé du Talking-drum, les limites à ne pas franchir et lui rappeler surtout qu’à la fin des festivité, il devra se déshabiller des oripeaux flamboyants et si craints du revenant et retrouver sa famille comme un homme ordinaire.

Ma marche aux côtés de Yayi n’était pas calculée. Avec les compagnons des temps d’espérance, nous avions entamé la chasse à un gibier sans trop savoir à quelle sauce sa chair se mangerait, sans savoir le type de vin qui l’accompagnerait le mieux, sans rien savoir du spiritueux qui ouvrirait ce genre d’agape. Avec lui sur les infinis chemins du Bénin, je ne m’étais jamais posé la question sur ce qui me reviendrait à l’arrivée. Et je vois encore aujourd’hui certains de ces compagnons continuer d’assurer péniblement leurs loyers et leurs différentes charges familiales à Godomey-Togoudo, tout comme s’ils n’avaient pas fait de bonnes études sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi, tout comme si Yayi qui les appelait par leurs prénoms n’avait jamais été président de la république. 
Dans cette Mercedes à immatriculation diplomatique dont le confort intérieur me suffisait comme récompense, nous avions sillonné les grandes et petites agglomérations du septentrion. J’ai souvent frémi de bonheur en contemplant ce paysage tantôt désolé et lunaire, tantôt accidenté et escarpé, au nord de Natitingou, lorsque nous rendions visite au vieux Colonel Adolphe Biaou dans son orphelinat où il se battait les mains nues pour redonner espoir à une trentaine d’enfants déshérités. J’ai aimé ce décor de savane arborescente lorsque nous debarquâmes dans la ferme de Malam Idi pour une « visite de courtoisie » sur la route de Bembereke. Parfois les voyages étaient calmes et studieux. Yayi se réfugiait dans ce cahier de cent pages dans lequel il recevait ses cours de baatonu à domicile. Il s’y était engagé avec rage depuis qu’une attaque malveillante circula dans le septentrion, l’accusant de ne rien comprendre à la langue. Il perçu mieux que nous tous le côté pernicieux de cette accusation à un moment où la disparition de Saka Saley et de Saka kina mettait cet électorat à sa portée. Soit près de la moitié de l’électorat totale du septentrion. Un peuple fier dont personne ne pouvait présager du comportement électoral après le départ du général Mathieu Kerekou. Un peuple dont la frustration après le long règne du vieux kameleon s’exprimaient déjà par les résultats audacieux qu’un candidat comme Saca Lafia obtint face à l’homme de kouarfa aux présidentielles de 2001 rien qu’en maniant le discours de la fierté identitaire face au « Patriarche somba » qu’il accusait lors de ses meeting de proximité d’avoir bloqué et par complexe d’infériorité, pendant près de trois décennies, l’émergence de tous les cadres baribas. Kerekou le lui rendit d’ailleurs bien en le traitant publiquement de  » bouvier « . Un trait d’humour caustique que ne comprirent que ceux qui maîtrisaient la sociologie bariba. Traiter en effet un bariba de bouvier était la pire des injures qu’on pouvait lui faire. Les princes baribas ne faisant garder leurs troupeaux que par les peuhls qu’ils considéraient au mieux comme des tâcherons  » gando » et au pire comme leurs esclaves. Mais voilà donc que le très fier prince bariba Saca Lafia était… vétérinaire, c’est à dire médecin-traitant des bœufs. Sacré Kerekou !

Yayi savait que rien n’était garanti du côté bariba et que les blagues séculaires entre nagots et baribas ne seraient pas suffisantes pour déclencher l’enthousiasme de ce peuple autour de sa candidature, lui un nagot. Il fallait donc prendre le taureau par les cornes. Il fallait audacieusement se revendiquer bariba. Et pour cela, l’argument était à portée de mains. Sa mère n’était-elle pas bariba ? Eh il fallait l’exploiter à fond. Mais comment s’y prendre alors que lui-même ne parlait pas baatonu ? Retour au cahier. Humblement. Avec comme enseignante, la petite « Dado », une de ses nièces baribas qu’il fit descendre sur Lomé et dont la jeune soeur « Zouberath » occupera plus tard l’actualité dans l’affaire de tentative d’empoisonnement. Nous y reviendrons sans doute. Mais certains baribas ne restèrent pas dupes sur la manœuvre de Yayi. Et s’ils adhérèrent de façon compacte à sa candidature, c’était plus par réalisme que par reconnaissance identitaire. Car pour les baribas, il y avait bariba dans bariba.

En remontant ce soir sur Calavi, je repensais à tout ce parcours qui était le mien, jeune trentenaire, plongé directement dans l’antichambre de la conquête du pouvoir d’État. Nous étions finalement à la veille de cette grande cérémonie de déclaration de candidature. Toute la journée, notre siège a fourmillé de monde et d’activités. Fatigué, je remontais doucement me reposer avant demain, le jour « J ». A la hauteur de Calavi, mon téléphone sonna. C’était Yayi. Je descendis de l’asphalte aux rebonds dentelés qui était faite à l’époque en une seule voie. » Tiburce, me dit-il d’une voix pleine de précaution mais aussi de déception. Le discours que tu me proposes-là, je n’y comprend rien. Je ne peux pas lire ça là demain ».  » Discours ? Moi ? Quel discours ? » Fis-je, totalement surpris.  » J’ai demandé qu’on te dise de me faire une proposition de discours, mais ce que j’ai sous la main là, c’est pas à la hauteur. Je vais devoir réécrire. C’est pas grave… »

Je n’avais jamais entendu parler de ce discours. Quelqu’un venait de me porter un coup décisif. Et les effets seront durables. Très durables.

Memoire du Chaudron 34

Je commence cet épisode de mes chroniques en disant ceci à mes frères et anciens confrères journalistes : il n’y a strictement aucun avenir pour vous auprès d’un homme au pouvoir si vous ne pouvez pas vous présenter autrement que « journaliste ». Dans ce métier certes noble, mais où l’indigence matérielle pouvait parfois induire la disette morale et éthique chez certains de nos confrères, votre ascension vous exposera très vite à l’aigreur et à la jalousie de ceux qui ne comprendront jamais pourquoi c’est vous et non eux. Et même s’ils sont minoritaires dans la corporation, l’enzyme de leur venin sera suffisamment puissant pour vous mettre sur le grille et transformer votre séjour dans l’antre du pouvoir en enfer. C’est aussi que le titre de journaliste, dans ce milieu, tel que je l’ai connu signifie à peu près  » un truc en attendant mieux « . Dans ces conditions, un titre de conseiller à la communication du président de la République devient le maximum imaginable que l’on puisse vous donner. Il s’agit évidemment d’une vue totalement erronée, injuste et frustrante.

En raccrochant donc le téléphone ce soir-là avec Yayi, un sentiment d’indignation, puis d’humiliation m’envahit. Je savais que Yayi avait une mémoire émotionnelle assez rigide et que la première impression que vous lui laissez, restait durablement même si les causes étaient démantelées. C’était la première fois qu’il me sollicitait pour un genre d’exercice aussi sensible que la rédaction d’un discours. Mais puisqu’il n’avait déjà jugé utile de me le demander directement, un intermédiaire dont j’ignore à ce jour l’identité, ne me trouva pas à la hauteur de la tâche. Je n’étais après tout qu’un journaliste , c’est à dire  » un truc en attendant mieux « . Les choses étaient désormais sérieuses et il fallait solliciter quelqu’un à la hauteur. Un ou deux coups de fil plus tard, j’appris que l’auteur de la proposition de discours était l’éminent professeur de lettres qu’on ne présentait plus, en l’occurrence Roger Gbegnonvi. Vérité ? Intox ? Toujours est-il qu’à ce moment précis, rien ne tenait face à mon amour propre blessé. Je n’étais certes qu’un journaliste, c’est à dire  » un truc en attendant mieux « , mais je savais que je n’avais à rougir devant personne dans le maniement de la plume. Ceux de mes anciens camarades de classe au CEG1 de Parakou dont je sais qu’ils sont très nombreux à suivre mes chroniques, savent que comme eux, je suis passé par de bonnes mains. Je pensai à Blaise Djihouessi qui découvrit la flamme de la prose en moi et l’entretint avec passion et amour. Je pensai à Louis Tambamou qui m’insuffla la soif inextinguible de la littérature classique. Et que dire de Félix Dossou qui, en Première et en Terminale au lycée Houffon d’Abomey fit pendant longtemps de ma note en dissertation au baccalauréat session 1993, un sujet de fierté personnelle ? Mes camarades de classe savaient que si mes professeurs donnaient si souvent lecture publique de mes copies de composition en français et en philosophie, ce n’était pas tant parce que j’étais un génie. Mais j’avais appris à faire parler mon âme, sans enflure ni pédantisme. Je n’étais pas un technicien froid de la langue, je m’efforcais à en être un musicien, de sorte que la symphonie de ses cliquetis insonores me rendait plus heureux que la récitation de règles d’orthographe et de grammaire qui ne fut jamais ma passion, mais sur laquelle on me prenait rarement en faute. Plus tard, mes années universitaires furent passées dans l’insouciante compagnie de mes confrères de Radio Univers dont Hervé Djossou et Ahmed Paraïso pouvaient témoigner de notre passion commune pour le beau texte, les meilleures attaques et les plus belles chutes. Nous avions l’assistance débonnaire des aînés dans le journalisme comme Ange Hermann Gnanih et Georges Amlon. Cette génération d’étudiants passionnés que nous formions sous la houlette de Samuel Elidjah, Doucis Aïssi, Serge Prince Agbodjan et j’en oublie, étaient loin d’être les moins brillants dans nos différents amphithéâtres. Mon chemin rencontra ensuite un as du calembour , Édouard Loko, qui fut le seul patron que j’eus dans le journalisme, ce  » truc en attendant mieux  » dont l’image me collera à la peau tout au long de mon séjour à la présidence de la république. Je serai jamais en effet qu’un jeune journaliste. Surtout après le quiproquo de ce soir. Pourtant en ce début d’année 2006 et en cette veille de cérémonie solennelle de déclaration de candidature de Yayi, j’avais déjà un respectable BAC+ 5 depuis deux ans au Département de Géographie et Aménagement du territoire. Je parle du vrai BAC+ 5, à l’ancienne, obtenu en amphi, pas celui des nombreux Master commerciaux qui inondèrent plus tard les rues de Cotonou. Mais ça, peu de gens le sauront pendant le temps que je passai à la présidence de la république. Pour tout le monde là, je n’étais qu’un jeune journaliste qui devrait déjà s’estimer heureux de se faire hisser Conseiller technique par la mansuétude du président Yayi. Certains jours, je me sentais vide, inutile, parvenu. Je n’entamai le long chemin de ma propre guérison que maintenant, quand un concours de circonstance me fit reprendre la plume et que votre enthousiasme, chers lecteurs, me fit reprendre confiance en moi. Je compris que l’ancien Tiburce ADAGBE était toujours là. Je m’en sens chaque jour heureux, grisé, réhabilité. Le pouvoir l’avait pourtant brisé.

Le professeur Gbegnonvi n’était pourtant pas n’importe qui. Ce tresseur habile des cordes de la rhétorique était une icône, un baobab. Mais en s’essayant à la rédaction de ce discours, il s’était simplement laissé piéger. Yayi, en voulant me confiant cet exercice, ne me faisait pas un honneur. Il savait qu’il fallait être chargé de tout ce qu’ensemble nous avions vécu, pour l’écrire. Mais quelqu’un jugea qu’il fallait mieux que le journaliste trentenaire que j’étais et qui exerçait un  » un truc de métier  » en attendant mieux. Le vieux Gbegnonvi eût pu être certainement mon professeur si je me fus inscrit en linguistique ou en lettres modernes. Mais sur ce discours il n’était pas à sa place.

Après une nuit passable, je me précipitai tôt le lendemain matin au domicile de Yayi à Cadjèhoun. C’était le jour « J ». Ce fameux 15 janvier 2006 était enfin là. Il était matinal et cela se comprenait. Je le retrouvai dans le séjour en train d’échaffauder le plan de déroulement de la cérémonie. Il était seul et griffonnait sans arrêt sur du papier. Je compris qu’il avait bouclé l’affaire du discours et qu’il fallait passer à autre chose. Il avait un casse-tête à gérer avec ses lieutenants de la Donga. Le rôle de plus en plus visible que jouait Ahamed Akobi en étouffait déjà plus d’un parmi eux. Et pour calmer les esprits, il tenait à faire prendre la parole au cours de la cérémonie, à un autre : Soumanou Toleba. Il demanda mon avis et j’acquiescai mécaniquement, sans y réfléchir. Il demanda aussitôt qu’on l’appela. J’essayai de relancer l’affaire du discours, mais il changea plutôt de sujet avec  » non non j’ai fini par comprendre « , et me demanda le point des préparatifs au niveau de la communication. Je ne savais pas ce qu’il avait compris, car durant les cinq années qui suivront, il ne m’associa à aucune activité à caractère intellectuel. Je portai ma camisole en bronze de journaliste, c’est-à-dire ce truc qu’on exerçait en attendant mieux. L’arrivée de Angelo Ahouanmagna au palais en notre sein en fin 2007 fut finalement une bouée pour moi. Il porta une partie de la croix  » journaliste  » avec moi jusqu’au Golgotha. C’était pourtant un homme particulièrement inspiré dans la création des concepts de communication. Mais lui aussi ne restera que journaliste. Didier Aplogan en parlera un jour… peut-être.

Memoire du Chaudron 35

Ma première rencontre avec Didier Aplogan remonte au début de l’année 2005. C’était à l’occasion de la première réunion de ce qui deviendra plus tart la cellule de stratégies et de contacts, CST. Charles Toko le convia à cette séance qui eu lieu un soir à la Cité Houeyiho, au siège du cabinet d’études du professeur John Igue. Quelqu’un nous négocia une petite salle de réunion dans cette villa au bord d’une petite ruelle sans issue, à quelques encablures de l’actuelle antenne cotonoise de la télévision privée TV-Carrefour. Ce personnage au physique enveloppé et au timbre vocal écrasé qu’il savait aggraver pour prendre de l’ascendance sur son auditoire, n’avait rien d’un grand timide, contrairement à la première impression qu’il me donna au début de cette séance qui regroupait Charles Toko, Chabi Sika Karimou, Adam Bagoudou, André Dassoundo, Didier Aplogan et moi. L’ordre du jour de la séance était vague tout comme l’était la présentation que fît Charles du nouveau venu. Nous savions globalement qu’il gérait une agence de communication et « qu’il pourrait nous apporter quelque chose ». Didier, heureusement, n’est pas un timide, et dans la présentation qu’il fit aussitôt après de lui-même, nous sûmmes que l’agence qu’il dirigeait à Cotonou avait une dimension mondiale et qu’il était aussi représentant du magazine francophone pour adolescents  » Planète Jeunes ». Ce qui le caractérisait surtout, c’était ce langage direct qui bien souvent ne portait pas de gants. Ce langage qui mettra plus tard et si souvent Yayi sur la sellette, lui coûtera de régulières mises en quarantaine. Didier planta donc le décor ce soir-là dans un style qui me prit totalement de cours. « Dans mon métier, déclara-t-il, j’ai appris à vendre des produits et non des hommes ». « Eh bien, voilà qui commence bien avec ce gros rond », pensai-je, agacé. Mais le développement que fit ensuite le nouveau venu ne manqua pas de pertinence, même si je comprenais mal le détachement qu’il affichait vis-à-vis de la dimension politique de notre séance. « Moi je ne fais pas de la politique, déclara-t-il. Et je suggère que votre homme soit vendu comme du Coca-Cola. Nous vendrons comme une marque, pas plus ». Je ne savais pas ce que pensait Charles de toute cette théorie étrange mais je me rassurais en me disant que s’il l’avait invité à une réunion aussi sensible, c’est qu’il devait avoir une certaine confiance en lui. L’idée de vendre désormais Yayi comme du Coca-Cola m’amusa et me rappela des rumeurs qui courraient alors sur cette boisson séculaire dont je ne n’appréciais pas le grand rôt que sa consommation me donnait. Yayi fera-t-il rôter les Béninois ? Je retins in-extremis cette vanne que je voulais faire pour détendre l’atmosphère. Des gens obséquieux comme Chabi Sika n’y auraient rien compris. Mais tout de même ! Ce Didier faisait fort. Il poursuivit en posant la question fatidique que Charles et moi redoutions souvent chaque fois que quelqu’un que nous démarchions, décidait de jouer strictement sur la piste de la technicité.  » Notre homme a-t-il les moyens d’une vraie campagne de communication ? « , demanda-t-il à cette petite assistance pétrifiée. Ah cette question ! Je cru bien l’avoir déjà entendue quelque part dans le bureau de Charles. » Et c’est toujours lui qui envoie des gens qui posent ce type de question « , maugréai-je en silence. Heureusement, Didier, contrairement à Guidigbi, comprit le lourd silence que nous lui opposâmes et proposa des solutions intermédiaires, en attendant que « notre homme ne sorte les sous ». Puisqu’il n’y avait pas les moyens pour réaliser ce vaste sondage d’opinion qu’il proposait comme préalable à toute initiative, il fut décidé que chacun de nous se transforma en agent sondeur dès que le questionnaire que Didier se proposait de faire élaborer par ses collaborateurs serait prêt. Les résultats de ce sondage d’opinions que nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard pour analyser et commenter, était plutôt riche et digne d’intérêt. Nous avions une perception par les sondés des principaux candidats potentiels à cette présidentielle que confirmeront les urnes un peu plus d’un an plus tard. La première leçon heureuse issue des résultats de cette enquête d’opinions était que les Béninois ne perçoivent pas les élections présidentielles de 2006 comme une confrontation entre le nord et le sud du pays. La deuxième leçon heureuse pour nous, c’était que la classe politique ne leur inspirait plus aucune confiance. Prenant un à un les potentiels candidats, ils trouvaient Bruno Amoussou rusé et pas rassurant, Adrien Houngbedji instable et comptable de l’échec de Nicephore Soglo en 1996. Ils trouvaient Lehady Soglo sans envergure et fils à papa, Severin Adjovi apparut comme un homme d’affaires, or ils ne voulaient pas d’homme d’affaires au pouvoir. De façon surprenante, Idji Kolawole était crédité d’une bonne côte de confiance, mais trainait comme un boulet, son image d’acteur du pouvoir Kerekou. Cette bonne côte était sans doute liée au fait qu’il était président de l’Assemblée nationale au moment de l’administration du questionnaire. Si Yayi paru gagnant de cette enquête, la position des enquêtés sur sa personne reste assez mitigée. La majorité estimait ne pas bien le connaître, même si son profil de banquier du développement emportait leur adhésion. La grande conclusion du document, c’est que notre candidat était vendable. Mais quand Didier sortit sa stratégie, solidement chiffrée en CFA pour vendre son  » Yayi-Coca-cola » et qu’il ne trouva personne pour casser la tirelire, il disparu. Je ne le retrouvai que plus tard au siège de Campagne de Bar Tito , quand Charles le fit revenir pour la séance de validation du logo de notre candidat que nous eûmes avec la présence active de Patrice Talon. Mais les résultats de cette enquête commanditée des mois plus tôt, nous imposait déjà le changement comme thématique incontournable de la présidentielle de 2006.

C’est donc ce même Didier qui se retrouva au manettes de la conception des affiches géantes qui décoraient avec énergie et puissance l’auditorium du palais des sports en ce jour, 15 janvier 2006, jour « J »,  » D-Day » comme le disent les anglais. Quand de Cadjehoun, Yayi m’envoya faire un tour pour prendre le pouls de la situation, je trouvai avec émerveillement un hall déjà plein à craquer a 11 heures, pour une cérémonie de déclaration prévue pour 16 heures. J’y retrouvai Hubert Balley dégoulinant de sueur. C’est à lui que Didier qui ne se voit jamais dans les seconds rôles, confia la tâche de l’affichage. Et on pouvait dire que ce créneau allait mieux à Hubert Ballet qui, revenu échaudé du Gabon, s’essaya à plusieurs activités dont la location de véhicules, mais un succès éclatant. C’était un homme chaleureux, cet Hubert dont la compagnie m’était plutôt agréable. Le ball du palais des sports était plein à craquer et pour gérer le flux continu des militants qui venaient à pieds des quartiers les plus lointains de Cotonou et environ, il fallut bientôt faire installer des bâches avec écrans téléviseurs dehors sur l’esplanade jouxtant le hall. Les choses s’annonçaient très bien au stade, mais se compliquaient à Cadjehoun. Un candidat annoncé pour les présidentielles de 2006 et dont Yayi avait personnellement négocié le retrait de la candidature, se rebiffait. Edgar Alia qui était pourtant prévu parmi les orateurs de ce soir, menaçait à nouveau de se porter candidat si certaines nouvelles exigences qu’il venait de faire parvenir à Yayi n’était pas prises en compte. C’était désormais une question d’heure pour l’avoir ou le perdre. Deux à trois heures pour céder ou résister à un chantage politique odieux.

Memoire du Chaudron 36

Que tous les amis et frères qui, de bonne foi, ont pu se sentir mal à l’aise après la métaphore utilisée dans l’épisode 33 de mes chroniques et parlant des Egoun goun, reçoivent ici toutes mes excuses. L’intention n’était pas malsaine. Salut fraternel. On se tient et le récit se poursuit.

15 Janvier 2006. Le soleil, de ses rayons impitoyables, dardait la ville de Cotonou. Telles des fourmis ébouillantées dans leurs trous, hommes, femmes et jeunes déferlaient en un flot incessant sur le stade de l’amitié de Kouhounou, aujourd’hui stade Général Mathieu Kerekou. Le hall du palais des sports affichant complet depuis 11 heures, des bâches et de nouvelles chaises furent déployées dans l’urgence au dehors, sur l’esplanade. Des baffes gigantesques disposées sous les bâches, relayaient en boucle les chansons que nous avions compilées pour la campagne et dont les supports audio, tirés en plusieurs milliers d’exemplaires, devaient être mis en circulation à l’issue de la cérémonie de déclaration de candidature. Et pour maximiser l’effet et la portée de ces chansons, nous avions dressé méthodiquement une liste des tenanciers de bars et des électroniciens plus communément appelés « dépanneurs » qui seraient d’accord pour jouer à longueur de journées nos CD, contre intéressement. Et il faut dire que la moisson fut si grande que beaucoup d’entre eux, suppliaient juste pour avoir un CD.

L’idée d’impliquer les artistes si puissamment dans cette campagne électorale, vient de Charles Toko. Nous en discutâmes une première fois au début de l’année 2005. Il m’exposa son idée de façon si convaincante que je me demandai comment personne n’y avait pensé avant nous. Le premier développement qu’il me fit concernait le milieu bariba dont chaque village disposait d’un orchestre de musique moderne d’inspiration traditionnelle. Ces orchestres qui occupaient une place centrale dans la vie des communautés pouvaient en effet se transformer en de puissants instruments de communication dans ces milieux, surtout les vocalistes qui avaient développé au fil du temps une lyrique d’une grande finesse. Ils savaient parler aux leurs comme personne d’autre ne le pouvait. Et quand le frétillement de la guitare solo, si caractéristique de ces rythmes, envahissait l’espace et les esprits, quand le batteur donnait la cadence avec des appuis vigoureux et saccadés sur la grosse caisse accompagné des roulements cristallins des cymbales ; tout bariba vivait inévitablement ce transport de l’esprit dans un univers où tout devenait oui et amen. Ces orchestres demeurent à ce jour de véritables phénomènes de sociétés propres à cette aire culturelle, donnant en héritage au patrimoine national, des paroliers de génie dont le plus célèbre est Orou Karim. Charles proposa qu’on intègre tous ces orchestres dans notre stratégie de communication. Et c’était une proposition de génie car, à quoi servait-il de dépenser toute son énergie dans l’occupation des unes des journaux à Cotonou dans un pays majoritairement analphabète alors qu’une seule chanson allégorique en vernaculaire suffirait pour vous faire accepter ou rejeter par une communauté entière ? C’est cette idée qui fut ensuite élargie à tout le pays et qui donna cette compilation d’une dizaine de titres qui allaient bientôt révolutionner la communication politique sous nos cieux.

Si au palais des sports l’ambiance était euphorique, il n’en était pas de même à Cadjehoun. Edgar Alia montait toujours les enchères. Si Yayi voulait l’avoir à ses côtés tout à l’heure et pour la campagne, il devait s’engager, sur papier, à lui donner en cas de victoire, un ministère régalien. Il devait en outre lui assurer une autonomie de fonctionnement durant toute la pré-campagne et la campagne. En d’autres termes, le président de Humanité Bénin exigeait de fonctionner en dehors de toute la superstructure politique mise en place déjà. Il voulait faire valider son budget de campagne et exigeait subtilement qu’on lui confiât à lui seul toute la zone de Savalou et environs. Il était déjà quinze heures et Edgar Alia ne lâchait pas prise. Yayi le prenait longuement au téléphone puis raccrochait, impuissant, avant de demander qu’on relança son numéro. Cette situation inattendue irritait au plus haut point André Dassoundo et certains de ses amis de la cellule de stratégies et tactiques présents. Ils revenaient de la CENA où le dépôt définitif du dossier de candidature avait eu lieu et entendaient faire le cortège avec le candidat jusqu’au palais des sports. Mais voilà que Edgar Alia qui n’avait jamais été des leurs, prenait tout le monde en otage. Se passer de lui n’aurait rien changé à l’issue du scrutin, mais ce genre de réflexion est aisée, seulement à posteriori. Yayi ne voulait aucune faille des collines jusqu’au nord. Et dans ce contexte où un score serré n’était pas à exclure avec Adrien Houngbedji clairement identifié comme son principal challenger, il préférait ne prendre aucun risque. Il voulait Edgar Alia avec lui, même s’il fallait se plier à toutes ses exigences. Ce qu’il finit d’ailleurs par faire.

Autour de 16 heures, le cortège de Yayi finit par prendre départ. La Mercedes à immatriculation diplomatique de la Boad n’était plus au nombre des véhicules de son parking. Pour la circonstance le comité d’organisation avait loué sur place une Mercedes presque identique. Yayi occupait seul la banquette arrière. Devant, assis à côté du chauffeur Tankpinou, son garde du corps, à l’aide de son téléphone portable, maintenait le contact avec le stade de l’amitié. Le cortège de trois véhicules roula à vitesse moyenne, toutes les phares allumées. Mais alors qu’il finissait de négocier le rond point au niveau de Cica-Toyota, un morceau de pavé trainant sur cette chaussée défoncée du côté du mur de la Ceb, percuta si violemment le carter de la Mercedes, que toute l’huile à moteur gicla en une grosse traînée sur l’asphalte dégarni. Il n’était surtout pas question de s’arrêter. Le chauffeur maintint son allure malgré le bruit désormais métallique du moteur. Lorsque le cortège franchit le grand portail du stade, l’effervescence fut telle que Yayi, grisé, voulut faire le reste du trajet à pieds. Mais il se ravisa face à la résistance de son garde du corps. Le cortège se fraya péniblement un chemin jusqu’à l’entrée principale du hall où se trouvait un groupe dérisoire de sécurité, monté par le colonel de gendarmerie à la retraite, Tchousso, et au sein duquel je fus ahuri de découvrir le gigantesque gabarit de… Macaire Johnson !. Ils firent de façon impeccable une ceinture de sécurité autour du candidat qui s’avança vers la bouillotte qu’était devenu l’intérieur de l’auditorium. Le chauffeur Tankpinou pût juste déplacer la Mercedes sur quelques mètres avant de couper le moteur pour l’éternité. Plus tard, un porte-chars passera la récupérer. Tout comme la Mercedes de la Boad à Abomey, ce moteur aussi avait coulé et avait donc définitivement rendu l’âme. « La guerre des choses dans l’ombre », dirait le prosaïque Gaston Zossou. Je restai dans le sillage de Yayi jusque dans la salle où son apparition provoqua un tel déchaînement de passion que le pauvre DJ qui chauffait la salle déjà depuis plus de deux heures, y laissa pratiquement ses cordes vocales. Yayi, excité, entreprit un tour de salle. Quand il eut fini et qu’il se fut installé, quelqu’un entonna l’hymne national, repris en choeur par une foule ivre d’espérance. A la fin de l’exécution de « l’Aube nouvelle », je me glissai dehors où déjà quelques journalistes me réclamaient, pas pour une interview. Chacun d’eux avaient son petit prétexte pour me signaler sa présence. Quelqu’un parmi eux poussa même l’étourderie jusqu’à déjà me réclamer une copie du discours de Yayi. C’était mon univers et je le connaissais bien. Je savais que le discours était la dernière de ses préoccupations.

Cela faisait à peu près trois quarts d’heure que je me tenais là debout sur l’esplanade au dehors, du côté de l’aire de jeu dédié au handball lorsqu’un tumulte suffisamment fort, me parvint depuis le chaudron de la salle. J’y accourus aussitôt. Quand j’entrai dans le hall, la foule extasiée scandait  » bissé ! », « bissé ! ». Puis une voix mélancolique, émouvante et fluette s’éleva, remplit la salle, pétrifiant les esprits. Il chantait en langue fongbe, sur un rythme reggae langoureux, une chanson que bientôt toute la foule déchaînée reprenait avec lui. L’instant était surréaliste, magique. La grâce avait touché la campagne de Yayi. Je reconnus sur le podium, le physique presqu’efféminé de ce jeune homme dont j’avais rejeté l’offre quelques semaines plus tôt à Bar Tito quand il refusa de faire comme tous les autres artistes en laissant une copie de son CD. Il s’appelait GG Lapino. Son tube intitulé  » Yayi Boni  » comptera pour plus de la moitié dans le succès de notre campagne dans les départements de l’Atlantique et du Littoral. L’histoire de sa présence inattendue sur ce podium, mérite d’être racontée, pour la postérité.

Memoire du Chaudron 37

Debout à l’entrée de ce hall surchauffé, je voyais cette foule extasiée, déchaînée, vibrer à l’unisson avec le jeune artiste GG Lapino. Et quand Yayi se mit debout, balançant les deux mains levées à gauche et à droite, ce fut le délire. J’essayai surtout de capter le message de la chanson. Un appel sans ambages à voter Yayi qui serait la troisième issue entre deux belligérants qu’on imaginait aisément être Bruno Amoussou et Adrien Houngbedji. « Yayi Boni mi na zé » ce qui signifie « c’est Yayi le choix à faire « . Le refrain a l’avantage d’être court, concis et agréablement mis en mélodie, tous les ingrédients d’une excellente arme de communication politique. Lorsqu’il finit sa deuxième prestation, le public, insatiable, en réclama une troisième malgré l’effort de l’animateur pour passer à autre chose. Yayi mit fin à ce tiraillement passionné en autorisant d’un signe de main une nouvelle reprise de la chanson et en se mettant debout. Puis ce fut à nouveau l’effervescence dans la salle. La mélodie finit par s’incruster définitivement dans mon esprit. Mais je voulais, avant tout, savoir comment ce jeune homme s’était retrouvé là. J’avais vu la liste de passage des artistes prévus pour animer la cérémonie et je savais qu’il ne s’y retrouvait pas. Je voulais désormais tout savoir. D’où sortait-il ? Quel était le parcours de cette chanson avant et après notre rencontre à Bar Tito ?

Théodore Gaspard Gougounon à l’État civil, ce jeune artiste au teint clair, au physique efféminé et aux cordes vocales mélancoliques, était un produit des quartiers chauds de Godomey. En ce début d’année 2006, il avait déjà troqué tondeuses, ciseaux et peignes qu’il manipulait pourtant avec art dans son atelier de coiffure, pour le micro depuis quelques mois. Il avait déjà quelques chansons sulfureuses qui se jouaient en boucle dans certaines discothèques de Godomey et de Calavi. J’avais souvent entendu ce fameux titre « Dawe fon » qui enthousiasmait si souvent jeunes gens fiers de leur virilité et femmes frustrées, mais je n’avais jamais cherché en savoir plus sur l’auteur. Il affinera plus tard son art dans l’exploitation des thématiques bien en bas de la ceinture. C’est donc ce jeune coiffeur des zones chaudes de Godomey, au début d’une prometteuse carrière musicale qui eu l’initiative en 2005, alors qu’il ne connaissait personne dans le dispositif Yayi, de la chanson  » Yayi Boni ». La suite fut un chemin de combattant pour lui. Toutes ses tentatives pour approcher le président de la Boad dont le nom circulait déjà dans les milieux politiques furent vaines et se soldèrent par une grande frustration pour lui. Un de ses amis finit par lui parler d’un « gars de Yayi » résident à Togoudo et qu’on pouvait voir certains jours, traverser Godomey sur sa vieille moto Yamaha lourdement chargée de sacs de provendes pour ses élevages : Paulin Dossa. GG Lapino lui fit aussitôt écouter sa composition dont il laissa une copie. Paulin Dossa promit le faire écouter par Yayi, mais les contretemps s’enchaînèrent. Il sollicita le concours du gardien de Yayi à Cadjehoun, sans grand succès. Finalement, avec l’aide du garde du corps, il décida d’en parler au vieux chauffeur Tankpinou. Cette solution dans les milieux des réseaux de pouvoir rate rarement sa cible. Il est en effet plus avantageux d’avoir l’amitié et le soutien du chauffeur ou du domestique d’un Président de la République que de se tuer à rechercher le regard bienveillant de ses conseillers qui, malgré les titres, sont à certains moments aussi loin du  » chef  » que vous même. La proximité efficace et agissante avec un président de la république n’a souvent rien à voir avec un titre officiel. C’est que ce personnel est présent dans les grands moments de réceptivité du président. Je parle de ces moment où un homme, fut-il le plus puissant de la terre, fait attention au moindre avis, à la moindre réflexion qui se fait autour de lui. Ceux qui eurent cette sagesse des choses, battirent des carrières enviables. Une fois donc le CD de GG Lapino dans les mains de Tankpinou, le tour était joué. Pendant que Yayi regagnait Lomé après après un week-end à Cotonou, le chauffeur qui savait mieux que quiconque à quel moment du trajet son attention se portait sur le moindre détail autour de lui, lança le morceau dans le lecteur de CD de la voiture en diminuant paradoxalement le volume. On fait en effet plus attention à ce qui se chuchote qu’à ce qui se vocifère. Au bout d’un moment, Yayi demanda qu’on montât le volume. Ce que fit avec satisfaction le chauffeur. La mayonnaise venait de prendre. Il le fit rejouer deux à trois fois avant l’arrivée à destination puis demanda qui en était l’auteur. De fil en aiguille, le jeune artiste reçu la promesse ferme d’une rencontre avec le candidat potentiel à son passage suivant à Cotonou. Mais la tenue de cette promesse, à nouveau, se fit attendre en vain. Paulin Dossa décida alors d’envoyer GG Lapino à Bar Tito où, apprit-il, quelque chose se faisait pour les artistes. Je ne reviendrai pas sur cette rencontre que j’eus avec cet artiste au front ceint de banderole blanche et dont les contours des yeux me paraissaient soulignés à l’antimoine. Il me fit un effet antipathique et son refus de laisser une copie de son CD comme le faisait tout le monde n’arrangea rien. Il repartit comme il était venu, son CD en main. Je n’avais pas une idée glorieuse de tous ces jeunes artistes qui se transformaient parfois de façon outrancière le physique. L’art, selon moi, suffisait amplement pour plaider pour ou contre l’artiste. Et puis de toutes les façons, l’artiste que Yayi voulait voir dans son écurie de campagne, croyais-je, c’était Zenab Habib. Mais les quelques apparitions que fit son manager au physique de catcheur à Bar Tito, ne furent pas concluantes. Luc Dansou montait les enchères et les exigences tant et si haut, que nous décidâmes de le laisser à l’intérêt que, nous disait-il, l’état-major major de Adrien Houngbedji manisfestait pour son artiste. J’en fis d’ailleurs un compte rendu désespéré à Yayi qui, à ma grande surprise ne se démonta nullement. Il voulait avoir Zenab avec lui.  » je gère moi-même « , m’avait-il dit finalement, plein d’assurance. Il ne l’aura finalement pas.

Quand vint donc ce 15 janvier, grand jour de sa déclaration de candidature, Yayi qui, malgré le caractère brouillon de ses initiatives intempestives, savait garder la suite dans les idées, fit passer par Paulin Dossa, le message d’intégrer GG Lapino dans la liste des artistes prévus pour chanter au cours de la cérémonie. Mais là encore le blocage fut total et hermétique. Le MC de cérémonie qui soupçonnait une manœuvre de l’artiste, refusa de le faire chanter. Il ne restait plus que deux options au jeune Théodore Gaspard Gougounon : rentrer définitivement chez lui avec son CD qui semblait être né avec la poisse, où attendre en spectateur. Sait-on jamais. Et c’est la seconde option qu’il fit. Lorsqu’après le tour de salle, l’hymne national et les slogans, Yayi se fut installé, il demanda aussitôt GG Lapino et exprima sa volonté de le voir chanter là, maintenant, immédiatement. Un peu contrarié, le maître de cérémonie réclama le fameux CD qu’il transmit au DJ. Puis le visage de notre communication bascula. Ce morceau irrésistible ensorcela les électeurs les plus indécis dans le Littoral et l’Atlantique. Ce morceau parla là où nous n’aurions jamais pu prendre la parole. Ce morceau installa durablement Yayi dans le coeur d’une couche d’électeurs souvent inaccessible : les jeunes mais surtout les rebuts de notre société. Lapino était des leurs, et puisqu’il orientait le choix vers Yayi, celui-ci devenait aussitôt un des leurs. Une nouvelle façon de percevoir et de concevoir la communication politique montait en puissance. Simplement par le fait d’une pierre rejetée, qui devenait la principale de l’angle, un coup de génie resté inégalé, un ange venu de l’enfer : GG Lapino… !

Memoire du Chaudron 38

Après donc une deuxième reprise de cette aude envoûtante du jeune GG Lapino, le maître de cérémonie décida d’emblée de passer à autre chose. Le temps passait en effet et une série d’intervenants étaient programmés. Un représentant des jeunes, un représentant des femmes, des personnalités triées sur le volet, les représentants des différents partis politiques engagés derrière cette candidature puis, pour finir, le discours de déclaration de candidature. Conformément à la volonté de Yayi, c’est le docteur Soumanou Toleba qui prit la parole au nom de tous les jeunes. Ce qui ne manqua pas de susciter quelques haut-le-coeur du côté de quelques responsables de mouvements de jeunes yayistes qui n’avaient pas grand souvenir de son activisme en leur sein.

Ce choix imposé par Yayi ne manquait pourtant pas de bon sens politique. Il n’était en effet pas question de commettre la moindre erreur dans la gestion du département de la Donga qui devint l’objet de toutes les attentions depuis que celui qui était pressenti pour en être naturellement le leader, préféra une poursuite de carrière au Fonds Monétaire International à Washington, abandonnant sa troupe sans consigne claire. Une monumentale erreur politique dont les conséquences se feront sentir encore très longtemps. C’est vrai que quelques jours seulement après le départ de Abdoulaye Bio Tchane pour Washington, les leaders politiques de la Donga, sous la houlette de Ahamed Akobi, avaient fait une sortie publique à la maison du peuple de Djougou, sortie au cours de laquelle ils déclarèrent leur soutien à la candidature de Yayi Boni. Mais deux prudences valent mieux qu’une, le candidat le savait très bien. C’est pourquoi, après avoir donné des rôles majeurs à Akobi dans l’organisation de son staff de pré-campagne, décida, par précaution, de calmer d’éventuelles frustrations chez Soumanou Toleba, cet ancien membre fondateur du Rassemblement pour l’Unité Nationale et le Développement, RUND de Idrissou Ibrahima. Et puis en terme image, ce serait une erreur tactique qu’aucun ressortissant de la Donga ne prenne la parole à un rendez-vous si fondateur. Il y avait certes Wallis Zoumarou qui ne marchandait pas son soutien à Yayi, mais sa carrière politique semblait sur le déclin après son long conflit avec le régime finissant de Kerekou qu’il n’eut de cesse d’affronter à travers son frère, l’ambassadeur Issa Kpara, mettant en permanence Sèmèrè sous tension. La Donga était enfin à surveiller de près à cause de son comportement électoral qui peut être très imprévisible. On oubliait pas en effet la mémorable raclée qu’infligea Nicephore Soglo au baobab Mathieu Kerekou à Djougou et environs lors des élections présidentielles de 1996. Un score électoral que certains analystes de l’époque s’empressèrent certes de mettre sur le compte de la présence aux côtés de Nicephore Soglo, de Paul Dossou, natif de Djougou, mais ce souvenir était à prendre en compte dans la pondération des hypothèses d’adhésion sur la seule base régionaliste à laquelle la Donga peuvait refaire la surprise de faire mentir. Et de façon générale, les dernières résistances qui s’observaient dans certains endroits du septentrion devaient recevoir un traitement chirurgical local et non une chimiothérapie générale et sans discernement qui pouvait provoquer des métastases. Nous savions par exemple que à Sinende, le colonel Soule Dankoro refusait obstinément de se mettre dans les rangs, dans l’Atacora. Nous devrions nous passer d’un jeune leader émergent comme Barthélémy Kassa, resté fidèle à l’aile du Fard-Alafia qui refusa de s’aligner derrière Yayi. La solution là par exemple fut de vider le Fard-alafia de sa substance. Dans l’Alibori, Issa Salifou et le maire de malanville, koumba Gadje entretenaient la rébellion électorale sur les bords du fleuve Niger, mais en plus des leaders d’opinion de ce département qui lui était acquis, Yayi savait qu’il pouvait compter sur une vague de sympathie à kandi et environs, les populations d’un certain âge gardant encore en mémoire, le souvenir de ce jeune professeur de mathématiques qui n’impressionnait pas seulement par sa moto Yamaha MB-100, mais surtout par sa capacité à donner ses cours sans fiches. Certains pousseraient la précision de la mémoire jusqu’à se souvenir de ce génie un peu brouillon qui trainait des traces de poudre de craie blanche sur les mains, les bras, les coudes et même parfois dans les cheveux qu’il gardait hauts et touffus. C’était en effet dans cette ville de Kandi que Yayi Boni exerça sa première mission d’enseignement. Et à l’heure de la mobilisation politique, des paramètres à priori anodins comme celui-là, peuvent jouer un rôle déterminant dans l’adhésion populaire. Ils suffisait juste d’en faire une exploitation intelligente et appropriée. Nous fîmes d’ailleurs ce genre d’exploitation un à deux ans plus tôt au lycée Mathieu Bouké de Parakou, en réveillant et en entretenant un courant de sympathie et d’émotion autour d’une journée de retrouvailles des anciens de ce lycée, cérémonie qui fut fortuitement… ou presque, placée sous le parrainage de Yayi Boni qui, bien entendu y avait fait son cursus secondaire. La quête de l’électorat ne saurait être l’affaire exclusive des accords d’appareil avec le gotha politique. Il fallait attacher mille cordes à notre arc. Ce que nous avions fait amplement.

Les discours se suivaient dans ce hall du palais des sports qui avait désormais retrouvé une accalmie que rompait par intermittence le slogan  » …avec Yayi Boni …ça peut changer, ça doit changer, ça va changer  » suivi d’une salve d’applaudissements. Vint enfin le tour de Edgar Alia dont Yayi ne pu jamais correctement prononcer le nom plus tard. Dans sa bouche en effet, ce sera toujours Edgar AliaS avec un « s » prononcé à la fin. Il y avait de ces noms qu’il massacrera ainsi tout le temps, malgré les habiles rectifications que nous lui apportions. Ce fut par exemple le cas de « Zinzindohoue » dont on n’entendait de sa bouche qu’un galop de syllabes. L’exercice devenait carrément périlleux quand il devait prononcer  » Ahouanvoebla ». C’était presqu’un petit aboiement que j’entendais alors et qui, plusieurs fois, faillit me faire pouffer de rire. Mais il ne le faisait pas exprès, bien entendu, même s’il ne faisait pas non plus beaucoup d’efforts pour corriger cette tare. Revenons donc à notre Edgar Alia. Quand il vint au micro, il réclama des applaudissements que le public lui offrit de coeur joie. Dans un discours qu’il prononça avec beaucoup d’emphase, il fit longuement les éloges de Yayi sur un ton tantôt grave, tant léger et enjoué. Il expliqua que ce choix était le seul qui s’imposait à tout patriote béninois. Ce choix, dit-il, était à faire sans égoïsme et petits calculs politiciens. Puis, il conclut en annonçant le retrait de sa candidature au profit du  » cheval gagnant  » Yayi Boni. La salle se mit à nouveau en effervescence. Edgar Alia lança le slogan deux ou trois fois avant de descendre de la scène. Ce discours m’amusa particulièrement. C’était comme si je n’avais pas été témoin quelques heures plus tôt de tout ce chantage politique. Mais dans le mercato politique qui démarra juste au lendemain de cette déclaration de candidature, j’en verrai de bien plus incroyables, comme celle dont je fus un témoin abasourdi entre Séverin Adjovi, Houdou Ali et notre candidat. C’était au domicile de Séverin Adjovi, à quelques encablures de l’aéroport.

 

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