Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 80

Mardi, cinquième jour de campagne électorale. Djougou, la cité des « Diarra », se réveille sous un soleil agréable. L’histoire de cette ville commerciale et passionnée est celle des vagues migratoires successives créées par la décadence de l’ancien empire « Sonrhaï » au Mali. Les commerçants « gourmantché », en quête de nouveaux pôles d’exercice de leurs activités, descendent, à partir de la fin du quatorzième siècle, vers le sud-est et s’installent dans cette cité qu’ils baptisèrent par effet de nostalgie, « Zougou », ce qui est une déformation de « Ségou », leur lieu de provenance. Ils trouvèrent à Djougou un royaume déjà établi et dirigé par les « Yowa » ou « Yom ». C’était le royaume de kilir.

L’histoire prendra une toute autre dimension lorsque, dit-on, un guérisseur « gourmantché », donc en principe étranger dans le royaume, réussit à guérir la fille du roi, frappée d’une plaie incurable. Par gratitude, le roi lui fit épouser la princesse et fit de la lignée issue de cette union la lignée régnante. Dès lors, la succession au trône se fait entre les « kpètoni », les « Gnonra », les « Atacora » et les « Baparapé ».

J’ai pris le risque de cette piqûre d’histoire parce que la tradition à Djougou a encore une grande importance et la voix du roi « Kpètoni 2 » vers qui notre cortège se dirigeait ce matin-là, comptait beaucoup dans le débat politique local. Je ne peux toujours en donner toutes les raisons, mais l’engagement du palais royal de Djougou derrière la candidature du président de la Banque ouest-africaine de développement, Boad, fut précoce.

Le roi n’attendit pas la décision finale de Abdoulaye Bio Tchané avant de montrer clairement sa sympathie pour le projet politique de l’homme de Tchaourou. Ce qui fut source d’un malaise discret mais réel avec les lieutenants politiques de l’ancien ministre des Finances du Général Mathieu Kérékou. Car, bien qu’étant originaire de l’enclave linguistique de Sèmèrè, Abdoulaye Bio Tchané avait pied au palais, par sa mère qui, elle, est originaire de Djougou. Tout rentra finalement dans l’ordre quand il abandonna toute ambition présidentielle pour 2006 et s’envola pour Washington.

La voie de la Donga se libéra alors pour Yayi dont on ne pouvait plus alors s’empêcher de penser qu’une immense main invisible écrivait au jour le jour le destin présidentiel. On a beau être rationnel, certaines observations vous font tirer la conclusion que tout ne s’explique pas.

Je me rappelle le géant meeting de suscitation de la candidature de Yayi qui eut lieu au stade municipal de Djougou juste au lendemain du départ de Bio Tchané pour le Fonds monétaire international, FMI. Charles Toko, acteur culturel et organisateur de concerts à ses heures de journalisme perdues, fit descendre à Djougou quelques bonnes pontes de la musique ivoirienne. Ce qui ne fut pas pour déplaire à cette jeunesse de Djougou dont le tempérament de feu me rappelle toujours l’ambiance dans les quartiers « dendi » rivaux de Parakou, Yéboubéri et Yarakinnin.

Ce meeting qui eut lieu en 2005 donna définitivement une dimension présidentielle à l’image de Yayi. Mais, il faut préciser que déjà, en décembre 2004, l’Union nationale pour la solidarité et le progrès, UNSP de Wallis Zoumarou avait, dans une démarche solitaire, appelé, par une conférence de presse, le président de la Boad à se porter candidat aux élections présidentielles de 2006, en l’assurant de son total soutien. L’entrée en jeu de Ahmed Akobi déclenchera une lutte d’influence et de leadership entre lui et Wallis Zoumarou. Une lutte qui, quoique feutrée, sera abondamment évoquée, quand quelques semaines seulement après sa nomination comme directeur du cabinet civil du président de la République fraîchement élu, Boni Yayi, il trouva la mort, un samedi matin, dans un violent accident de circulation, à la hauteur de Kpèlèkètè, sur l’axe Savalou-Djougou.

Bref, nous n’en sommes pas encore là. Akobi est encore vivant. Nous sommes devant le palais du roi Kpétoni 2, d’où Yayi vient d’ailleurs de ressortir. Les véhicules du cortège relancent leur moteur dans une ambiance d’embouteillage et nous prenons le chemin de Ouaké, à l’ouest. Dans la zone de Barei, nous sommes contraints à un arrêt. Les populations, posters de Yayi en main, réclament un meeting, leur meeting. Ceci nous prend près d’une heure. La concision ne compte pas parmi les qualités de Yayi quand il prend la parole. Et il est toujours heureux de prendre la parole, sans savoir le sujet qui fait l’objet de la préoccupation de son interlocuteur. Je le connaissais déjà un peu sur cette appétence.

À Ouaké, l’accueil est chaleureux et le meeting, très fusionnel. Et cela se comprend. Je revois notre ami Kessilé Tchalla avec qui nous eûmes dans ce même Ouaké, la rencontre de ceux que Edouard Loko appellera plus tard dans son livre « L’intrus qui connaissait la maison », les « douze premiers apôtres du yayisme ».

Tiens ! Tchalla semble avoir disparu ces dernières semaines. Est-ce lié aux initiatives infructueuses de mobilisation de ressources financières dans un pays de l’Afrique centrale et sur laquelle il fit rêver vainement Yayi ? Ou est-ce l’effet d’une réplique sismique liée à cette voiture blindée promise à Yayi pour sa tournée électorale et qui ne vint jamais, et pour laquelle Tchalla et Kogui semblent s’être fait rouler par un escroc vivant aux États-Unis ? Tout cela ne semble pas important pour l’heure. Yayi n’est pas un suicidaire. Il ne règle ses comptes que lorsqu’il se retrouve en position de force.

Nous revenons à Djougou dans les cours de 16 heures. Entre le rond-point central et le stade municipal, notre cortège a du mal à avancer. Une foule compacte de jeunes, de femmes et de vieux occupe la voie et forme un fleuve humain. Nous avançons à grand-peine. C’était chaud, c’était fou. Nous finissons par atteindre le portail du stade où des cavaliers, disposés en haie d’accueil, nous attendent. Les chevaux, bavant et la langue rougie par la cola, balancent de temps en temps la tête du haut vers le bas, comme pour nous souhaiter la bienvenue. Une fois dans l’enceinte du stade, la voiture de Yayi se désolidarise du cortège et poursuit seule sa pénible progression dans cet océan impétueux. Djougou a sorti le grand jeu. Je n’en avais pas vu autant avec le grand Mathieu Kérékou.

Le meeting dura près de deux heures. Le stade vibra lorsqu’à l’entame de son discours, Yayi rendit un hommage solennel à « son frère » Abdoulaye Bio Tchané. « Nous avons toujours été ensemble et nous resterons toujours ensemble, mon frère Abdoulaye et moi », lança -t-il au milieu d’un tonnerre d’applaudissements.

Le crépuscule tombait lorsque nous reprîmes la route pour le nord. Direction : Natitingou.

Nous atteignîmes la belle cité de « Nanto » au milieu de la nuit, après des arrêts à Copargo pour défier Alassan Seibou et son Idji Kolawolé, Perma et Birni. Je m’étais déjà rendu un nombre incomparable de fois à Natitingou. Mais, je ne me lassais jamais de la beauté de cette ville au flanc de la chaîne montagneuse Atacora. Tel un poème sans mot, une symphonie silencieuse, Natitingou me paraissait toujours attendre son poète et son maître de chœur. Je me dis parfois, en pensant à toute la beauté des paysages du Bénin, que les Béninois ne savent pas ce qu’ils ratent en vivant reclus dans les grandes villes où le stress et la sédentarisation finit par les exposer à diverses affections cardio-vasculaires. Le Bénin est beau et sa beauté est à portée de main !

Nous prîmes nos quartiers à l’hôtel « Tata Somba ». Ce soir-là, la ville me parut encore plus belle. Peut-être à cause du souvenir très marquant que me laissa cinq ans plus tôt ma rencontre avec le Général Mathieu Kérékou. C’était en 2001 et, pour la première fois, je lui serrais la main. Oui, c’était ici, dans son domicile à Natitingou. Une histoire à raconter.

Tiburce Adagbè

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