Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi: Mémoire du chaudron épisode 61

À quelques jours du lancement officiel de la campagne électorale de 2006, le siège de campagne de Bar Tito qui fourmillait d’activités politiques, n’abritait plus aucune prise de décision sensible.

J’y devins d’ailleurs de plus en plus rare. Je passais désormais le plus clair de mes journées à travers les nombreux meetings de soutien à la candidature de Yayi, qui se multipliaient à travers les départements de l’Atlantique et du Littoral.

À ces rencontres, je devenais, pour ceux qui avaient eu l’occasion de me voir au siège de campagne, une caution, l’oreille de Yayi, celui dont la présence montrait que leurs déclarations de soutien seraient entendues en haut lieu.

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Les sollicitations devenaient de plus en plus nombreuses et, accompagné de Macaire Johnson ou de Albert, je passais de meeting en meeting. Cela m’occupait fort heureusement, car du côté de la communication, nous n’avions plus, à proprement parler, qu’un défi réel.

Notre challenger principal, Adrien Houngbedji, s’était retranché dans son périmètre géographique traditionnel, c’est-à-dire l’Est de Cotonou et le département de l’Ouémé. On ne percevait plus sa campagne qu’à travers le journal télévisé de la chaîne de télévision locale Golfe TV qui lui consacrait parfois la quasi totalité de ses éditions.

C’était souvent un alignement de meetings et de déclarations de soutiens qui, à mon avis, n’émouvaient plus que ceux qui étaient déjà acquis à la candidature du leader du PRD.

La saturation est le pire ennemi de la communication.

Quant aux autres candidats, ils me donnaient tous l’air de manquer subitement de motivation. Bruno Amoussou, Léhady Soglo, Idji Kolawolé étaient devenus presque aphones. Le paysage politique était sous hypnose.

C’est dans ces conditions que je décidai d’aller voir à l’intérieur du pays.

La voiture chargée d’affiches, de posters et de CD, je pris le volant pour Abomey.

À partir de Glo, je commençai par percevoir avec bonheur, les signes d’une adhésion populaire à la candidature de Yayi. Les grands panneaux d’affichage de 12 mètres carré, n’étaient pas encore habillés. Je crois d’ailleurs que ce n’étaient pas les meilleurs baromètres de lecture de l’emprise d’un candidat sur une région.

Les meilleurs indicateurs étaient en effet les petites affiches. Nous n’avions certes pas encore le droit de sortir officiellement nos affiches de campagne, mais les populations avaient trouvé le moyen de contourner ce blocage règlementaire. Elles ne s’embarrassaient pas de soucis de légalité pour transformer les anciens calendriers à l’effigie de notre candidat, en affiches de campagne qu’elles collaient, qui devant son portail, qui devant son atelier de vulcanisation, de couture et que sais-je encore.

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Lorsque ces affiches sont posées modestement mais très visiblement devant une propriété et qu’elles ne portent aucune trace de vandalisme, c’est que le soutien au candidat, dans ce périmètre, est assumé. Et cela se ressent directement à l’heure du dépouillement des bulletins de vote.

L’étalage d’immenses panneaux d’affichage n’a donc pas grand chose à voir avec les résultats qui sortiront des urnes au soir du vote dans cette zone. Le plus émouvant, c’était ces camions gros porteurs que je croisais ou que je dépassais sur la route. Ils avaient de façon systématique un calendrier à l’effigie de Yayi collé, par l’intérieur, sur leur large pare-brise et parfois un autre calendrier collé sur un des battants de la remorque, pour les plus passionnés.

J’avais déjà vu ce type de support de communication politique en faveur du général Mathieu Kerekou lors de la campagne électorale de 2001. Mais pas dans ces proportions. Un de ces camions ainsi brandé, qui part de la zone portuaire de Cotonou, devient un puissant vecteur de communication politique, jusqu’à Gaya. Et quand on y intègre tous les points d’arrêt sur cet itinéraire, c’était absolument un moyen de communication d’une efficacité redoutable.

Imaginez donc quatre cents ou cinq cents, ces camions qui traversent le pays sur toute sa longueur, dans les deux sens et pendant des jours ! Aucun panneau d’affichage quelles que soient ses dimensions, ne peut tenir la comparaison.

J’en rencontrai très régulièrement jusqu’à Bohicon. Et là aussi, il s’agissait bien entendu, d’un affichage assumé. Le chauffeur est donc très fort probablement une voix électorale garantie. Et avec lui, ses nombreuses femmes, ses concubines tout au long du millier de kilomètres entre Cotonou et la frontière de Gaya.

Il y a ensuite tous ces usagers de la route qui, à force de croiser ces camions avec l’effigie du candidat, finiront sans doute par se dire … « oui pourquoi pas ? « .

Si j’avais donc un conseil à donner à une agence de communication ayant à charge la gestion de l’image d’un candidat dans cette compétition au suffrage universel, c’est de prioriser l’affichage assumé.

Ce type de réaction du public, précisons-le, ne peut-être que le résultat d’un maillage patient et méthodique de l’agglomération. Et c’est avant tout, le résultat d’un travail politique. Le communicateur ne fait ensuite, dans ce cas, qu’un travail d’accompagnement.

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Il ne sert donc à rien, de passer une nuit blanche à coller, de façon sauvage, dix milles affiches sur des murs dans une agglomération où un travail politique assidu n’a pas été préalablement fait. L’effet est même souvent radicalement l’inverse de celui attendu, car vous ne réussissez souvent qu’à provoquer l’irritation chez ceux dont vous attendez la sympathie. Une petite affichette sur le portillon d’un domicile ou sur un des piliers de la paillote d’une gargoterie produira par contre un effet imparable dans les urnes tant que ce mini affichage est assumé par le maître.

Oui je pense qu’on peut faire une campagne électorale présidentielle, rien que par des affichettes. Il n’est pas exclu que des électeurs puissent se décider à voter pour vous rien qu’en voyant la blancheur de votre denture sur une affiche géante. Mais, je trouve que le baromètre le plus infaillible, c’est ce garagiste qui affiche ou laisse afficher une de vos affichette sur le portail de son garage, c’est ce vulcanisateur qui, de ses propres mains, colle vos affichettes sur les pneus hors d’usage, signalétiques de sa présence au bord de la voie, c’est ce conducteur de taxi qui colle votre affichette sur le tableau de bord de sa voiture « Tercel » sans âge.

Sur ce chemin qui me conduisait à Abomey, j’eu le temps et l’occasion d’apprécier l’immense travail abattu sur le terrain par tous ces mouvements politiques qui avaient d’ailleurs totalement débordé les partis politiques supposément maîtres de ces zones.

À l’arrêt de Sèhouè où un marché s’animait de façon surréaliste en pleine chaussée, j’aperçois même avec stupéfaction une buvette qui, pour la période, s’était baptisée en » Chez Yayi Boni « . C’était plus puissant et plus efficace que milles panneaux géants.

Lorsque j’entrai à Bohicon au crépuscule tombant, c’était le comble. Cette ville où régnait sans partage la Renaissance du Bénin et qui, théoriquement, devrait donc s’aligner derrière le candidat Léhady Soglo, envoyait paradoxalement un autre message. Je pouvais en effet remarquer quelques affichages assumés sur des portes de magasins.

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Arrivé au passage à niveau, non loin du carrefour Mokas, j’entendis au loin, la voix si caractéristique de l’artiste Somadjè Gbesso. Son morceau que nous lui avions fait enregistré juste après avoir buté sur la résistance du virtuose Alèkpéhanhou, tonnait à plein volume. Que pouvais-je espérer de mieux ? Mon pari sur Gbesso portait ses fruits. J’accélérai, presque euphorique, contournai le grand marché, puis mis le cap plein ouest sur la cité royale.

J’attendais beaucoup de choses d’Abomey et j’ai encore tant à vous dire sur cette ville mystérieuse qui épouvantait tant Yayi.

Tiburce Adagbe

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