Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 75

Pour des raisons que j’ai déjà longuement évoquées, Yayi avait fait de la mobilisation du milieu évangélique en sa faveur une priorité absolue. Il savait en effet le chauvinisme dont pouvaient faire preuve les électeurs de cette obédience religieuse, depuis que ceux-ci firent du départ du pouvoir du président Nicéphore Soglo en 1996, une mission divine, après l’instauration du 10 janvier comme fête nationale des religions endogènes.

Le candidat Mathieu Kérékou surfa avec bonheur sur la profonde indignation créée par cette décision, dans le monde évangélique. Lui, le nouveau converti, l’enfant prodigue, n’eut pas besoin de beaucoup de versets bibliques pour entretenir pendant la rude campagne électorale présidentielle de 1996, le faux espoir qu’il reviendrait sur cette décision de son challenger, une fois qu’il serait élu. Je continue d’ailleurs de croire que le président Nicéphore Soglo n’espérait aucun retour d’ascenseur politique en offrant aux adeptes des religions traditionnelles une journée nationale de célébration de leurs cultes. Car, si tel était le cas, il aurait fait preuve, comme dans beaucoup d’autres domaines, d’une profonde méconnaissance de l’électorat béninois.

Pour une première fois alors, les églises évangéliques s’engagèrent ostensiblement dans la campagne électorale de 1996 en faveur du candidat Kérékou qui, comprenant l’extrême susceptibilité, mais aussi la grande force de mobilisation de cet électorat, lui offrit, en bonus, cette omission feinte du groupe de mots « mânes de nos ancêtres » dans sa prestation de serment du 04 avril 1996, qui fut reprise, sur exigence de la cour constitutionnelle, deux jours plus tard, le 06 avril 1996.

Les historiens établiront un jour les arrière-pensées et les petits calculs derrière cet incident voulu par l’ancien marxiste devenu si ouvertement bondieusard. Mais, ce qui est sûr, il installa durablement Mathieu Kérékou dans l’affection des chrétiens évangéliques, sans en faire la bête à abattre des adeptes des religions traditionnelles dont il n’honora de sa présence, aucun des rendez-vous annuels du 10 janvier.

C’est généralement moins dramatique qu’un fils d’adepte de religions traditionnelles adopte une religion sémitique que de voir un rejeton de parents chrétiens ou musulmans embrasser une carrière de prêtre de nos religions endogènes. Cette observation empirique que je fais mérite sans doute d’être affinée, mais elle établit toute la problématique de la psychologie électorale des religions chez nous.

Yayi tira d’utiles leçons de ce rapport de forces complexe entre les religions, rapport de forces révélé par les élections présidentielles de 1996, et se plaça ouvertement comme successeur du Général Mathieu Kérékou dans le milieu évangélique qui, en cette veille des élections présidentielles de 2006, avait un rapport très décomplexé avec la politique. Le rôle très actif qu’il entendait faire jouer aux premiers cadres évangéliques de son entourage dans la mobilisation politique permit une ascension rapide de quelqu’un comme Armand Zinzindohoué qui, avec le parrainage du pasteur Clovis Kpadé, à l’époque directeur général de la puissante radio évangélique, « Radio Maranatha », devint un personnage clé autour du candidat.

Ceci justifiait d’ailleurs sa présence au sein de la direction nationale de campagne. Cette montée en puissance du « frère Armand », président de l’association des auditeurs de « Radio Maranatha », ne fut pas du goût de tout le monde et lui valait déjà bien des commentaires peu amènes dans le milieu. La méfiance se renforça davantage lorsque Yayi commença à faire transiter par lui des commissions sonnantes et trébuchantes en direction de tel pasteur ou de telle entité du milieu évangélique. Car, ici aussi, les règles qui régissent la guerre de leadership, faites de petits ou grands coups bas, de mouchardage, de délation et de jalousie sous couvert de fausses fraternités, sont immuables et d’une subtile férocité. Armand Zinzindohoué qui n’était pas identifiable par sa grande finesse d’esprit, devint une cible permanente d’attaques et de dénonciations diverses dont la plupart remontaient directement jusqu’à Yayi.

Être l’homme de main d’un candidat favori ne vous réserve pas que des bonheurs. Vous recevez pour lui l’essentiel des coups. Encore faudrait-il que celui-ci le perçoive ainsi et ne finisse pas par vous livrer aux vautours, par cynisme populiste ou par simple lâcheté. En tout cas, le « frère Armand » n’hésita pas à exhiber quelques fois le coup de poing menaçant, face aux récurrentes accusations de détournement ou de « dédouanement » de commissions financières qui pesaient sur ses larges épaules incurvées. Mais, ce soir-là à Savalou, la plainte parvenue par téléphone à Yayi et émanant d’un groupe de pasteurs déclarant n’avoir jamais reçu une commission financière envoyée par Yayi, lui valut une demande d’explication plutôt sèche de la part de celui-ci. Les explications un peu embrouillées de l’accusé ne convainquirent pas Yayi qui clôt nerveusement le débat par un « retournez à Cotonou régler ça ». Là, prit fin pour Armand Zinzindohoué la tournée électorale nationale.

L’information, amplifiée avec jubilation, prit des proportions inattendues. Le montant dérisoire de la somme querellée ne crédibilisait pourtant pas les accusations qui, quelques jours plus tard, se degonflèrent et n’eurent d’ailleurs finalement plus d’auteurs. Mais, la réaction de Yayi, pour excessive qu’elle parut en ce moment, exprimait déjà une certaine réalité du pouvoir. Si un chef éprouve des scrupules à vous engueuler ou essuyer ses crampons sur vous de temps en temps, il ne vous gardera pas éternellement à côté de lui. Armand Zinzindohoué, en encaissant stoïquement ce coup d’humeur de Yayi, marqua un point supplémentaire qui pèsera quelques mois plus tard dans son irrésistible ascension dans la vie publique auprès du nouveau président de la République.

Lundi matin ! Bien que nous soyons déjà sur pied très tôt, notre cortège mit de longues heures à se mettre en branle. Dans cette chambre de l’hôtel « Musso » hâtivement aménagée en suite, Yayi enchaînait les audiences, donnait des gages supplémentaires, apaisait tant bien que mal telle ou telle susceptibilité. Quand finalement, nous reprîmes le chemin de Bantè, un phénomène que j’avais vu cinq ans plus tôt, au cours de la tournée électorale du général Mathieu Kérékou réapparut avec une plus grande ampleur dès l’approche de Gouka, le premier village nagot-Ifè que nous devrions traverser. Des troncs d’arbres disposés sur la chaussée nous imposèrent l’arrêt. Impossible de passer !

Amassées au milieu de la voie, brandissant des pancartes et des effigies de notre candidat, les populations exigèrent que Yayi descende et qu’il leur dise un mot avant d’obtenir le quitus de poursuivre la route. Et l’ambiance devint euphorique dès que la portière de sa voiture s’ouvrit et que son visage apparut. Une salutation en langue nagot mit la foule en ébullition. Quelques jeunes gens coururent retirer les troncs d’arbres du milieu de la chaussée puis, par de grands mouvements de main, nous encouragèrent à poursuivre notre chemin. Quelques-uns enfourchèrent rapidement leurs motocyclettes, puis sifflet à la bouche, se mirent en éclaireurs devant notre cortège. La journée s’annonçait décidément longue. Très longue.

Tiburce Adagbe

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