Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 83

Jeudi, septième jour de campagne. Le cortège officiel du candidat devrait se trouver quelque part dans la zone bariba de l’Atacora. Macaire Johnson et moi avions dû passer la nuit de la veille à Natitingou, pour pouvoir rejoindre Cotonou avec les images de la campagne.

Ce fut bien entendu très désagréable pour moi de devoir faire cette navette. Mais, aucune autre alternative ne se présentait. Et je me sentais de moins en moins à l’aise de ne pas participer à la recherche de solution. J’ai longuement échangé avec Didier Aplogan au téléphone.

C’était le désarroi au Novotel, dans la mesure où les acteurs de la campagne du candidat, au sud du pays, cachaient de plus en plus mal leur frustration de ne pas savoir ce qui se passait autour du candidat sur le terrain, au nord. Ceux qui n’ont jamais travaillé que pour la réélection d’un chef d’Etat candidat à sa propre succession ne comprendront sans doute jamais cette angoisse qu’on vit avec un candidat qui se lance dans la bataille pour la première fois. Ses chances ont beau être grandes, sa victoire a beau être évidente, il n’y a que le terrain pour vous donner tort ou raison. La pression, je l’imaginais bien, devrait être de plus en plus forte sur l’équipe de communication du Novotel.

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Si les images du nord sont bonnes, théorisait-on, cela remotivera davantage l’électorat du sud. Et ce n’était pas faux. Dans cette compétition, il n’y avait ni confrontation d’idéologies ni confrontation de projets de société. L’électorat indécis, qui ne fait son choix qu’au dernier moment, attend juste de voter pour le cheval gagnant. Nos images du nord étaient excellentes, au-delà de mes attentes. Cela m’encourageait à reprendre la route du Novotel, malgré l’option ferme que j’avais prise de tourner la page de la communication.

Le soulagement de Didier fut grand lorsque je l’informai que je descendais sur Cotonou avec les premières images du nord. Il m’informa qu’il prenait de nouvelles dispositions afin d’envoyer quelqu’un attendre le cortège à Parakou afin, si possible, de ramener un second lot d’images. Aujourd’hui, ce récit peut paraître drôle, avec le prodigieux développement des Technologies de l’information et de la communication.

N’importe qui aujourd’hui n’aurait qu’à activer son écran Android, et un meeting politique se déroulant à peu près n’importe où, serait vécu en direct sur les réseaux sociaux. Mais, nous étions en 2006. Les réseaux sociaux étaient encore embryonnaires et l’Internet sur les téléphones portables relevait encore de la science fiction. Je me rappelle que lorsqu’un ministre partait en tournée d’une semaine à l’intérieur du pays, il fallait attendre toute la durée de la tournée, attendre ensuite que les reporters télé prennent trois à quatre jours pour traiter tout le stock d’images, avec prévision de premières diffusions, deux ou trois nouveaux jours plus tard.

Les réalités ont largement évolué et personne ne peut plus envisager une stratégie de conquête et de gestion en occultant la puissance des réseaux sociaux. Ces petits morceaux d’écran que nous avons tous en main toute la journée, et même parfois toute la nuit, redimensionnent dorénavant nos rapports sociaux, notre compréhension de la vie, et même nos réflexes qui n’ont plus grand-chose de naturel. C’est évident que cette dématérialisation des relations interpersonnelles ira crescendo. Nous regardons plus nos écrans Android que l’écran de nos postes téléviseurs.

Cette joyeuse explosion des communautés virtuelles, en démocratisant et en banalisant la prise de la parole, nous oblige à redéfinir la notion d’espace public. L’agora n’est plus dorénavant un lieu physique. Et un nouveau type de leaders d’opinion et d’influenceurs apparaît.

Dès que j’aurai bouclé la rédaction de cet épisode par exemple, il me suffira juste de cliquer sur cette petite fléchette pour qu’il se retrouve sur les cinq continents. Communiquer, c’est maîtriser. Comment maîtrise-t-on, ou alors que peut-on désormais maîtriser quand le développement exponentiel des Technologies de l’information et de la communication transforme tout le monde en influenceur potentiel ?

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Laissons la question aux théoriciens et revenons à notre récit.

Nous partîmes de Natitingou très tôt le matin. Macaire Johnson était au volant et j’étais assis à côté de lui. La route était calme et nous ne recevions que l’écho du sifflement de nos pneus sur l’asphalte. Macaire était concentré. Il roulait vite, très vite. Mais, sans que je ne sache pourquoi, sa silhouette massive accrochée au petit volant de la voiture « Carina 3 » me donnait une sensation de sécurité absolue. Bientôt, un segment du tronçon de voie à l’entrée de Djougou nous obligea à ralentir et à slalomer entre des nids-de-poule béants qui causaient en ce temps-là tellement de drames.

Djougou s’éveillait à peine. Quelques panneaux géants aux effigies de Yayi, Houngbédji et Amoussou rappelaient le fort intérêt que nourrissaient les différents candidats à cette élection présidentielle pour la cité des « Diarra ». Je repensai à notre meeting qui, quelques jours plus tôt, avait mis la ville en effervescence. Je repensai surtout aux femmes leaders de cette région qui s’engagèrent tête et pieds avec nous : Garba Fouléra qui nous donna le gîte, Lamatou Alaza qui se détourna de Idji Kolawolé qui eût pu être son choix naturel, Amissétou Affo Djobo qui tenait un maquis à Parakou, mais qui s’illustrait déjà dans l’activisme politique.

Nous traversâmes Djougou en coup de vent et nous nous engageâmes sur un tronçon d’asphalte qui me parut interminable. Sur plus d’une cinquantaine de kilomètres, nous roulâmes seuls, croisant de temps en temps quelques paysans qui se rendaient aux champs, leur chien sur le réservoir de leur moto, les deux pattes avant posées entre les guidons, ou trottant docilement devant leur vélo.

Il était environ onze heures lorsque nous atteignîmes le rond-point du carrefour de Dassa. De là jusqu’à Cotonou, nous croisions par intervalles réguliers des camions en partance pour le nord et dont le pare-brise portait une affichette de notre candidat. Et puisque notre voiture était également couverte d’affichettes, nous échangions avec ces conducteurs de gros porteurs des signes d’encouragement et de complicité, tantôt en klaxonnant, tantôt en faisant un « V » de victoire en sortant le bras. C’était aussi surtout notre façon de conjurer le calvaire que représentait alors le tronçon de route Bohicon-Cotonou.

En milieu d’après-midi, j’étais au Novotel. Didier n’y était pas. Il était en ville. Il me demanda de laisser les supports auprès du secrétariat. L’ambiance me parut plus animée. Le siège de campagne semblait carrément s’être déporté sur le Novotel. J’aperçus la silhouette de Robert Dossou et d’autres visages que je ne connus que plus tard. Didier était le maître du Novotel. Je m’en étais rapidement rendu compte au secrétariat, par le nombre de personnes qui y passaient demander d’après lui pour tout et pour rien. Que devenait Charles Toko ? Ça faisait un moment que je n’avais plus de ses nouvelles. Mais, j’étais convaincu qu’il avait raté un train. Et l’avenir ne me démentira pas.

J’informai Didier que je retournais au nord le lendemain, mais que je n’étais plus disposé à refaire cette corvée. Il me rassura. Quelqu’un était déjà en route pour Parakou. En revenant sur le parking du Novotel, je recroisai Maurille Agbokou, presque au même endroit où je l’avais vu il y a quelques jours. Il prit des nouvelles du nord, puis d’un ton mesuré, exprima son optimisme. Il n’y avait décidément rien de militant en lui.

Alors que je ressortais du Novotel, Didier me rappela. « Quelque chose est prévu pour toi », me dit-il. Il me demanda de repasser plus tard dans la soirée, si c’était possible. « Je ne suis pas sûr de pouvoir repasser ici le soir », lui répondis-je, avant d’ajouter sur le ton de la blague, « je ne suis pas pressé, Didier. Une chose est certaine, le plat de légumes qui m’est destiné ne souffrira pas d’avarie ». Il éclata de rire et fit une répartie dont je ne me souviens plus, mais qui me fit rire à gorge déployée. Le tout ne suffit pas de savoir se battre, il faut savoir prendre le pouvoir.

Charles savait se battre, Didier savait prendre le pouvoir. Ma conviction était définitivement établie.

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Je rentrai directement à la maison. Je repars très tôt demain, chercher Macaire Johnson chez lui à Akpakpa. Nous remontons jusqu’à Sinendé, si tout va bien. Le cortège de Yayi est prévu pour s’y trouver dans l’après-midi. Sinendé, c’est une autre histoire…!

Tiburce Adagbè

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