Opinion – république bananière : mode d’emploi

Je préviens tout de suite mes aimables lecteurs que le patriote irréductible du Bénin que je suis ne peut jamais attribuer le vocable de « république bananière » à ma douce patrie. Je le dis en touchant du bois et en affirmant urbi et orbi que la république dont je parlerai dans les colonnes qui suivent est un pays imaginaire.

[su_heading size= »17″]A (re)lire aussi : Bénin: 07 centrales syndicales déclarent la guerre à Patrice Talon [/su_heading]

Toute ressemblance avec des faits, des lieux ou des personnages ayant existé ou existant dans la réalité ne serait que pure coïncidence. Alors, serrez vos ceintures.

L’histoire d’une expression

L’expression république bananière apparut dans un sens politique en 1904 sous la plume de l’écrivain américain O. Henry, qui vivait alors au Honduras, en s’inspirant de l’entreprise américaine United Fruit Company.  Dès cette époque, l’United Fruit Company, grand producteur américain de bananes, finança et ordonna pendant environ 50 ans des coups d’États en Amérique centrale pour mieux conduire ses activités.

Le sens actuel du vocable, désigne un pays pauvre dont la gouvernance se porte très mal. C’est dans cette logique que j’apporterai quelques analyses et illustrations en désordre de ce qui pourrait constituer un modèle (imaginaire, j’insiste) d’une bonne république bananière.

Vie des citoyens

Parlons de la vie des citoyens anonymes dans une république bananière, selon quelques besoins fondamentaux de l’humain.

Se nourrir : lorsque l’estomac d’un être humain tourne à vide, il y  a certes la douleur physique, mais il y a aussi une douleur morale plus insupportable où l’on se pose des questions comme : « pourquoi moi ? », « est-ce que ça finira un jour ? », etc.

Pour manger à tout prix, on est prêt à tout. On peut renier ses origines, ses croyances politiques ou religieuses et même sa propre famille. On peut renoncer à la dignité. On peut devenir méchant et dangereux.

Se loger : lorsque l’on en est encore à ne pas pouvoir satisfaire ses trois repas de la journée, on loge dans des bas-fonds. On remplace l’eau pendant la saison sèche en attendant que l’eau vienne vous remplacer à son tour pendant la saison des pluies.

Même dans les villes qualifiées de « grandes », hommes, ordures et grenouilles coexistent avec beaucoup de discours et très peu d’actions efficaces des pouvoirs publics à tous les niveaux. Les villes ne sont propres que quand le pape doit venir dans le pays, c’est-à-dire une fois en vingt ans ou vingt cinq ans.

[su_heading size= »17″]A (re)lire aussi : Bénin: « Patrice Talon a démoli l’édifice institutionnel et constitutionnel du pays » selon le FSP [/su_heading]

L’électricité est une loterie de plus en plus aléatoire. L’eau dite potable est colorée et pue les marais. Elle est d’ailleurs irrégulière stratégiquement pour se faire applaudir lorsqu’elle finit par paraître dans les robinets des consommateurs désespérés.

Se soigner : la santé en république bananière est l’affaire des seigneurs au pouvoir et des riches qui bénéficient de sécurités sociales de rêve.  Pendant ce temps, la grande masse des citoyens est obligée de faire face à la mine renfrognée dans les centres de santé publics, ou aux bricolages dans les centre privés non autorisés et qui exercent pourtant.

Ailleurs, il n’y a même pas de centre de santé à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Les femmes accouchent en route ou à la maison. Les autres malades se retrouvent dans les griffes des marchands d’illusion qui prétendent détenir un produit ou un gris-gris qui guérit tout, y compris l’appendicite, le cancer, le diabète et même le sida.

S’instruire : le secteur de l’éducation dans une telle république est toujours le parent pauvre. Des dizaines d’enfants sont entassés comme de la volaille dans des classes en ruines  et parfois inondées. Les toits sont de véritables passoires. Un seul enseignant tient plusieurs classes à la fois, parfois sous un arbre. Le matériel didactique est aussi insuffisant, s’il n’est pas simplement absent. A l’université publique, les fils de pauvres qui osent vouloir s’instruire affrontent encore pire.

Sécurité et justice

Dans la république de mon imagination, si un commissariat ou une gendarmerie  a (par miracle)  le téléphone direct et que vous appelez parce que vous êtes en danger de mort, on vous répondra qu’il n’y a pas de moyen de déplacement ou de personnel d’intervention. Libre à vous de crever ou de prier pour que le hasard qui gouverne le pays à tous les niveaux vous sauve.

Les forces de sécurité n’ont donc ni personnel ni moyens pour protéger les populations, mais elles en exhibent bruyamment les jours de défilé militaire à la surprise des citoyens.

Mais tous les œufs de la corbeille ne sont pas pourris. Même en république bizarre, il y a des flics patriotes et dignes. 

Quant à la justice, elle obéit à cette assertion d’Honoré de Balzac qui disait « les lois sont des toiles d’araignée à travers lesquelles passent les grosses et où restent les petites. »

Opposants

En république bananière, c’est la pensée unique qui prévaut. Pour guérir les opposants de leur esprit de contestation, le sort qui leur est réservé, c’est : l’interdiction aux marchés de l’Etat, la fiscalité punitive, les tentatives d’enlèvement ou les disparitions mystérieuses, les coupures générales d’électricité lorsqu’ils doivent intervenir sur les médias audiovisuels, les interdictions de marches pacifiques avec des tonnes de gaz étranges à déverser sur eux en cas d’insistance, l’exil, l’affaiblissement de leurs partis par l’achat massif des députés élus sur leurs listes, la nomination et la promotion des frères de leurs régions pour les liguer contre eux, etc.

[su_heading size= »17″]A (re)lire aussi : Lutte contre la corruption au Bénin : Talon n’est pas la personne indiquée selon le Pcb [/su_heading]

Elections

Dans une bonne république bananière, il n’est pas important de tenir les élections à bonne date. Si cela dérange quelqu’un, il va devoir affronter les marches de soutien aux gouvernants, et sa petite protestation sera noyée dans le macadam chaud des marcheurs.

La liste électorale peut être tripatouillée à souhait, de commissions en comités. Elle peut même laisser sur le carreau des milliers de personnes qui ont pourtant rempli toutes les formalités pour voter.

Le jour des élections, les bureaux de vote peuvent ouvrir longtemps après la grasse matinée ou la sieste de monsieur le coordonnateur électoral local. Cela laisse le temps à ceux qui en ont les moyens d’envoyer des hélicoptères créer de nouveaux postes de vote non prévus par la commission électorale et d’y installer leurs militants.

Et les thèmes de campagne ? Ping-pong musclé d’insultes, propos régionalistes scandaleux venant parfois du sommet de l’Etat…

Téléphonie

En république de mauvaise gouvernance, on expérimente toutes sortes de gadgets budgétivores dans le domaine de la téléphonie fixe : on échoue évidemment. On se rabat alors sur le joker que constitue la téléphonie mobile.

Là, certains requins attendent les pauvres consommateurs avec des surfacturations de consommation, des disparitions de crédit, des messages intempestifs du réseau, des pannes à répétition avec de graves préjudices pour les consommateurs jamais dédommagés, la mauvaise qualité qui fait que vous n’arrivez même pas à appeler quelqu’un qui est tout juste à côté de vous. Les sms ne vont pas à destination ou y vont avec des heures de retard, etc.

Concours et recrutements

L’égalité des chances est un leurre dans une bonne république bananière. En effet, certains candidats sont déjà admis avant même d’avoir fourni leur dossier de candidature. Des candidats prennent part au secrétariat et à la multiplication des épreuves dans lesquelles ils vont concourir. Des candidats absents sont déclaré admis. Des candidats admis voient leurs noms remplacés par des gens de la bonne ethnie, de la bonne région,  ou du bon parti politique, etc.

Vaste troupeau d’éléphants blancs

Pour un projet dans ma république imaginaire, seules deux choses sont importantes : sa surfacturation et son financement effectif. Dès que ces deux choses sont obtenues, la fête commence pour célébrer ce qui va arriver.

[su_heading size= »17″]A (re)lire aussi : Patrice Talon : « si je ne réussis pas ma mission , je rendrai des comptes à Dieu » [/su_heading]

Et ce qui va arriver, c’est : avion présidentiel trop cher et cloué au sol ; ascenseur trop cher et cloué au sol ; machines agricoles trop chères et clouées au sol ; centrale électrique trop chère et qui fournira à peine l’énergie d’une lampe torche ; construction d’un siège d’Assemblée nationale qui avale des  milliards et s’achève sur des procès et des ruines émergeant tristement d’un lac comme un énorme phallus malade qui prend le ciel à témoin de son pénible destin ; chantiers routiers avec des avenants multiples au contrat, et qui prennent trois ou quatre fois le délai initialement prévu ; financement étranger pour apporter de l’eau aux populations où à la fin il n’y a plus ni l’eau, ni l’argent, etc.

L’argent des pauvres

En république bananière, des mafiosi peuvent créer une structure de placement d’argent. Vous les verrez avec des gardes du corps militaires et en compagnie de hautes personnalités de l’Etat.

Avec un tel conditionnement, le peuple fera confiance et placera 150 milliards de francs. Un jour, tout s’effondra et les pauvres citoyens n’auront plus le droit de retirer leurs sous.

Conséquences : crises cardiaques, faillites économiques et mentales, suicides, etc. Moi personnellement, je leur promettrai que si j’étais réélu, je leur paierais leur argent. Je serai réélu,  mais je ne leur paierai rien. De temps en temps, une gentille fonctionnaire bien maquillée et bien éloquente ira sur les médias, pas pour apaiser les victimes ou les rembourser, mais plutôt pour expliquer avec colère pourquoi personne n’aura aucun centime.

Têtes « couronnées »

Sous les tropiques, des personnes dont le royaume n’a jamais existé nulle part dans l’histoire usurpent le titre de rois ou princes et font des apparitions spectaculaires. Ils font de la politique alimentaire. Ils souillent la langue des ancêtres avec des mots étrangers. Elus députés, ils se font acheter comme de vulgaires lapins par ceux qu’ils ont pourtant combattus pendant la campagne électorale.

Heureuse conclusion

Je conclus que fort heureusement, cette terrible république que je viens de décrire n’est que pure fiction. Ce n’est pas mon pays, terre de Béhanzin, de Bio GUERA et de KABA. Ce n’est pas le pays de Monseigneur Isidore de SOUZA. Ce ne sera jamais le pays d’Elisabeth Pognon et Conceptia OUINSOU. Ce n’est pas le pays de Thérèse WAOUNWA.

[su_heading size= »17″]A (re)lire aussi : Patrice Talon: « Je n’ai jamais dit que je ferai des miracles » [/su_heading]

Ce pays que j’ai imaginé restera à son état de fiction d’écrivaillon. Quant à ceux qui aiment vraiment notre patrie le Bénin, ils doivent briser leurs barrières ethniques et  politiques (mouvance au pouvoir et opposition), s’unir et lutter aux côtés du peuple souffrant pour que notre patrie ne soit jamais le pays que j’ai décrit dans cet article. Cela est tout à fait possible… maintenant…

Les commentaires sont fermés.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. Accepter En savoir plus