Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 68

L’organisation matérielle de l’élection présidentielle de 2006 fut une longue épreuve pour la Commission électorale nationale autonome, CENA. Les résistances au départ du général Mathieu Kérékou s’organisèrent, de façon parfois si sournoise, qu’elles paraissaient imparables. Une nébuleuse formée autour du directeur du cabinet civil de Kérékou, monsieur Kamala, de Chantal de Souza (à ne pas confondre avec l’épouse de Yayi), avec pour bras financier le ministre des Finances Cosme Sèhlin, fera feu de tout bois pour pousser la CENA de Nouatin dans les cordes et obtenir le report de l’élection présidentielle.

Ce qui ouvrirait inévitablement la porte à une série d’imbroglios juridiques dont la conséquence la plus évidente sera la prolongation du séjour de Kérékou au pouvoir, au-delà du terme constitutionnel de son mandat qui arrivait à échéance le 6 avril 2006.

Cette Chantal de Souza acquit une telle puissance dans le dernier cercle du pouvoir du vieux Caméléon finissant, que des histoires plus ou moins crédibles circulaient chaque jour sur son compte et sur la nature réelle de ses rapports avec le président de la République. Quel était son profil, et comment s’était-elle retrouvée à ce niveau de puissance dans l’appareil d’État ?

Je ne peux répondre à ce genre de questions pourtant légitimes sans relayer les chuchotements de salon qui, en ces temps-là , attribuaient son entrée au palais de la présidence de la République au pasteur Romain, dont elle aurait ensuite veillé à obtenir la mise en quarantaine. Toujours est-il que le manque de renseignements et d’informations crédibles sur ce genre de personnages qui pourtant fut, à un moment si sensible de notre histoire politique nationale, d’une telle influence qu’elle aurait pu faire basculer le pays dans le néant, n’est pas flatteur pour nos historiens.

En 2006, au crépuscule du long règne de Mathieu Kérékou, les journalistes qui eurent le malheur de se montrer désobligeants vis-à-vis de Chantal de Souza eurent immédiatement l’appareil sécuritaire de l’État à leurs trousses. Charles Toko pourra un jour prendre la plume pour en témoigner. Pareil pour Distel Amoussou dont l’imprévisible journal Panorama publia une révélation qui déplut particulièrement au sommet de l’État.

Mais, le Béninois ordinaire ne savait pas grand-chose de ces coups de hache qui se donnaient contre l’arbre qu’est notre processus démocratique que nous voulions iroko, mais qui, à certains moments, paraît beaucoup plus papayer. Le Béninois ordinaire ne savait surtout pas que de gros nuages gris sombres planaient sur la tenue effective du scrutin présidentiel en cette année 2006.

L’ultime parade trouvée par le lobby favorable à un maintien de Kérékou au pouvoir était diaboliquement efficace. Cosme Sèhlin, ministre des Finances, informa sans scrupule l’équipe dirigeante de la CENA, de son incapacité à mettre à sa disposition les ressources financières nécessaires à son fonctionnement et à l’organisation matérielle du scrutin présidentiel.

Cette échéance pourtant constitutionnelle ne devrait pas être une surprise pour l’argentier national qu’il était alors. Les nombreuses séances de travail entre les responsables de la CENA et le ministre des Finances ne donnèrent rien. « Les caisses sont vides ! », répondait Sèhlin. Les nombreuses relances de la CENA ne le firent pas fléchir.

Quelques journaux de la place, démarchés par le conseiller à la communication du général, Denis Babaèkpa, servaient de temps à autre de relais à cette thèse. Pas d’argent, donc pas d’élection. Pas d’élection, donc pas de passation de pouvoir. La logique du lobby pro maintien au pouvoir de Kérékou était aussi simple que cela. Qui d’autre qu’un ministre des Finances est fondé à dire l’état de santé du trésor public ?

Lentement, sûrement, et à l’insu de la grande majorité des acteurs politiques, le processus électoral rentrait dans l’impasse. C’est à ce moment que le président de la CENA, Sylvain Nouatin, prit une décision qui mérite d’être revisitée plus tard et étudiée dans nos facultés d’histoire et de sciences politiques. Il décida de rechercher les solutions du financement du processus électoral hors du circuit officiel. Sous le couvert d’une discrétion voulue absolue, il prit langue avec Lambert Koty qui était, en ces moments-là, l’un des derniers verrous qui donnaient accès à l’homme d’affaires et mécène politique Patrice Talon.

C’est cette discrétion, je crois, qui sauva le processus électoral. Car, si l’information sur cette rencontre avait été ébruitée, elle aurait sans doute été amplifiée par le lobby du palais, ce qui aurait créé une insupportable ambiance de suspicion parmi les candidats dont, il est vrai, certains des plus sérieux étaient passés prendre leur enveloppe de campagne chez le cotonnier.

La rencontre entre Sylvain Nouatin et Patrice Talon, qui s’est tenue dans le bureau de Lambert Koty à l’Agetur et dont des personnes plus introduites que moi parleront peut-être un jour pour la postérité, permit de débloquer définitivement le processus électoral.

La CENA manquait-elle d’urnes ? Hop, Patrice Talon avait une solution toute faite dans la sous-région. Son ami François Compaoré, maire de la ville de Ouagadougou et frère de qui on sait, en avait un stock. Par vol cargo, les urnes furent reçues à l’aéroport de Cadjèhoun. Le transport du matériel vers les zones d’exploitation fut assuré par le matériel roulant de l’armée béninoise et une partie des camions de l’homme d’affaires qui prit en compte une partie de la revendication des agents de la CENA qui, sur le terrain, faisaient grise mine, menaçant à leur tour de prendre en otage le processus électoral si primes et émoluments ne leur étaient pas payés.

Permettez que cet épisode si sensible ne soit pas plus longue. Puisse la chronique de ce jour nous faire réfléchir sur la fragilité de nos institutions démocratiques. Cela relève de l’irresponsabilité que nous continuions de nous emmurer dans des formules plates comme « Dieu aime le Bénin« . Comprenons bien que rien ne sera jamais définitivement acquis et que la paix et la stabilité du Bénin resteront pour tout Béninois un engagement citoyen de tous les jours.

Les goulots d’étranglement au processus électoral furent donc levés en une séance informelle. La machine de l’alternance se remit en marche. Inexorablement. En cette veille de lancement de la campagne électorale officielle, je n’avais donc plus ma tête dans les histoires de communication. Pour moi, la communication était déjà faite. Elle était déjà terminée à Bar Tito. Rien ni personne ne pouvait m’enlever cette conviction. Il y avait peut-être juste que la tête de Charles ne revenait pas trop à Koty. En tout cas, pas autant que celle de Maurille Agbokou ou de Didier Aplogan. Je savais en effet que beaucoup, dans cet environnement, faisaient juste l’effort de le supporter. Mais, pour l’avoir pratiqué de si près, je le trouvais correct et loyal. Je n’ouvris jamais avec lui le débat sur la perception déformée que les gens avaient de lui. Peut-être aurais-je dû le faire. Une toute autre l’histoire…!

J’avais désormais ma tête ailleurs. Je voulais descendre dans l’arène survoltée des meetings électoraux. Dès demain !

Tiburce Adagbe

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