Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi: Mémoire du chaudron épisode 70

La leçon reçue dans l’Amphi 1000 du campus universitaire de Abomey-Calavi sur le discours politique en période électorale servira donc pour la suite de la campagne électorale dont nous venions de donner le ton : candidat tchigan et candidat tchivi.

Cela me rappelait cette déclaration du Général au lancement de sa campagne électorale dans le département de l’Ouémé, en 2001. « Je veux que cette campagne électorale soit une grande fête populaire », avait-il déclaré, avant d’ajouter, sarcastique, « Regardez-les tous. Je suis le maître et ils sont mes élèves. Je les ai évalués, et le résultat, c’est qu’ils doivent tous redoubler la classe pour cinq ans encore ». Eh bien, nous eûmes tous tort de ne pas comprendre, en ce moment précis, le génie politique du président Mathieu Kérékou.

Il avait compris que la campagne électorale chez nous, contrairement à nos déclarations d’intellectuels souvent en total déphasage avec nos réalités socio-anthropologiques, n’est pas un moment de débats. Elle est perçue par une écrasante majorité des Béninois, comme un grand moment de défoulement et d’exaltation politique. Il faut donc trouver, en ce moment, la formule magique, la formule choc, celle qui fait chavirer les foules. Ainsi, par exemple en 2001, « Kékérékéééé », un cri d’oiseau à peine concevable dans les démocraties occidentales, tua le grand procès que le candidat Nicéphore Soglo essaya d’utiliser à la tribune de la campagne électorale, pour faire mal à son challenger Mathieu Kérékou, sur le sulfureux dossier de rachat de la Sonacop par l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, au faîte de sa gloire.

Ainsi, le pauvre Nicéphore avait beau passer des heures entières à expliquer dans certaines régions du pays comment « l’argent de la Sonacop avait servi à racheter la Sonacop ». Un seul hurlement « Kékérékééé », poussé de façon provocante dans la foule, annulait tous ses efforts.

Kérékou, après une première campagne électorale sans relief en 1991, avait pourtant donné le signe en 1996 de sa grande connaissance de la mentalité de l’électeur moyen.

Jeune étudiant plein d’énergie, j’étais présent dans ce grand auditorium du mythique PLM-Alédjo en 1996, lorsque le général Mathieu Kérékou, avec son élocution si caractéristique, lança sa reconquête du pouvoir avec sa célèbre phrase: « Nous étions en haut. Entre-temps nous étions descendus en bas. Maintenant, nous remontons en haut ». Je me rappelle l’hystérie qui s’empara alors de cet auditorium plein à craquer, et où nous nous étions entassés tels des sardines, dans une chaleur étouffante.

Le président Nicéphore Soglo, candidat à sa propre succession, fit campagne avec un discours rationnel et élitiste basé sur son bilan économique et infrastructurel, pendant que son principal rival, Mathieu Kérékou, progressait avec de petites formules simples, accessibles, mais diaboliquement corrosives du genre de celle qu’il sortit à Bopa: « Ils sont en train de tout vendre. Ils ont vendu toutes nos entreprises d’Etat. Ils ont vendu l’eau. Et bientôt ils vont vendre l’air que nous respirons ». Cette vacuité apparente du discours électoral du « caméléon » devrait, je l’imagine, avoir fait rigoler les stratèges politiques du président Soglo. Mais, nous connaissons tous la suite de cette histoire. Kérékou, qui apparaissait plus proche des électeurs, remporta la mise.

Deux choses à retenir là, selon moi: dans la construction d’une image politique, il faut veiller à mettre en exergue les éléments qui vous rapprochent de vos électeurs cibles. Il faut être, soit l’incarnation décomplexée et assumée de leurs vices et de leurs faiblesses, soit la projection de leurs rêves de réussite et de puissance. Mais, il faut absolument passer pour un des leurs. Pendant que Nicéphore Soglo introduisait et entretenait dans l’espace public, l’image moderne du monogame, fidèle mari d’une femme moderne, Kérékou passait, lors de cette compétition de 1996, pour le vieux polygame virile et débonnaire qui avait eu des femmes dans les quatre horizons du pays et dont le profil pouvait se retrouver dans n’importe quel village où quartier de ville. Personne ne lui en tiendra rigueur, bien au contraire. Les vices, dans un contexte électoral, sont plus fédérateurs que les signes de vertu.

La deuxième leçon, c’est qu’il faut, dans l’élaboration d’une image politique durable, tenir compte de la très grande susceptibilité de nos populations qui, culturellement, préfèrent la compagnie de l’enfant faible mais humble, à l’enfant fort, utile à la famille, mais suffisant et arrogant.

Les schémas de l’élection présidentielle de 1996 se reproduisirent presque à l’identique en 2001, au grand bonheur du général Mathieu Kérékou qui, malgré un bilan en demi-teinte, pour ne pas dire pire, inflige une nouvelle débâcle électorale à Nicéphore Soglo qui, finalement, était son challenger porte-bonheur.

Le bilan d’un mandat présidentiel compte et comptera encore très peu dans le renouvellement de celui-ci, à moins que ce bilan soit particulièrement marqué, au point de phagocyter la personnalité du chef de l’État. Ainsi, si un président de la République en arrive à n’être visible que par le prisme de son bilan, il court de biens gros risques.

Yayi apprend vite. Il apprend très vite et a une surprenante capacité d’assimilation des leçons de combat et de survie. En ce deuxième jour de campagne électorale que nous passâmes dans le département du Plateau, son discours électoral se bonifia sensiblement. C’était une zone nagot et ça tombait fort bien. Point n’est besoin de s’éterniser dans un chapelet de promesses. Cet exercice est désormais laissé au coordonnateur local de campagne. Ce que la foule attendait de lui, Yayi, c’était cette étincelle qui allume le brasier irrésistiblement dévastateur. Et ici, en territoire nagot, cet exercice fut plutôt facile. Le candidat se passa, avec la légitimité que lui offrait la connivence linguistique et culturelle, pour le frère, le gendre, le fils, l’oncle, le cousin, le neveu. Le candidat Idji n’était pas son rival, mais son frère. Fagbohoun était son père. Et ça marche ! L’étranger, dans le département du Plateau, doit être dorénavant et absolument Adrien Houngbédji, le Goun. À moins qu’il vienne aussi s’y essayer en nagot.

Nous redescendîmes à Cotonou un peu tard dans la soirée. Demain dimanche, nous ferons plein cap sur les départements des Collines et du septentrion. Pour le grand chelem…!

Tiburce Adagbe

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