Bénin : le député opposant Atao Hinnouho pris dans un engrenage politico-judiciaire

Le député de l’opposition, Mohamed Atao Hinnouho est, depuis ce 03 mai 2018, sous mandat de dépôt à la prison civile de Cotonou alors qu’il était toujours en hospitalisation au Centre national hospitalier et universitaire (CNHU) de Cotonou. Principal suspect dans une rocambolesque affaire dite de « faux médicaments », le député Atao Hinnouho est depuis le 27 avril 2018 pris dans un engrenage politico-judiciaire.

Tout a commencé le 1er septembre 2016, date à laquelle le gouvernement Talon a annoncé l’organisation de l’opération PANGEA IX. Une initiative de l’Organisation Internationale de Police Criminelle (OIPC-Interpol) pour lutter contre la criminalité pharmaceutique transnationale. L’opération était motivée par les résultats d’une étude selon lesquels plus de 30% des médicaments en circulation au Bénin sont contrefaits et proviennent essentiellement de « Adjégounlè » – un marché spécialisé dans la vente des médicaments de contrebandes, qui serait contrôlé par des lobbys politiques et des trafiquants de drogues.

Le Bénin ou la capitale des faux médicaments ?

Dans la sous-région ouest africaine, le Bénin est réputé être un pays de transit de médicaments de contrebandes communément appelé « faux médicaments ». Pour lutter contre le phénomène, l’ancien président français, Jacques Chirac, et plusieurs chefs d’Etats africains ont lancé en octobre 2009 à Cotonou un appel international contre le trafic de faux médicaments.

Dans la même dynamique, l’opération PANGEA IX avait pour objectif de démanteler les réseaux de trafiquants de faux médicaments et engager des poursuites judiciaires contre les personnes impliquées ; d’intercepter, saisir et détruire des stocks de médicaments provenant de commerce ou du trafic illicite de médicaments.

Le 24 février 2017, l’opération PANGEA IX entre dans sa phase active par le démentiellement de « Adjégounlè », le marché spécialisé de vente des médicaments de contrebandes de Dantokpa. Selon le résultat  de cette opération présenté à la presse par le ministre béninois de la Santé, Alassane Séidou, et son collègue de l’Intérieur et de la Sécurité Publique, Sacca Lafia, environ 80 tonnes de médicaments ont été saisis et 109 personnes arrêtées.

Malgré cette opération qui a porté un grand coup au système de trafic de médicaments dans le pays, le commerce de médicaments de contrebande n’était pas encore prêt de s’arrêter. Le 04 décembre 2017, sur informations, le nommé Toviessi Sourou Rock, agent de santé en service à l’hôpital de zone de Sakété, a été arrêté à Cotonou en possession de quarante (40) kilogrammes de faux médicaments.

Selon Brice Allowanou, Chef de la Sous-direction des affaires économiques et financières, Toviessi Sourou Rock, au cours de son audition, a reconnu être le propriétaire des faux médicaments découverts. Des explications de Brice Allowanou, il ressort qu’il existe un système de trafic de faux médicaments alimenté par dame Akinocho Karim Salamatou, conjointe du député Mohamed Atao  Hinnouho.

Atao Hinnouho ou le cerveau du trafic de médicaments au Bénin ?

Le 07 décembre 2017, la police judiciaire débarque au domicile du député Atao Hinnouho à Cotonou pour une opération de perquisition. Mais elle a été heurtée à la résistance du député soutenu par les populations riveraines. Dans la foulé la Brigade économique et financière a délivré une convocation au député, qui a pris la fuite. Les 08 et 09 décembre 2017, les policiers lourdement armés ont procédé à la perquisition du domicile du député et d’autres propriétés du député où il a été découvert plusieurs entrepôts de produits pharmaceutiques.

Un bilan provisoire de cette opération présenté par la police avait fait état d’une quantité de 94 tonnes produits pharmaceutiques saisis. Les enquêtes menées par la police judicaire ont relevé que plusieurs grossistes répartiteurs de produits pharmaceutiques au Bénin s’approvisionnent dans les entrepôts découverts dans les propriétés du député.

« Des grossistes répartiteurs GAPOB, UBIPHARM, CAME, UBEPHAR, PROMO PHARMA s’approvisionnent régulièrement en médicaments et autres réactifs médicaux auprès d’Atao et de sa compagne. Des documents (chèques, factures, fiches de statistiques, bons de commande et de livraison) ont montré que des grossistes ont reçu en moins de 24h, des commandes passées au laboratoire New Cesamex basé au Congo Kinshasa. Au même moment, au niveau des douanes béninoises, il n’y a pas de traçabilité de telles opérations de 2012 à 2017 », avait fait savoir le procureur de la République le 23 février 2018 lors d’une conférence de presse à Cotonou.

Les grossistes répartiteurs suscités ont été interpellés, placés sous mandat de dépôt avant d’être condamnés le 13 mars 2018 à 4 ans de prison et cent (100) millions de francs cfa d’amande chacun. Le 14 mars 2018, le gouvernement suspend l’ordre des pharmaciens du Bénin à titre de mesure conservatoire pour une durée de six mois et annonce la réforme du secteur des produits pharmaceutiques.

A ce titre, il est annoncé la révision du statut de l’ordre des pharmaciens et la mise en place d’une commission de surveillance. Toujours le 14 mars 2018, le gouvernement a décidé du retrait systématique de tous les produits de la société New Cesamex des officines de pharmacie du Bénin.

Réforme du secteur pharmaceutique, un moyen de pression politique ?

Candidat à la présidentielle de 2016, Mohamed Atao Hinnouho est l’un des premiers candidats non élu au premier tour à se rallier à Patrice Talon qualifié pour le second tour face au candidat du pouvoir d’alors, l’ancien premier ministre Lionel Zinsou. Mais il n’a pas perdu du temps pour rentrer en opposition à la gouvernance de Patrice Talon à la tête du pays. Le 04 avril 2017, il vote pour le rejet, par le parlement, du projet de révision de la constitution tant souhaité par le président Talon.

Invité au 3ème congrès ordinaire du parti « Restaurer l’Espoir » de Candide Azannaï le 03 juin 2017, le député Atao Hinnouho a dressé un sévère réquisitoire contre le régime Talon : « Le contexte politique du Bénin, en un an de gouvernance Talon, est marqué par la profanation du système démocratique, la mal gouvernance, le développement des intimidations, chantages, répressions, trafic d’influence, clientélisme, enrichissement illicite accéléré, violation de la liberté d’expression, marchés gré à gré, conflits d’intérêt au sommet de l’Etat, mis en otage de l’économie nationale et la paupérisation des béninois ».

Un sévère réquisitoire qui semble cacher la colère du député contre le démantèlement de « Adjégounlè », ce marché spécialisé de produits pharmaceutique dont il a des liens évidents. Recherché par la justice béninoise dans l’affaire dite de « faux médicaments », le député Atao crie à un acharnement politique du pouvoir Talon même s’il reconnait avoir joué un rôle non moins important dans le secteur pharmaceutique béninois entre 2002 et 2008.

« Lorsque je suis élu conseiller municipal en 2008, je me suis retiré de toute activité » avait-il clamé avant d’ajouter que l’affaire dite de « faux médicaments » est une affaire entre le chef de l’Etat Patrice Talon et lui. « Le problème dit de faux médicaments et de médicaments falsifiés est un véritable faux problème. (…) Il faut qu’on cesse de tromper le peuple. Patrice Talon sait ce qui l’a motivé dans cette traque… », avait-il déclaré au micro de la radio « Soleil Fm » le 29 avril 2018.

Par ailleurs, le député Atao Hinnouho a révélé le désir du président Talon de voir certains de ses partenaires prendre des actions dans le laboratoire New Césamex dont il fut le représentant commercial au Bénin. « Le chef de l’Etat m’a invité et m’a dit qu’il a des partenaires qui veulent être désormais membres actionnaires dans le groupe New Césamex. Et je lui ai dit que le laboratoire New Césamex est pour les indiens, que je ne suis pas actionnaire et j’ai été il y a plus de 10 ans, leur représentant au Bénin… Le chef de l’Etat à mal compris la réponse et mes problèmes ont commencé depuis ce jour », a-t-il fait savoir.

Un procès sur fond de suspicion

Placé sous mandat de dépôt le 03 mai 2018, le député Atao Hinnouho sera présenté aux juges du Tribunal de première instance et de première classe de Cotonou le 08 mai 2018 dans un procès pour flagrant délit. Mais déjà, certains citoyens doutent de la neutralité de la justice béninoise dans ce procès qui semble cacher un conflit d’intérêt entre le chef de l’Etat et le député Atao Hinnouho.

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