Bénin : des enfants toujours exploités dans les marchés

Le travail des enfants en République du Bénin continue d’avoir droit de cité. Dans ce petit pays situé dans la partie ouest du continent africain avec une population avoisinant onze (11) millions d’habitants, le taux des enfants exploités pour différentes tâches a franchi la barre des 52%, selon l’Enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS) réalisée par l’Unicef en 2016.

A l’ère de la Rupture pour un  nouveau départ dans tous les secteurs au Bénin, la question du travail des enfants est toujours loin d’être une priorité pour les dirigeants qui, parfois, d’une manière indirecte, contribuent à l’enracinement du phénomène.

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Cotonou 20 avril 2017. En plein cœur du marché Dantokpa, le plus grand marché du pays et le plus fréquenté de la sous-région, Agnès, 11 ans, habillée en petite robe bleue, sandalette à peine en forme, foulard sur la tête afin de « cacher » l’aspect trop touffu et non entretenu de ses cheveux, se faufile entre les étagères et les usagers du marché, sa marchandise sur la tête avec des cris assourdissants « Pure water Fifa ! Pure water Fifa !».

C’est pourtant la journée du jeudi, un jour ouvrable et il sonnait 16h quand nous avons croisé la petite Agnès en pleine activité dans le marché.

Il nous a fallu quelques minutes d’observation pour se rendre compte du nombre important de ces enfants travaillant dans ce marché international du Bénin. Ils sont des centaines d’enfants, filles comme garçons, de moins de 14 ans en majorité, à mener des activités de tout genre dans ce lieu d’échange et de commerce. Même si le visage de certains démontre une félicité dans l’exercice de leur travail, d’autres, par contre, vivent des moments cauchemardesques et ne savent même pas à quel saint se vouer.

A l’entrée du marché, à la descente des escaliers du passage supérieur traversant la grande voie, Nicolas, 9 ans, est assis devant sa marchandise, des tas de tomates de 200 francs et de 500 francs. Tête baissée, le jeune vendeur murmurait et prononçait des psalmodies à peine réceptives mais avec des larmes qu’il ne peut pas s’empêcher de couler. Nicolas confie qu’il s’agit d’un passant qui, par inadvertance, a renversé sa marchandise et une bonne partie des tas de tomates a été écrasée par les passants. Un « drame » qui lui aurait coûté un manque à gagner de huit cents (800) francs CFA.

« Je ne peux même pas en parler à ma tanti (l’appellation de sa tutrice). Elle va me frapper jusqu’à mort aujourd’hui », articule à peine le petit Nicolas qui se fond en larme. Selon lui, la tutrice n’admet aucun manque ni perte et n’a de sourire (de façade) qu’au bon compte. « Je m’habitue certes à son châtiment corporel à la limite inhumain, mais plus elle remarque que je suis insensible, plus elle double les sanctions et les coups de chicote. Je ne supporte plus », lâche-t-il toujours en sanglotant.

Des cas d’Agnès et de Nicolas, on en rencontre dans tous les marchés du pays et les rapports  des différents organismes tant nationaux qu’internationaux le prouvent et démontrent à quel point le mal est plus préoccupant.

Un phénomène persistant dans le pays

Le Bureau International du Travail (BIT) considère le travail des enfants comme un fléau à éradiquer. Cet organisme distingue les travaux légers qui comprennent certains travaux domestiques et les travaux à abolir tels que tous travaux dommageables à la santé et au développement de l’enfant y compris certains travaux dangereux pour la sante de ce dernier.

Suivant le rapport de l’enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS), réalisée en 2016 par l’Unicef, le taux du travail des enfants a nettement progressé au Bénin au cours des deux dernières décennies, en passant de 34% à 52,2%.

Une autre étude réalisée par l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (INSAE) démontre que sept mille huit cent quatre-vingt-deux (7.882) enfants sont en situation de travail dans les trois grands marchés du Bénin, Dantokpa (Cotonou), Ouando (Porto-Novo) et Azerkê (Parakou).

Toujours selon cette enquête, ce chiffre comporte 78% de filles et 46% de garçons de moins de 14 ans. « Ils y sont exploités en moyenne 10h par jour sans repos, sans rémunération et au détriment de leurs droits les plus élémentaires », révèle le rapport final de l’enquête.

Chose inimaginable mais pas surprenante, selon le rapport, « ces enfants sont parfois exploités par leurs propres parents pour avoir des ressources complémentaires et nécessaires à la survie familiale ». L’extrême pauvreté s’étant installée dans les ménages.

Dans l’une de ses déclarations sous le régime défunt et lors de la célébration de la journée mondiale contre le travail des enfants, l’ancien ministre du travail et de la fonction publique, Aboubacar Yaya avait déclaré que «l’immersion précoce des enfants à la vie active est un phénomène qui s’est développé de manière insidieuse dans la vie des populations béninoises ».

Dans un récent rapport publié par l’INSAE et qui prend en compte les enfants en situation d’exploitation économique au Bénin, « plus de 664.000 enfants béninois sont économiquement occupés ». Selon cette enquête, les enfants en milieu rural sont plus économiquement occupés, avec un taux de 42,3%, contre 18,4% en milieu urbain. Le groupe d’âge le plus occupé est celui de 14-17 ans (43,2%), suivi des 12-13 ans (39,6%) et des 5-11 ans (29,5%).

Un phénomène qui prend de l’ampleur bien que le pays dispose des textes et des lois pour réglementer et mettre fin à ce fléau qui porte atteinte à l’être humain et au développement de la nation.  Mais pour les différents acteurs, certains facteurs favorisent malheureusement ce phénomène et ces derniers constituent les causes même de cette augmentation du taux des enfants économiquement exploités au Bénin.

« J’ai été confié à ma tante après le décès de mes parents »

D’après les résultats d’une enquête menée par le ministère du travail, de la fonction publique et des affaires sociales du Bénin, « les causes sont notamment liées à la pauvreté, à l’orphelinat, au faible niveau de scolarisation des parents, à l’exode rural, à la tradition et au faible coût de la main d’œuvre infantile ».

« J’ai rejoint ma tante maternelle quelques semaines après le décès dramatique de mes deux parents », raconte Nicolas, rencontré au marché Dantokpa à Cotonou. Orphelin à six (6) ans, il vit sous la tutelle de sa tante depuis bientôt trois (3) ans. « A mon arrivée, j’avais commencé l’école mais sans disposer pour autant des fournitures scolaires nécessaires. Je n’ai fait qu’une année puisque ma tante a refusé de payer ma scolarité et de subvenir à mes besoins scolaires », confie le petit en Goun (une langue parlée dans la partie méridionale du Bénin surtout dans la capitale Porto-Novo).

 

Si l’expérience de Nicolas semble être monnaie courante dans le cas de l’exploitation des enfants au Bénin, celle de Roukiath, 12 ans, est tout aussi spéciale.

« J’ai quitté Matéri, (commune située dans la partie septentrionale du pays), pour rejoindre ma grande sœur à Cotonou. Mais une fois sur place, la promesse d’une vie épanouie et scolarisée ne s’est résumée qu’à cette activité », s’indigne la petite vendeuse devant son étagère de condiments et autres divers dans le marché de Fifadji, Cotonou.

Salaou, la grande sœur de Roukiath, rencontrée aussi sur les lieux dit n’avoir que cette activité qui lui permet d’ailleurs de vivre mieux à Cotonou et de s’extirper de cette jungle de la pauvreté. « Je leur avait pourtant dit que je ne pourrai pas être en mesure de payer la scolarité de la sœur une fois à Cotonou et que mes activités ici ne se limitent qu’à ce que vous voyez », confie-t-elle en pointant du doigt ses marchandises.

 

Aujourd’hui et à l’unanimité, la pauvreté est reconnue comme étant à l’origine du travail des enfants. De ce fait, il s’agit d’un phénomène lié à l’état de développement du Bénin et les efforts devront être continuels afin de stopper le mal dans son élan.

Il existe des lois et pourtant…

Le Gouvernement du Bénin a, depuis des années, ratifié différentes conventions relatives aux droits des enfants et des mineurs. Le pays a adopté plusieurs textes portant sur la protection des enfants. En l’occurrence, la loi N°2002-07 du 24 août 2004 portant code des personnes et de la famille et, plus récemment, la loi N° 2015-08 portant code de l’enfant en République du Bénin.

Mais malheureusement, les dispositions de ces outils juridiques ne sont pas appliquées sur le terrain, surtout dans les marchés où travaille la majorité de ces enfants. Pire, des agents du marché en arrivent même à collecter des taxes sur des activités gérées par des mineurs, faute de connaissance des lois.

En appui aux efforts du gouvernement béninois et grâce au plaidoyer réalisé avec les Partenaires Techniques et Financiers (PTF), le rapport alternatif au Comité des Nations Unies des droits de l’enfant sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant au Bénin a mis l’accent sur une meilleure prise en compte des problématiques articulées autour des abus, des violences et de l’exploitation économique des enfants.

Ainsi, le cadre législatif de protection de l’enfant a été renforcé grâce à l’adoption de trois décrets d’application de la loi 2006-04 du 10 avril 2006 relative à la lutte contre la traite des enfants. Aussi, dénombre-t-on neuf (9) juges pour enfants qui ont été nommés grâce au plaidoyer de l’UNICEF auprès du Ministère de la Justice.

 

Mais malgré ces efforts et la volonté du Gouvernement  béninois d’assurer un plein épanouissement aux enfants béninois, l’environnement protecteur reste à améliorer tant au niveau des mécanismes de prévention des abus qu’au niveau de la prise en charge des enfants affectés.

 

Et c’est justement dans ce cadre que les services judiciaires, la police républicaine peuvent désormais réprimer la pratique de la traite des enfants au Bénin. Le mécanisme de suivi et de coordination des actions de protection a été renforcé en 2009 et a permis l’installation de six (6) cellules départementales et de 77 cellules communales qui jouent un rôle dans la coordination des initiatives de protection de l’enfant.

L’inefficacité des efforts

Au-delà de la volonté des dirigeants respectifs à bouter ce fléau hors du pays, un des freins à l’éradication du travail des enfants au Bénin et dans les marchés est le mauvais fonctionnement du système scolaire du pays. Ce dernier, comme l’a reconnu Thierry Dovonousecrétaire général du Syndicat national des professeurs permanents et contractuels du Bénin (SYNAPPEC-Bénin), « le système éducatif souffre d’un double déficit à la fois quantitatif et qualitatif ».

Sur le plan quantitatif, on note un manque criard d’infrastructures et d’enseignants. Il est de notoriété de tout citoyen béninois que cette situation peut être en partie résorbée par le développement de partenariats public-privés susceptibles d’aménager les infrastructures nécessaires, notamment les écoles, les cantines, les internats.

En développement de cette collaboration, cela permettra aussi la disponibilité de suffisamment de ressources matérielles et humaines pour le renforcement du système éducatif dans le pays.

« La facilitation des démarches foncières et administratives aux privés boosterait également l’investissement dans ce secteur », préconise Marcel, ancien administrateur territorial dans le département de l’Ouémé.

En ce qui concerne la qualité de l’enseignement sur le territoire national béninois, « le taux d’abandon se chiffre à près de 13 % lorsque l’école est à plus de 30 minutes de marche de la maison, contre 7 % lorsque l’école est à moins de 30 minutes du domicile », selon le dernier rapport de l’INSAE concernant la fréquentation des enfants dans les lieux éducatifs telles les écoles.

Ces taux peuvent être inversés par des aides ciblées conditionnées à l’assiduité dans les zones rurales. Surtout, pour les filles qui sont les plus souvent dans cette situation, ce qui créé une sorte de reproduction intergénérationnelle de la pauvreté et de l’exploitation des enfants.

« Parallèlement, il est nécessaire aujourd’hui de réfléchir à une formule d’enseignement qui combine à la fois l’école et le travail dans les champs pour s’adapter aux besoins du monde rural », souhaite Mauriac Ahouangansi, étudiant-chercheur béninois.

Toujours dans la même dynamique, les efforts des différentes Organisations Non Gouvernementales (ONGs) militant dans ce domaine et contre le travail des enfants en République du Bénin semblent ne pas porter ses fruits surtout avec le nombre croissant, chaque année, de ce taux des enfants économiquement exploités dans le pays. « Nous nous battons quotidiennement afin que ce phénomène soit complètement éradiqué, mais hélas », s’en lasse Bernardin Bonou, coordinateur national de l’ONG Enfants, jeunes travailleurs du Bénin (EJT).

 

Toujours traumatisée après le viol

Les Organisations non gouvernementales et autres organismes tant nationaux qu’internationaux sont certes dans la lutte contre le fléau mais leurs efforts semblent être noyés à chaque fois et les différents épisodes qui surviennent de façon répétitive presque plombent leurs actions dans ce domaine. Hormis le traitement à la limite inhumain, leur exploitation économique dans les marchés, ils sont soumis, les filles pour la plupart, à des cas de viols, d’abus sexuels et autres.

Viviane est aujourd’hui âgée de 32 ans et vit  avec sa seule fille toujours dans la maison familiale de son père dans une des banlieues de Cotonou. Malgré son âge et sa beauté, elle n’a ni époux ni un fiancé avec qui elle pourrait envisager un probable mariage.

« Je n’arrive toujours pas à me débarrasser des souvenirs de ce jour malgré le temps qui passe »,  lance désespérément Viviane à l’entame de son témoignage qu’elle nous a accordé après tant d’hésitations.

A l’âge de huit (8) ans, Viviane a été placée chez son oncle qui vivait, en ce moment, à Gbèdjromèdé, une localité située dans le 8ème arrondissement de la commune de Cotonou. Gbèdjromèdé est également à quatre (4) kilomètres environ du grand marché Dantokpa. L’oncle de Viviane est forgeron et son épouse ménagère et mère au foyer. Deux (2) ans après sa venue dans la famille de Jonas, l’oncle,  raconte Viviane, les conditions de vie sont devenues plus compliquées et Viviane, sur instruction de son oncle, était contrainte de vendre, dans le marché Dantokpa.

« J’avais fini la vente et m’étais allongée sous un hangar en plein centre du marché. Etant fatiguée, le sommeil m’avait pris tout d’un coup et je ne me suis pas rendue compte de la tombée de la nuit. Tout d’un coup, deux jeunes hommes m’ont entouré et un, me serrant si fort la bouche, immobilisa ma tête et mon corps. Le second, maîtrisant mes jambes, a réussi à me déshabiller et la suite n’a été que du sang coulé de ma partie intime et des larmes. Je n’avais que dix (10) ans à peine en ce moment », raconte aujourd’hui Viviane larmes aux yeux. Dans ce témoignage très émouvant, la jeune dame déclare qu’elle était déjà prête à reconstruire sa vie quand survint un autre événement aussi dramatique sentimentalement et qui a changé le cours de sa vie à jamais. Après le viol au marché Dantokpa, mon oncle m’avait conduit à l’hôpital où j’ai passé plus de deux (2) semaines avant d’être rétablie. Mais la blessure psychologique y était toujours.

Il aurait fallu seulement quatre (4) ans, soit à 14 ans, pour que se répète un autre scénario de viol.

« Ce dernier est survenu en pleine journée à Cotonou et ma seule fille, jusqu’à présent, est le fruit de cet acte ignoble. Et depuis lors, je n’ai plus la paix du cœur et n’éprouve que dégoût et haine à tout ce qui a rapport avec l’homme », confie Viviane tout en sanglot.

« Une telle souffrance psychologie pourrait durer toute sa vie si des mesures draconiennes ne sont pas prises et ceci de façon continuelle », préconise Sylvie Sossou, psychologue clinicienne. Lors de l’entretien avec Sylvie, elle nous a également confié qu’elle reçoit des cas pareils dans son cabinet et que certaines femmes, après des consultations et traitement, refont leur vie. Par contre, d’autres traînent cet état psychologique pendant toute leur vie malgré ses efforts en la matière.

Alors même que les textes sont clairs à ce sujet. A l’article 189 de la Loi n° 2015-08 portant code de l’enfant en République du Benin, il est stipulé qu’ « Est considéré comme un viol, tout acte sexuel imposé par une contrainte physique ou psychologique sans le consentement intelligent et volontaire de la victime par :

a- tout homme, quel que soit son âge, qui aura introduit son organe sexuel, même superficiellement dans celui d’une femme ou toute femme, quel que soit son âge, qui aura obligé un homme à introduire même superficiellement son organe sexuel dans le sien ;

b- tout homme qui aura pénétré, même superficiellement l’anus, la bouche ou tout autre orifice du corps d’une femme ou d’un homme par un organe sexuel, par tout autre partie du corps ou par un objet quelconque ;

c- toute personne qui aura introduit, même superficiellement tout autre partie du corps ou un objet quelconque dans le vagin de la femme ». Une disposition réglementaire qui confère à ces enfants surtout mineurs de jouir de leurs droits dans la société.

Mais que cela soit le cas de viol, d’exploitation économique des enfants dans les marchés ou le traitement presque inhumain de ces enfants, il convient de signaler qu’il ne s’agit aucunement d’une fatalité et que ce fléau pourrait être corrigé.

Pour y parvenir, l’équation semble plus simple surtout avec la recommandation de Mauriac Ahouangansi, étudiant-chercheur béninois. Pour cet universitaire,  « plus les parents auront les moyens de s’occuper de leur progéniture et moins les enfants seront exploités. Plus les parents auront conscience des dangers de l’exploitation économique de leurs enfants, et plus ils seront réticents à les faire travailler ».

 

Mais en attendant l’éradication du phénomène au Bénin, des enfants privés d’école et contraints de passer tout leur temps dans les marchés et autres lieux de commerce, continuent de se faufiler entre les étagères et constituent des employés « privilégiés » parce que moins payés par ceux qui violent les textes et réglementations en vigueur en matière de droits de l’Homme et du travail des enfants.

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