Travail du sexe à Cotonou : le plaisir au prix de la douleur et du refoulement sentimental

La ville cosmopolite du Bénin, Cotonou comme les autres villes de son statut, regorge des travailleurs de toute sorte et enregistre des pratiques aussi peu orthodoxes. En plus des activités légalement reconnues, certaines personnes, surtout les femmes, se livrent au plus vieux des métiers du monde.

Généralement dans les boîtes de nuit, bars, buvettes et dans les rues et ruelles de la ville, ces femmes qui sont des travailleuses de sexe se plaisent bien dans leur « travail » qu’elles qualifient d’ailleurs de « vrai business » avec un excellent chiffre d’affaires.

Il sonne 22h 15 ce jeudi 22 février 2018. L’équipe d’investigation se positionne sur le pavé de Vodjè, 12ème arrondissement de Cotonou. Les passagers font toujours leur allée et venue. Le quartier grouille toujours de monde et la circulation est plus ou moins dense.

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Dans le lot, des jeunes filles (difficile de situer leur âge compte tenu de leur apparence nocturne), dans des tenues sexy, un petit sac en bandoulière, téléphone portable dans la main et des gestes incessants abordant presque tous les passants.

Du lot, nous avons repéré Irène. Habillée en mini-jupe noire, elle porte un tee-shirt jaune sans manche laissant entrevoir ses seins. Elle dispose d’un petit sac à main rouge dans lequel sont gardés son téléphone portable, quelques billets de banque, un papier mouchoir et une dizaine de préservatifs.

Irène a 23 ans et exerce ce vieux métier du monde depuis environ quinze (15) mois.

Elle est étudiante en deuxième année en linguistique anglaise à l’Université d’Abomey-Calavi. Originaire de Dogbo, dans le département du Couffo, Irène est colocataire de Charlotte, aussi étudiante et gérante d’une boutique de vente d’ustensiles de cuisine à Zogbo, dans le 10ème arrondissement de la ville de Cotonou.

« Je suis issue d’une famille de onze (11) enfants et occupe la 8ème position dans l’ordre des naissances. Notre père, polygame avec trois (3) femmes, est décédé il y a deux ans et maman, ménagère, n’arrive plus à subvenir à nos besoins. Nous sommes quatre (4) et je suis l’aînée de mes frères et sœurs germains », entame Irène qui précise qu’elle devrait se battre pour aider sa mère afin qu’émergent ses sœurs et frères qui sont, pour la plupart, encore très jeunes.

Sans gêne, elle s’est confiée à nous dans la rédaction de cet article.

22h43, un véhicule de couleur blanche, immatriculation personnelle, vitres teintées en provenance de la cité Houéyiho s’immobilise à quelques dizaines de mètres de nous. Le conducteur, comme s’il était un habitué des lieux, fait un jeu de phare, klaxonne deux fois et deux jeunes filles déjà debout en attente de potentiels clients se dirigent vers le véhicule.

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Comme nous l’expliquait Irène, notre confidente, plus besoin de grand discours dans des circonstances pareilles et surtout avec ces travailleuses de sexe. En un laps de temps, le conducteur renvoie une des filles. Il vient ainsi de porter son choix sur Jeanne (un nom à nous confier par Irène qui la connaît très bien depuis quelques semaines).

Jeanne était bien taillée avec une silhouette attirante. Elle était vêtue d’une petite culotte noire bien cintrée sur une chemisette marron aussi sexy dessinant son corps et capable d’attirer tout friand de la beauté féminine. Elle monta à bord du véhicule pour une destination inconnue.

[su_quote cite= »nous a signalé Irène qui a accepté consacrer sa soirée afin de nous aider dans la réalisation dudit dossier »]« Il y a souvent deux possibilités quand un client vous embarque de la sorte. Soit le client vous emmène dans un auberge ou hôtel pour un instant de plaisir et vous laisse aussi rapidement que possible afin que vous continuiez votre soirée avec d’autres clients, soit il vous prend toute la nuit jusqu’au petit matin chez lui ou un autre lieu de son choix »,[/su_quote]

Selon les dires d’Irène, des auberges sont aux alentours de leur lieu de « service » et sont généralement des endroits proposés en premier lieu à l’arrivée de tout potentiel client. Une telle proximité leur permet de vite revenir sur leur lieu pour la suite de la soirée.

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L’équipe quitte Irène et se rend dans un des auberges indiqués par cette dernière dans ses nombreuses interventions. A 500m environ des lieux, nous nous retrouvons en face de l’auberge. Comme nous l’avait signifié Irène, autour de cet auberge, il y a des travailleuses de sexe, certaines sortent en compagnie de leur client, d’autres continuent d’attendre de potentiels clients qui aimeraient bien agrémenter sexuellement leur soirée. L’auberge en question dispose d’un bar avec quelques servantes qui ne sont personnes d’autres que des travailleuses de sexe.

Que de fantasmes avec ces filles de joie

« J’ai toujours été complexé. Mais depuis que j’ai découvert ce « tuyau », je dépasse mes limites sexuelles ». Ainsi se sont prononcés les hommes, la majorité,  que nous avons abordés à leur sortie avec leurs clientes de cette maison close.

« Avec une travailleuse de sexe qu’on appelle souvent prostituée, on assouvit ses fantasmes. On arrive à dépasser les limites sexuelles. Ce sont des femmes qui assurent très bien et puis, elles ne sont pas hypocrites avec vous », affirme Rigobert (un nom d’emprunt), un habitué des lieux et un des clients fidèles de ces filles également appelées « des filles de joie ».

Même affirmation chez Gaston. Pour lui, « il n’y a pas meilleur endroit pour faire des choses sexuellement folles que chez ces travailleuses de sexe ». Tout en mentionnant qu’il n’y a pas également de limites avec ces filles, Gaston, marié et père de trois (3) enfants, déclare qu’il va au-delà du nombre de « coups » qu’il a souvent avec sa femme vivant sous son toit.

« Nous n’avons pas de choix que de satisfaire nos clients. Ils nous font recours parce qu’ils veulent plus de sensation sexuelle et notre devoir est de le leur rendre convenablement », confie Irène, 23 ans, une des travailleuses de sexe à Cotonou.

Dans sa confidence, « plus on se donne aux clients pour leur satisfaction, plus ils feront recours à vous à tout moment et pourront également vous joindre sans avoir besoin de se déplacer vers les lieux de concentration des travailleuses de sexe pour disposer de leur fille de joie ». « Nous n’avons pas le droit de nous montrer fatiguées ou épuisées. Si c’est le cas, on rentre et on arrête le travail pour cette nuit-là », semble banaliser Irène tout en rigolant.

Difficile distinction des serveuses de bars des travailleuses de sexe

Il y a certes des points stratégiques dans la ville de Cotonou pour vite repérer les travailleuses de sexe pour une satisfaction sexuelle, mais il convient de signaler que ces filles de joie sont aussi disséminées dans les personnels des bars, maquis, restaurants, boîtes de nuit et buvettes installés un peu partout dans la ville.

Ce n’est plus un secret pour les Béninois. La majorité s’accorde sur le fait que la fréquentation des bars, buvettes, boîtes de nuit et autres endroits du genre par certains hommes est souvent conditionnée par la présence et la qualité des serveuses qui sont, pour la plupart également, des travailleuses de sexe. Une présence répétée des clients de tout genre pour cause de la présence de ces filles dans ces lieux constitue un bon chiffre d’affaires pour les propriétaires.

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Pour donc faire prospérer leurs entreprises, certains promoteurs de bars, clubs ou boîtes de nuit se voient dans l’obligation de mettre à contribution des travailleuses de sexe, qui viennent à des heures précises dans le bar en vue d’attirer les hommes désireux d’avoir une bonne compagnie ou de satisfaire leur libido par la suite. « Grâce à elles, je note un nombre croissant de gens qui viennent prendre des boissons dans mon bar et cela m’arrange si bien », confirme Innocent, promoteur de bar dans le 2ème arrondissement de Cotonou.

C’est donc une entreprise qui marche bien, non seulement pour les promoteurs de ces débits de boissons, mais également pour les filles qui se cachent derrière ce « job » pour mieux opérer et mieux satisfaire leur envie sexuelle. Elles sont de toutes les nationalités mais la majorité vient du Togo, un pays frontalier du Bénin.

« Ces belles de nuit sont nombreuses et passent dans la journée, pour la plupart, pour des anges auprès de leur voisinage immédiat », témoigne André, propriétaire de maison et connaissant à fond sa locatrice qui ne vit que de ce vieux métier.

De peur donc d’être  démasquées et rejetées par leurs parents ou voisins, des filles travailleuses de sexe sont obligées de mener une activité parallèle pour cacher « leur jeu ». En plus de celles qu’on retrouve dans les bars, buvettes, boîtes de nuit et autres lieux du genre où une telle image de prostituée leur est d’office collée, il y a d’autres qui s’investissent dans des activités génératrice de revenus et camouflent par ce geste, leur activité de nuit. Tout ceci de peur de subir les injures, les critiques et commentaires de leur entourage.

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Bernice est détentrice d’une boutique de mèches dans le 2ème arrondissement de Cotonou. La boutique, située à un bel emplacement très visible, contient des dizaines de mèches de toute qualité et d’origines diverses. « Je dispose des mèches naturelles, brésiliennes et les autres qualités de mèches que toute femme peut adorer », a exposé Bernice qui avoue que la vente de ces mèches ne constitue malheureusement pas sa seule source de revenus.

[su_quote cite= » nous a-t-elle confié, fière de paraître comme une femme normale, responsable aux yeux de ses parents, ses voisins et autres personnes »]« La vente des mèches n’est qu’une activité pour camoufler mes activités nocturnes. Je suis en effet une travailleuse de sexe et je suis parvenue à l’ouverture de ma boutique avec les recettes issues de cette activité »[/su_quote]

Suivant ses propos, Bernice mène l’activité depuis deux (2) ans non seulement pour de l’argent mais également pour son plaisir car elle avoue jouir d’intenses plaisirs dans l’exercice de cette activité. « Je suis belle, j’ai la taille et je suis également sexy. J’ai donc tous les atouts pour mieux fantasmer les clients. Sur cette base, je suis exigeante sur le montant de la passe », a répondu Bernice à la question de savoir sa recette réalisée par jour d’activité ou par semaine.

Faisant remarquer que les passes ne sont pas à un prix fixe, elle confie que le prix est discuté selon la tête du client. « Chaque semaine, je me rends à Lomé, au Togo pour m’approvisionner en mèches et comme vous pouvez le constater, ma boutique est très bien fournie. Vous allez peut-être me demander pourquoi je n’abandonne pas le métier avec déjà ce succès de ma vie entreprenante, mais je ne peux plus car j’ai des clients spéciaux qui me joignent directement sur mon téléphone au besoin et je me plais aussi bien dans le métier qui me permet également de toujours fantasmer », avoue Bernice, célibataire et mère de deux enfants (de pères différents).

Mais, peu sont les travailleuses de sexe qui mènent une vie pareille à celle de Bernice surtout concernant la passe. La majorité de ces prostituées se contentent de ce qu’elles trouvent sur le terrain et leur prix varie de mille (1.000) francs CFA à dix (10) mille francs CFA ceci suivant leur emplacement (lieu où elles exercent leur métier) ou selon qu’il s’agira du port ou non de préservatif lors des ébats sexuels.

Un plaisir, des conséquences

Cette activité de prostitution permet certes aux clients et les femmes qui s’y adonnent de jouir énormément de plaisir et de se surpasser sexuellement, mais ce plaisir sexuel intense n’est pas sans conséquences. En plus des maladies, elles sont exposées à des problèmes psychologiques et psychiques. Selon la psychologue-clinicienne Sylvie Sossou, les conséquences, comme on peut bien le constater, sont de divers ordres et ont trait à l’aspect psychique et physique.

Suivant ses propos, les conséquences psychiques de la situation prostitutionnelle se manifestent par des troubles psychiques de type dissociatif, c’est-à-dire un véritable clivage ou dissociation psychique entre la personnalité prostituée et la « personnalité privée » de la personne prostituée, constituant l’aspect psychique de la décorporalisation. Ce clivage est un mécanisme de défense psychique contre les agressions et violences vécues dans la situation prostitutionnelle ; la première de ces violences est de subir des rapports sexuels non désirés parfois de manière répétitive.

Poursuivant dans la même logique, elle démontre que « les sentiments et les émotions n’existent pas dans des relations prostitutionnelles car les travailleuses de sexe refoulent tout sentiment puisque considérés comme des obstacles par l’acheteur de services sexuels ».

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Sur le plan physique, la dissociation existant va se manifester car « on ne peut dissocier de manière contrôlée le ressenti physique de ce qui se passe dans la tête de la personne ». « Ces troubles perturbent le fonctionnement de la sensibilité corporelle des personnes prostituées, et sont aussi un mécanisme de défense : ne plus ressentir physiquement ce qui n’est pas désiré », précise la psychologue.

Les manifestations physiques essentielles vont être des troubles de la sensibilité nociceptive (ou coenesthésique), c’est-à-dire de la sensibilité à la douleur et aux sensations tactiles (du toucher), dus à la dissociation tête – corps, non – organiques.

Le seuil de tolérance à la douleur supérieure à la moyenne est très élevé. « Elles sont capables de supporter des douleurs nettement supérieures à celles que peut tolérer une personne normale », a également dévoilé Sylvie lors de cet entretien exclusif qu’elle nous a accordé. « Plus la situation prostitutionnelle se prolonge dans le temps, plus l’hypoesthésie se transformera en anesthésie et la personne ne sent plus aucune douleur », conclut-elle.

L’existence de la brigade des mœurs, et pourtant…

Au Bénin, la prostitution, le proxénétisme et autres activités portant atteinte aux bonnes mœurs sont réprimés par la loi et une brigade spéciale a été mise en place pour cela. La brigade des mœurs est une structure sous la tutelle de la direction de la police judiciaire.

[su_quote cite= » signale Rigobert Koutangni, commissaire de police et chef de la  brigade des mœurs à Cotonou. »]« La brigade réprimande toutes les infractions à caractère sexuel, outrage et attentat à la pudeur, les cas de viol, l’inceste, la prostitution et toute publication obscène même sur les médias sociaux »[/su_quote]

Selon les données recueillies du secrétariat de cette brigade, quarante (40) à soixante-quinze (75) cas de prostitution sont interpellés par mois et la période de fin d’année constitue le moment idéal pour ces filles qui veulent tout faire pour disposer de ressources financières nécessaires pour les activités de fin d’année. Le taux d’interpellation est donc élevé en cette période et des plaintes surtout venant des clients qui se plaignent du traitement à eux infligé par ces prostituées sont plus enregistrées au secrétariat de la brigade des mœurs.

 « Au total, la brigade a recensé mille trente-deux (1.032) sites de prostitution dans la ville de Cotonou avec un total de cent quatre-vingt-six (186) cas spécifiques concernant le proxénétisme exploitant les filles d’autres nationalités », renseigne le secrétariat de la brigade des mœurs. Des chiffres inquiétants qui prouvent l’état très avancé de cette activité dans la ville de Cotonou, une ville cosmopolite. Depuis 2012,  des cas de prostitution sont traités par la brigade et envoyés au procureur de la République qui prend le relais pour la suite de la procédure judiciaire.

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« Notre mission s’arrête donc à ce niveau », confie le secrétaire principal  de la brigade. « Malheureusement, la majorité des cas de prostitution qu’a enregistré le parquet n’a pas connu de grandes avancées », se désole le numéro un de cette brigade des mœurs. De toute évidence, les efforts de la brigade des mœurs semblent donc être vains et mêmes les dispositions du code pénale semblent être bafouées à ce stade. « Mais la lutte contre le fléau sera sans relâche même si l’activité résiste toujours », s’engage le patron de la brigade des mœurs Rigobert Koutangni.

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