Bénin: mémoire du chaudron 69

Enfin la campagne électorale officielle ! La dernière ligne droite démarrait depuis ce matin de vendredi. J’étais déjà à Cadjèhoun, au domicile de Yayi, depuis 8 heures. Mais rien ne semblait tourner dans le bon sens. Une dizaine de véhicules devant constituer le cortège de campagne du candidat étaient déjà là, garés, moteurs éteints. Tout semblait inerte, figé. Le moteur de la fusée avait quelques ratés à l’allumage.

Je connaissais bien ce genre de situation de petits trous d’air au démarrage d’une campagne électorale, pour l’avoir déjà vécue en 2001, dans la cour du domicile du général Mathieu Kérékou. C’était la première fois que je mettais pied dans ce domicile des « filaos » qui me semblait si mythique. J’y repense encore comme si c’était hier. Nous étions dans cette cour, entassés dans deux ou trois véhicules, depuis l’aube. Pourtant, jusqu’à 11 heures, rien ne paraissait bouger dans la petite vieille bâtisse coloniale aux allures de bureau de poste, qui servait de bâtiment principal de résidence au président Mathieu Kérékou.

Nous étions dans ces véhicules, les pieds engourdis, incapables de descendre. Aucun de nous n’osait en effet prendre le risque de s’exposer aux mâchoires inamicales de la demi-douzaine de chiens qui imposaient la discipline dans la grande cour sablonneuse. D’ailleurs, un de ces canidés, au pelage noir luisant, à la gueule pendante et au gabarit particulièrement intimidant, rôdait constamment autour de notre véhicule, jappait en nous montrant ses crocs, s’attaquait de temps en temps aux pneus dont il réussissait à débiter quelques petits bouts de caoutchouc, avant de se faire rappeler négligemment par un des agents de la maison.

Le général Mathieu Kérékou était, en effet, un amoureux des chiens, j’en étais également un. La scène de ces chiens mettait pourtant particulièrement mal à l’aise mes compagnons avec qui j’étais dans la voiture, dans une attente qui ne prit fin qu’autour de midi, dans une excitation et un branle-bas général, lorsque la silhouette du général apparut dans la cour, coiffée d’une casquette verte, imprimée, au-dessus de la visière, d’une image de caméléon.

Il s’engouffra dans un véhicule « Patrol 4×4 » de couleur sombre qui le conduira, pendant deux semaines, vers les quatre horizons du Bénin.

Ce souvenir me revint ce vendredi matin-là à Cadjèhoun. Les grandes campagnes électorales démarrent parfois comme un moteur diesel. Car, plus le candidat a de l’envergure, et plus l’organisation et la mise en chorégraphie des meetings sont complexes. Le moindre décalage sur un meeting se répercute sur le meeting suivant, et ainsi de suite, comme dans un jeu de domino.

En ce premier jour de campagne électorale officielle, Jean-Pierre Ezin et quelques stratèges politiques discutaient avec nervosité pour parer au plus pressé. Un imprévu apparu la veille au soir avait rendu caduc notre plan de campagne initial qui faisait de Dogbo, le lieu retenu pour notre premier meeting. Mais, la coordination de campagne du Couffo, empêtrée dans des conflits de leadership, déclara forfait. Et comme je le signalais, le moindre décalage dans un meeting, affectait de façon automatique le meeting suivant.

La règle dans la réorganisation des plannings est qu’il y a moins de risque à reporter un meeting politique qu’à le rapprocher. Le meeting de Dogbo fut donc reporté et, dans la précipitation, le campus universitaire fut retenu pour le lancement de la campagne.

Félix Houndonougbo, coordinateur politique du milieu estudiantin, reçut ainsi la périlleuse mission d’organiser, en moins de 24 heures, une mobilisation sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi, une mobilisation digne de notre candidat qui s’imposait désormais dans les esprits comme un des chevaux gagnants.

L’organisation de ce meeting inaugural suscitait, bien entendu, la convoitise de Valentin Houdé qui, en tant que directeur de campagne dans le département de l’Atlantique, réclamait une légitimité territoriale sur le milieu universitaire. Même appétit chez Candide Azannaï qui jurait d’y compter un nombre indéfinissable de sympathisants. Il faut ajouter à ces deux prétendants, Fulbert Géro Amoussaga qui, disparu de tous nos écrans radar depuis près d’un an, faisait un retour d’apostasie, revendiquant également une certaine maîtrise des mœurs de ce milieu. Il avait d’ailleurs exigé et obtenu un détour de Yayi par son bureau au département des Sciences économiques, avant le démarrage du meeting au fond du campus, dans cet amphithéâtre appelé « Amphi 1000 ».

L’IPD de Théophile Nata aurait pu en faire autant, avec un de ses lieutenants, en l’occurrence Emmanuel Tiando, qui occupait alors le stratégique poste de secrétaire général de l’administration rectorale. Mais, dans notre structuration politique, le campus universitaire avait été érigé en entité électorale autonome. Une stratégie qui produisit des effets très positifs à l’heure du bilan. Et quand Yayi apparut dans l’amphithéâtre plein comme un œuf, dans cette chemise blanche aux manches retroussées, il ne put dissimuler son émotion.

Dans son sillage ce soir-là, Candide Azannaï, André Dassoundo, Eléonore Yayi Ladékan, Emmanuel Tiando, Jean-Pierre Ezin, Fulbert Géro Amoussouga firent des coudes pour pouvoir accéder à cette salle bondée. Une énergie indescriptible se dégageait de l’amphi et les étudiants multipliaient presqu’à l’infini, des slogans et des refrains improvisés. Quelqu’un entonna en _ »a cappella »_ le titre « Yayi Boni », l’assistance le reprit longuement en chavirant littéralement.

Il était déjà 17 heures lorsqu’après une longue liste d’orateurs, Yayi prit la parole. Dans un long développement insaisissable par endroits, il rappela son passage sur le même campus en tant qu’étudiant, alignant vœux pieux et promesses chiffrées. Le calme, progressivement, revint dans la salle et la foule commençait visiblement à s’ennuyer. Félix Houndonougbo, après concertation avec André Dassoundo et d’autres politiques, décidèrent de sauver la situation. L’enthousiasme du public avait disparu, mais lancé dans un long développement, le candidat ne s’en rendait pas compte.

André Dassoundo lui glissa discrètement alors un bout de papier sur lequel il était griffonné : « Nous sommes en campagne électorale. Formule choc, s’il vous plaît ». Yayi marqua un arrêt pour lire le message griffonné sur le bout de papier. Il reprit son discours dans le même ton puis finit par lancer « Je suis Yayi Boni, votre candidat tchigan. Les autres sont des tchivi ».

Comme brutalement tirée d’une longue léthargie, la foule exulta aussitôt. Les lanceurs de slogans reprirent aussitôt du service. La salle, une nouvelle fois, entonna la chanson « Yayi Boni » de G G Lapino. Yayi patienta longuement, vainement. Il ne lui fut plus possible de reprendre la parole. La foule semblait redouter un nouveau sommeil. L’hystérie était générale. Sur ce premier meeting, Yayi apprenait sa première leçon de discours politique. Nous rentrâmes heureux, gonflés d’optimisme et de certitudes. La leçon apprise aujourd’hui sera appliquée demain. Ailleurs…!

Tiburce Adagbè

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