Chronique de Roger Gbégnonvi: Patrice Talon deux ans plus tard

S’il nous avait dit, pendant la campagne électorale, qu’il serait le condensé acide des deux empêcheurs de tourner en rond que furent Ahomadégbé et Zinsou, nous l’aurions mis, dans les urnes, avec Pascal Irénée Koupaki, le chantre de la Nouvelle Conscience, car nous ne désirons rien de nouveau. Ni rupture ni départ nouveau. Notre horizon nous pend au ventre et au nez. Pas plus haut. On ne nous bouscule pas. Nous menons notre pépère et mémère de vie jusqu’á ce que nos commensaux mettent notre cadavre au trou et se remettent à table.

Or donc, c’est six mois après son investiture, au détour d’une conversation avec le quotidien français Le Monde, que Patrice Talon a levé des lièvres étranges. ‘‘Vous ne me connaissez pas !’’ – Si, on connaît l’homme le plus riche du Bénin. – Sa face cachée aussi ?, semble-t-il interroger avant de poursuivre : ‘‘J’ai un certain génie, je voudrais désormais que ce génie ne soit pas juste le mien, mais qu’il serve à mon pays.

Je rêve qu’au bout de ce mandat de cinq ans, je sois porté en triomphe par les Béninois. On m’a connu comme roi du coton. Aujourd’hui, je veux devenir celui qui a réussi à transformer son pays, politiquement, administrativement, économiquement…J’ai besoin d’un challenge qui est de remettre le pays sur pied…Je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre. J’ai ce qu’il faut pour assouvir mes caprices…Plutôt que de vous balancer des chiffres, je veux agir…Un moine peut devenir polygame…Je suis quelqu’un qui se métamorphose facilement…’’ Etc., etc. Ok, admettons !

Mais on se connaît dans le pays. Entre le dire et le faire, une barrière étanche. Nous n’avons donc pas peur. C’est par un calcul avisé que nous avons voté et appelé à voter pour lui ; c’est pour qu’il casse la tirelire de l’Etat et nous renvoie l’ascenseur, à nous ses compagnons de fortune. Il le sait. Son interview ne nous effraie pas. Du reste, combien, ici, lisent Le Monde ? Aidés du champagne, nous rigolions de son discours lorsque, patatras !

Là où ses prédécesseurs ont hésité et reculé, il décide d’ériger les six nouveaux chefs-lieux de Département prévus par la loi, quitte à mécontenter sa ville d’origine encline à se rengorger. Il décide de faire appliquer la loi de libération des espaces publics, et les bonnes âmes caïmans de pleurer sur les revendeuses de tomates au bord des trottoirs. Dans la foulée, il interdit de continuer à prier Dieu et à célébrer nos morts au milieu des chaussées. Bing ! Et alors que le fric à tout prix est notre vrai credo, il décide que les containers au port de Cotonou ne renfermeront plus l’hallucinogène de l’enrichissement rapide, mettant ainsi en panne quelques fortunés supporters.
Et il bouscule les pharmaciens ignorants de l’origine de ce qu’ils nous vendent. On entre dans un ministère pour se faire de l’argent, et il décide que, désormais, les primes doivent être maîtrisées, transparentes et réduites. A nos évêques réunis et au Président Macron il déclare qu’il entend remplacer par l’ordre le désordre qui lui a profité. Etc., etc. Quelle audace ! L’ombre de Thomas Sankara au-dessus de la Marina ?
En tout cas, si, comme il l’a avoué à Emmanuel Macron, Patrice Talon veut entrer dans l’histoire, il peut considérer que c’est fait après seulement deux ans car, avant lui, à l’exception d’Ahomadégbé et de Zinsou, quelques mois durant, aucun chef de l’Exécutif n’avait réussi à nous faire respecter nos propres lois. Encore trois ans de ce train d’enfer, train de civilisation et d’humanisation, et nous le porterons en triomphe selon son rêve. Non pour une retraite méritée avec Tata Claudine, mais pour qu’il parachève l’œuvre.
Nous avons la tête sur les épaules et n’avons rien contre un peu de masochisme quand il fleure le bien-être que nous nous souhaitons. Que le condensé acide d’Ahomadégbé et de Zinsou ne soit donc pas surpris qu’on lui dise dans trois ans : ‘‘Patou, tu nous fais mal, mais c’est bien. Nous te voulons pour un mandat encore. Nous avons besoin de rigueur. Sois-nous un modèle.’’

Roger Gbégnonvi

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