Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 64

Quatre forces politiques se disputaient Abomey en cette veille du démarrage de la campagne électorale pour le compte de la présidentielle de 2006. Il y avait très naturellement le candidat Léhady Soglo, soutenu très officiellement par le parti La Renaissance du Bénin, Yayi Boni soutenu par un courant diffus et parfois inavoué de sympathie à travers la ville, Adrien Houngbédji qui eut l’idée de faire conduire sa campagne dans la cité royale par un connaisseur du milieu, puis Lazare Sèhouéto qui espérait un juste retour d’ascenseur de la part des lieutenants originaires de la ville et qu’il a promu lors de son passage à la tête du ministère du Commerce puis du ministère de l’Agriculture.

Disons d’emblée que la ville était restée dans une large proportion, fidèle au choix du parti La Renaissance du Bénin pour le compte de cette élection présidentielle, même si, au fond, un certain délitement était déjà perceptible pour l’observateur. Pour la première fois en effet, celui qui était devenu le leader politique de l’aire culturelle fon depuis la conférence des forces vives de février 1990, n’était plus dans la course. Son fils Léhady, qui se présentait pour la première fois devant cet électorat dans le cadre d’un scrutin au suffrage universel direct, n’avait ni l’aura, ni le parcours du père.

Son image manquait encore de virilité et de pugnacité, et les effets des violentes attaques dont il fut victime de la part de certains anciens lieutenants rebelles de son père avec la fameuse boutade « sô mi, sô migo » lancée dans la furie par un certain Florentin Mito Baba, avait laissé plus que des zébrures sur son image. Léhady traînait donc comme un grelot, les conséquences des attaques dont fut victime son père aux lendemains de l’appel de Goho qui consacrait la création du parti que présida longtemps sa mère et dont son père était alors le président d’honneur.

Même si personne n’apporta jamais la preuve qu’il gifla le charismatique philosophe Paulin Hountondji pendant que celui-ci était ministre dans le gouvernement de son père, ce genre de rumeur accusatrice dont il ne réussit pas à trouver l’antidote joua longtemps et jouera peut-être encore longtemps sur sa carrière. Il y a en effet de ces clichés dont on se départit péniblement en politique. Il en est de même pour certaines boules puantes.

Ouvrons la parenthèse pour dire par exemple que le sigle BCB, fut une incantation maléfique qui virussa toutes les stratégies de communication politique élaborée par Bruno Amoussou durant les différentes consultations électorales auxquelles il prit part depuis la conférence nationale.

Les accusations farfelues qui expliquaient les divergences politiques entre Adrien Houngbédji et son frère Gatien par une histoire en dessous de la ceinture, fit pendant longtemps des ravages sur l’image du leader des tchoco tchoco dans certaines parties du pays où beaucoup de mythes et de superstitions restent attachées aux affaires de sexe.

La caractéristique première de ces boules puantes qui peuvent plomber en un éclair une carrière politique est qu’elles sont toujours orphelines, mais ont tellement de familles d’accueil. Autant personne ne prononça jamais officiellement l’accusation de gifleur de ministre contre Léhady Soglo, autant Bruno Amoussou demandera en vain une confrontation télévisée avec quiconque détiendrait quelque preuve de sa participation à la banqueroute de la BCB. Le pauvre Adrien Houngbédji ne verra non plus jamais le premier qui l’accusa d’avoir connu la femme de son frère Gatien ou vice versa.

Rejeter avec vigueur et même beaucoup de férocité certaines boules puantes dès leur apparition, serait donc à mon avis, une attitude clairvoyante pour quiconque envisage solliciter un jour le suffrage universel sous nos cieux. Ne jamais perdre de vue l’importance des codes sociaux dans l’élaboration de la perception chez l’électeur béninois. Tel a-t-il été maudit par son père ? A-t-il porté la main sur sa mère ? A-t-il arraché la femme de son propre fils ? A-t-il abandonné femme et enfants dans la disette pendant que lui-même flambe des billets de banque dans les palaces ? Des questions dont les réponses peuvent signer un aller simple vers le cimetière des ambitions politiques.

Léhady Soglo, disais-je, avait pour la bataille présidentielle de 2006, tout l’arsenal politique de la RB à sa disposition. Mais, il avait un profond problème d’image que l’engagement tardif de son père dans la campagne ne réussira pas vraiment à corriger.

Et le grand bénéficiaire de la situation dans toutes les zones d’influence de la RB fut le candidat Yayi. Son profil de banquier et son passage à la présidence de la république en tant que conseiller de Nicéphore Soglo, charmait et rassurait l’électorat houezèhouè. Nous ajoutions opportunément à cela, ses liens de famille avec les Soglo, par son cousin, le docteur Pierre Boni, fondateur de la clinique Boni à Akpakpa.

Dans le même temps, Yayi bénéficiait, dans cette même ville d’Abomey, du soutien de l’électorat que le général Mathieu Kérékou avait péniblement réussi à se construire.

Pour ces électeurs, voter pour Yayi en 2006 après l’avoir fait pour Kérékou en 2001, sous la houlette d’un certain Damien Modérant Zinsou Allahassa, paraissait tout naturel et d’ailleurs moins clivant.

Ensuite, venait le candidat Adrien Houngbédji. C’est un euphémisme de dire que sa situation politique dans la cité royale était des plus délicates depuis le report de voix en faveur de Kérékou en 1996. Un report de voix que l’électorat fon ne digérait toujours pas malgré la tentative de rachat de 2001 où Houngbédji se fit solidaire de Soglo en se désistant à son tour face à Kérékou.

Mais, la blessure était déjà purulente, et les éléments d’histoire sur la « traitrise de Toffa », pourtant élevé parmi les princes dans la cour royale de Guézo, puis de Glèlè, avant d’être installé sur le trône de Tê Agbanlin à Hogbonou par un régiment de l’armée royale du danxomè avait refleurit. Ce fut en vain que le vieux Maxime Houédjissin, fin connaisseur des mentalités aboméennes, essaya de rappeler le lien de sang qu’avait Adrien Houngbédji et la lignée royale Agonglo.
Les aboméens, suspectant un subterfuge, ne voulurent rien entendre. Les carottes étaient définitivement cuites.

Lazare Sèhouéto était le petit poucet de la classe. Même si son emprise sur la région de Zogbodomey était sensible, Abomey paraissait un défi au-dessus de son envergure. Entre la redoutable machine de guerre RB, la bienveillance manifeste d’une partie des aboméens pour Yayi, et les appels de pieds audacieux de Houngbédji, il restait peu de place pour lui. Je crois, par ailleurs, que le rôle central que jouait son ami « Patrice » dans la campagne de Yayi, édulcora quelque peu son agressivité contre ce candidat venu du nord et qui eu fait une bonne cible pour son imagination politique débordante.

Voilà, de façon schématique, le tableau que présentait la cité des Guédévis à la veille de l’ouverture de la campagne électorale en 2006.

Je revins à Cotonou avec la certitude que c’était plié. Ce Yayi ne pouvait pas ne pas remporter cette élection. Je revins à Cotonou, heureux et alerte. Mais, un coup de fil de Charles dès le lendemain de mon retour à Cotonou allait gâcher ma bonne humeur.

Tiburce Adagbe

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