Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 51

Cette première réunion de la direction nationale de campagne qui se tint à Bar Tito, révéla Vicencia Boco. Et même si je ne savais quoi retenir à la fin de la longue séance, la petite dame aura conduit les débats avec aisance malgré le regard froid et lourd de Alexandre Hountondji. Il n’était d’ailleurs pas le seul à bouder presque ouvertement ce parachutage que nous faisait Yayi. Car ça grognait discrètement de partout.

Le vieux Moïse Mensah par exemple, ne comprenait pas ce mépris dont il s’estimait victime, après avoir dirigé pendant près d’un an le Bureau Central Intérimaire (BCI), dont la direction nationale de campagne devrait être logiquement l’émanation. Je ne peux dire s’il convoitait le poste de directeur national de campagne. Mais il croyait légitimement avoir un droit de regard dans la mise en place de l’équipe qui remplacerait, aux pieds levés, la structure dont il avait eu, jusque-là, la charge.

Ahmed Akobi dont l’engagement et le zèle dans le yayisme étaient inversement proportionnels à sa connaissance du personnage Yayi, fit également quelques confidences sur sa déception de n’avoir pas été choisi en lieu et place de la dame qui suscitait désormais la curiosité des médias et des électeurs.

Mais comme on pouvait s’y attendre, les critiques et les commentaires les plus acerbes, venaient du rang des femmes, celles qui s’illustraient déjà sur le champ de bataille depuis plusieurs années.

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C’est le discours que tenait notre candidat pour justifier le choix de Vicencia qui devint très rapidement sujet à polémique chez ces femmes. « Je veux, par ce choix, disait-il, envoyer un message positif à nos sœurs et à nos mamans ». « Ah bon ! Et pourquoi ne vient-il pas choisir parmi nous ? », entendait-on grommeller tant chez Olga da Silva, Claude Olory – Togbe que Denise Houngninou. La pillule avait du mal à passer.

Et pourtant, il nous fallait aller de l’avant, même si pour moi également, cet argument d’approche genre me paraissait un détail cosmétique sans impact réel sur l’électorat béninois. Et c’est de la bouche de Alexandre Hountondji que j’entendis la réplique la plus sèche et la plus furieuse, en petit comité. « Il est nagot et il sait très bien que ses parents Nagot se poseront des questions sur sa virilité s’il se présentait à eux, avec une femme tirant sa main ».

Eh oui, cet Alexandre Hountondji dont j’admirais l’enthousiasme, n’avait souvent pas sa langue dans la poche quand il s’agissait de parler droit dans les yeux du candidat Yayi.
Je me souviens avoir participé à une ou deux réunions politiques dans son bureau de directeur départemental de la santé de l’Atlantique-Littoral, à Xwlacondji.

Il savait avoir le verbe haut et chatoyant pour dire finalement des choses simples. On le disait de l’écurie « Aladja Zahia de Kpondehou » que je ne connaissais pas encore, mais dont le domicile deviendra pendant dix ans, le passage obligé de beaucoup de « CV » de postulants aux postes de directeur général du port et de la douane.

Mais Alexandre Hountondji ne me paraît pas tenir de cette seule couverture, sa capacité à dire les choses qui faisaient mal à Yayi. C’est qu’il avait déjà du parcours et une excellente connaissance de la savane politique béninoise. Yayi put compter sur lui, sur Théophile Nata et quelques autres, lorsque ses relations avec le général Mathieu Kerekou parurent entrer dans une phase critique.

Cela faisait en effet cinq demandes d’audience du président de la Boad qui restaient sans suite au niveau du cabinet civil du président Mathieu Kerekou. La situation devenait carrément angoissante pour le prétendant Yayi qui, pourtant, multipliait les déclarations publiques d’allégeance à son « papa » Kerekou dont le désir de s’éterniser au pouvoir obtiendrait, disait-il sans scrupule, son soutien ferme.

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Mais il fallait désormais plus que de simples flatteries pour l’aider à rencontrer le général et, sait-on jamais, capter dans son regard, dans sa voix, ce salutaire signal d’encouragement. Le plus angoissant pour Yayi, c’est que l’informateur qu’il entretenait au domicile du général Kerekou, dans les filaos, ne remontait plus grand-chose comme information et devenait même de plus en plus fuyant. La situation devenait intenable et il fallait absolument percer l’abcès.

Alexandre Hountondji, Théophile Nata, Karimou Chabi-Sika et les autres membres de la Cellule de Stratégie et de Tactique (CST) élaborèrent alors une démarche qui permit, un vendredi soir, de faire souffler à Kerekou, cette demi-dizaine de demandes d’audience restées sans suite, du  »jeune homme de la Boad », comme l’appelait le vieux kameleon.

La démarche fut plutôt heureuse. Kerekou, surpris et furax, demanda qu’on lui recherchât immédiatement les fameuses demandes d’audience restées sans réponse de sa part. Sur les cinq, trois furent retrouvées. La preuve fut établie que les fameuses demandes n’étaient jamais parvenues à destination.

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Quelqu’un, dans l’entourage immédiat du président, avait décidé d’étouffer la voix de Yayi dans l’esprit de Kerekou. Cet « étouffeur anonyme » était-il en mission pour Bruno Amoussou avec qui Kérékou rompit les ponts depuis son éjection du gouvernement ? Pour Adrien Houngbedji dont le kameleon ne voulait plus entendre parler et dont la proximité avec le patron de ses renseignements, Patrice Houssou-Guèdè, coûta à ce dernier son limogeage ? Ou alors cet « étouffeur anonyme » travaillait-il pour le lobby révisionniste solidement incrusté dans l’environnement immédiat de Kérékou et dont le cerveau était une autre Chantal de Souza avec un certain Cosme Sehlin comme bras financier ?

Toujours est-il que Kérékou se disposa aussitôt à recevoir exceptionnellement le « jeune homme de la Boad », le lendemain samedi. Cette rencontre au cours de laquelle rien ne fut jamais appelé par son vrai nom, marqua le feu vert passif du Kameleon pour l’aventure présidentielle de ce dauphin sorti de nulle part, ce gladiateur sans passé, cet intrus qui surgissait au coeur de la maison. Le coup de fil presque hystérique que je reçus de Yayi, juste à sa sortie du palais de la présidence ce jour-là, me montra l’importance de ce qui venait de se passer.

Au dîner qu’il organisa le soir même de ce samedi, sur la terrasse en haut de sa résidence de Cadjèhoun, le ton était plus rassurant. Tous ceux qui comptaient alors dans son dispositif, furent invités. Je me rappelle encore de la déclaration émue que fit le vieux docteur Boni, promoteur de la clinique Boni et cousin de Yayi, cette nuit-là, d’une voix chevrotante:  » la plus grande chose que Dieu pourra me faire est de me permettre de voir, avant ma mort, le passage de témoin entre Kerekou et mon jeune frère. Après ça, la mort peut me prendre. Je partirai heureux et le coeur léger « .

Ceux qui connaissaient l’histoire politique du Bénin, surent à quelle épisode de sa vie faisait allusion cet ancien médecin-capitaine de l’armée béninoise, radié par le Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR), pour complot contre la sûreté de l’État.

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Ce samedi soir, le message fut clair. « Kérékou a dit feu vert « , se chuchotait-on avec excitation autour des tables. Et on pouvait bien comprendre l’indignation des gens comme Alexandre Hountondji, quelques mois plus tard, face à ce parachutage de Vicencia Boco au-dessus de toute cette machine de guerre montée à mains nues, pièces par pièces. Mais dans cette aventure électorale, il fallait aussi savoir suivre, aveuglément parfois, les intuitions du leader, même si elles paraissent erronées.

Une occasion de retenir cette leçon se présenta un jeudi soir. Il était dix sept heures et Yayi revenait de son dernier voyage hors du territoire, avant le scrutin…

 

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