Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 72

Le meeting géant de Dassa ne dérogea pas au principe observé depuis notre entrée en campagne. Les électeurs ne font pas leur choix à ce genre de kermesse. Ils y expriment plutôt leur adhésion. Le processus multiple et divers qui conduit au choix d’un candidat par un électeur, est généralement bouclé avant le début de la campagne électorale officielle. Et cela justifie sans doute largement que les populations perçoivent la période électorale, non pas comme une période de débats politiques comme nous le disons avec une grandiloquence intellectuelle, mais comme une grande fête. Les messages télévisés sont souvent des éléments du décor dans une ambiance où l’électeur, parfois, peut changer mécaniquement de chaîne, ou s’occuper d’autres choses, le temps que finisse le temps d’antenne d’un candidat qui n’a pas sa faveur.

Ceci n’est assurément pas pour banaliser la part des indécis dans l’analyse structurelle de l’électorat dans une consultation comme celle-là. Mais, je pense que les grandes tendances électorales se sont toujours, jusqu’ici, largement dessinées et le duo ou le trio de tête a été connu avant le démarrage de la campagne électorale officielle. Il s’agit là d’ailleurs d’un élément déterminant de la stabilité dans laquelle se sont souvent déroulés nos scrutins électoraux présidentiels.

La grande mobilisation et l’euphorie à Dassa n’ont pas pu cacher chez l’observateur averti, le futur conflit de leadership qui s’annonçait entre André Dassoundo et Nicaise Fagnon dont l’hyperactivité à l’occasion de cette campagne électorale ne pouvait pas être mise sur le seul engagement de voir élu le candidat Yayi. Et cela s’est d’ailleurs toujours passé ainsi.

Quand elles se déroulent dans un intervalle de temps relativement court, les différentes élections servent de structurant les unes pour les autres.

Lorsque, par exemple, une élection présidentielle précède d’un an une élection législative, le niveau de renouvellement du parlement se sent à travers les appétits politiques notés au sein des soutiens du candidat favori. Dans le cas inverse où une élection législative précède une élection présidentielle, on note une certaine indolence des acteurs politiques, soit parce qu’ils viennent d’être fraîchement élus députés et pensent donc avoir déjà fait l’essentiel pour leur visibilité des trois ou quatre années suivantes, soit parce que n’étant pas députés, ils trouvent le prochain challenge législatif trop éloigné et ne prennent donc l’élection présidentielle que pour ce qu’elle est : une élection pour élire quelqu’un d’autre.

Voilà pourquoi, à mon avis, les élections présidentielles qui précèdent de quelques mois les élections législatives entraineront, dans notre contexte actuel, une plus grande effervescence au sein de la classe politique. Mon analyse n’intègre pas les élections municipales, communales et locales qui sont d’une toute autre réalité en ce qui concerne le leadership politique et le rapport du candidat à l’électeur.

En tout cas, le candidat du Changement, Yayi Boni, régnait ici en maître absolu, et cela paraissait le plus important pour le moment. Ce dimanche-là, Dassa était en joyeuse ébullition et je me demandais ce qu’en aurait bien pu penser la grande « Atchèrèdé », ma grand-mère maternelle, si elle était encore vivante. Je connaissais son humour grinçant et décapant. Et je savais que sans faire le déplacement de la place « Egbakoku », elle aurait fait de cette immense mobilisation, et en peu de mots, le genre de commentaires imagés et corrosifs qu’on garde pour longtemps.

Car, « Atchèrèdé » avait une forte personnalité. Si forte que son image dans mon esprit repoussa au second plan celle de son mari, Ibrahim, mon grand-père maternel, qui vécut le plus clair de sa vie et de sa vieillesse à Doumè, son village natal. La personnalité de « Atchèrèdé » était si forte qu’elle transmettra de façon exclusive sa culture mahi – idaatcha à sa progéniture.

C’était une femme émancipée avant l’heure. Et son statut social était fortement renforcé par le fait qu’au nombre de la dizaine d’enfants qu’elle eut, elle fit quatre jumeaux en deux couches successives, Joseph et Jean, puis Jacqueline et Jeanne. La ressemblance entre mes tantes Jacqueline et Jeanne est si forte qu’il m’a toujours été impossible de les distinguer. Je ne réussis à savoir avec laquelle des deux je me trouve qu’après un certain temps.

Jacqueline avait un tempérament de feu et un maniement de l’humour caustique qui la distinguait de Jeanne, calme, douce et timide. On raconte que cette étrange ressemblance physique entre ces deux sœurs jumelles de ma mère, jouait bien des tours aux nombreux prétendants que leur éclatante beauté ne manquait pas d’attirer pendant leur adolescence. Tel entamait une drague assidue à Jacqueline, et tentait par mégarde le lendemain, de poursuivre son entreprise avec Jeanne qui, bien entendu, l’envoyait balader. Cela, disait-on, amusait beaucoup « Atchèrèdé » qui en fit courir également bon nombre dans sa jeunesse, par la puissance de son charme.

Ce qui me rapprochait surtout de ma grand-mère, c’était cet amour profond pour les animaux et plus particulièrement le chien. Je crois d’ailleurs avoir hérité d’elle ce réflexe à nourrir mes chiens, quitte à dormir à jeun. C’est que, ces canins ont un tel sens de la loyauté et de la gratitude qu’on résiste difficilement à l’envie de leur en faire plus.

Je me rappelle encore la relation étroite et émouvante qui se développa entre ma grand-mère et une de ses chiennes nommée « Alougba » comme s’il se fut agi d’une personne. La relation fut si forte que les usagers du marché de Dassa pouvaient voir cette chienne accompagner sa maîtresse jusqu’à son lieu d’étalage, attendre sagement qu’elle eût fini l’exposition de ses marchandises, avant de reprendre, seule et au petit trot, le chemin de Kpingni.

Le soir, « Alougba » revient au marché, à l’heure du remballage des marchandises et va jusqu’à sa maîtresse en poussant de petits couinements auxquels ma grand-mère répondait en mahi, comme si elle s’adressait à un homme. Puis, elles faisaient ensuite le sentier ensemble jusqu’au village. Le plus surprenant, c’était quand « Atchèrèdé » devait se rendre par taxi au marché « Houndjro » à Abomey, comme elle le faisait chaque cinq jours. « Alougba » l’accompagnait alors jusqu’à la gare routière de Dassa où ce tandem était très bien connu. Puis, elle reprenait seule le chemin de Kpingni après le démarrage du taxi et après que ma grand-mère lui eût fait une série de recommandations verbales qui amusaient les autres passagers du taxi.

Mais « Alougba », comme par télépathie, ne se repointait à la gare routière qu’au jour et à l’heure exacts de retour de sa maîtresse.

Puis un jour, « Alougba » ne fut pas au rendez-vous de l’accueil de « Atchèrède » à la gare routière. L’émoi fut grand. « Alougba » était morte dans la journée. Une piroplasmose foudroyante avait eu raison d’elle. Ma grand-mère en pleura toutes les larmes de son corps. Elle fit à sa chienne un enterrement digne. Elle disparut du marché de Dassa pendant une dizaine de jours pour faire le deuil de « Alougba », cette amie qu’elle n’oubliera plus jusqu’à sa propre mort.

Qu’aurait donc pensé « Atchèrède » de toute cette effervescence politique qui embrasait Dassa en ce troisième jour de campagne électorale ? Elle aurait été sans doute un peu intriguée, mais tendrement fière de voir son petit « akpo gnan guidi » au coeur de cet emballement.

Mais, elle n’est plus là. Et pour le moment, le temps presse. Notre journée sera longue. Déjà, notre impressionnant cortège s’ébranle vers l’ouest, vers Savalou, la cité des « Soha ».

Tiburce Adagbe

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