Liberté de presse au Bénin: une marche à reculons

La presse béninoise proie sous le coup des maux qui entravent son émergence et qui écartent malheureusement les acteurs du domaine du professionnalisme dont ils devraient faire montre dans l’exercice de leur métier. Si le bâillonnement de la presse a échoué à plusieurs tentatives sous les régimes précédents, la liberté de cette presse aurait du plomb dans l’aile sous la gouvernance Talon.

Patrice Talon, président élu du Bénin depuis le 6 avril 2016 continue son mandat et son régime, même si d’aucuns le considèrent ou le qualifient de tous les noms, demeure néanmoins un régime qui restera dans l’histoire du pays. Mais depuis lors, le pouvoir semble opter pour une liberté de presse conditionnée qui a déjà révélé des failles dans le classement du pays au niveau des  organismes compétents.  Selon les différents rapports du Reporter Sans Frontière (RSF), le Bénin a occupé successivement 75ème  en 2014, 84ème  en 2015, 78ème en 2016, 78ème en 2017 et 84ème en cette année 2018Une position oscillante qui dénote du manque de professionnalisme des acteurs de cette corporation et de l’embrigadement de ce secteur par les politiques et acteurs au pouvoir.

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Aussi, peut-on constaté dans le rapport 2016-2017 d’Amnesty International qui a pointé d’un doigt accusateur le gouvernement béninois sur sa gestion de la liberté d’expression. Au fronton de ce rapport, il est clairement écrit : « les droits à la liberté d’expression et de réunion sont à des restrictions » en République du Bénin. Dans le développement de ce constat fait par cet organisme, quelques cas d’entrave à la liberté de réunions pacifiques et la liberté d’expression tant en 2016 qu’en 2017.

Le 17 février, selon le rapport, la police a fait usage de gaz lacrymogène pour disperser plusieurs centaines d’étudiants de l’université d’Abomey-Calavi. Ces étudiants s’étaient rassemblés dans un hôtel d’Abomey-Calavi, en banlieue de Cotonou, pour tenir une assemblée générale et une conférence de presse, et pour protester pacifiquement contre l’interdiction depuis octobre 2016 de toutes les activités des syndicats étudiants

Une décente aux enfers ?

Difficultés d’accès aux sources de l’information, conditions de vie et de travail difficiles des acteurs des médias, financements obscurs et contraignants, manque de professionnalisme dans le traitement de l’information après seize (16)  ans de sa libéralisation, la presse béninoise est toujours dans les carcans et peine à se relever. Au moment où on s’attendait à un changement, à une amélioration de ces conditions et surtout le renvoi systématique de ces maux de la corporation avec le vote de la loi  2017-20 portant code du numérique en République du Bénin, le journalisme semble être plus logé au tréfonds du vase empêchant du coup l’éclosion des « vrais » professionnels du métier.

Ce code peine à « s’imposer » dans les habitudes professionnelles des hommes du domaine. On en était à ce stade de dégringolade de cette liberté de presse quand le pouvoir du Président Talon s’est lancé dans une autre forme de restriction et de bâillonnement presque voilé du métier.

L’espoir était pourtant à la porte puisque ces journalistes pensaient à un changement et surtout à une amélioration de leurs conditions de vie et de travail et une marche vers le professionnalisme avec l’arrivée de Patrice Talon, actuel locataire de la Marina.

Dans son projet de société, le candidat Patrice Talon avait clairement identifié les maux qui minent cette corporation et s’était engagé, lisant son projet de société, à y apporter des solutions adéquates. Ce qui a été applaudi par des hommes et femmes du domaine. Face au diagnostic lié à la politisation des organes publics de presse, le candidat Talon, alors, avait envisagé « rendre effectif l’accès équitable de tous, peu importe le bord sociopolitique, aux médias publics de presse ». Mais aujourd’hui, hélas. Face à la restriction de la liberté de presse, le candidat stipulait dans son programme de société qu’il « procédera, une fois élu, à la libération effective des fréquences radio et télévision ». Le constat des lieux est aujourd’hui alarmant. En plus de la mise hors tension de trois (3) organes de presse et le brouillage en continu de la fréquence de la radio Soleil FM dans la ville de Cotonou, les statistiques du Reporter sans frontière (Rsf) sont aussi évocatrices.

Un brouillage qui dure des mois sous le regard presque impuissant de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac). Le silence dans lequel s’est également mué le gouvernement en place malgré son interpellation par les parlementaires au détour d’une question orale inquiète plus d’un. « Alors qu’il s’agit de la sécurité intérieure de l’Etat et de la préservation des acquis démocratiques qui stipulent que le citoyen est libre d’écouter le média de son choix », a fait remarquer Irénée Agossa, ancien conseiller de la Haac dans une interview accordée à nos confrères de la radio Soleil FM.

Cette Haac, pour beaucoup surtout avec ce cas irrésolu de la radio Soleil FM qui a eu les ondes de sa fréquence brouillée, est considérée comme une hache puisque n’agissant que pour punir, sévir et réprimer. Une prérogative que lui confèrent d’ailleurs les textes régissant son fonctionnement. Et pour donc corriger cet état de chose et mettre véritablement la Haac au service du développement des médias en République du Bénin, les états généraux de la presse du Bénin tenus le 21 février 2014 avait recommandé une relecture de la loi organique de la Haac.  Mais tout stagne toujours à ce niveau.

 La télécommande de la presse

Le fonctionnement et la survie des organes de presse au Bénin sont des questions majeures qui préoccupent certains acteurs épris de la liberté de presse et surtout de la professionnalisation du métier du journalisme. Se référant toujours aux conclusions du 2ème états généraux de la presse au Bénin, les acteurs du métier avaient suggéré « qu’il y ait un appui aux médias audiovisuel par la création d’un fonds d’appui à tout numérique, de la mise en place d’ une fiscalité spéciale pour les entreprises de presse et surtout de la mise en place  d’une Centrale d’achat des intrants de presse pour la presse écrite ». Mais les recommandations de ces assises nationales sont toujours rangées dans les placards.

Dans le projet de société du candidat Talon, soufflez qu’on puisse en revenir à chaque fois puisqu’il a été élu sur la base de ces réformes annoncées, il avait clairement affiché son intention de remédier à cet état de chose en mettant  en place, une fois élu, un plan d’investissement massif des organes de presse en République du Bénin. Mais paradoxalement, dans l’élaboration du programme d’action quinquennal du régime Talon, et cette promesse contenue dans le projet de société de l’homme n’a plus eu de place et semble être délibérément extraite du programme d’action du gouvernement (PAG).

Il faut le reconnaître, l’un des problèmes sérieux qui entrave la liberté de la presse en République du Bénin est l’absence de financement officiel, crédible.

En fait, très peu d’institutions et de bailleurs de fonds s’intéressent à cela. Seul l’Etat consacre une enveloppe pour la presse privée, mais l’aide ne prend guère en compte la création de nouveaux médias. Et c’est ce  qui a motivé les participants aux 2èmes états généraux de la presse de préconiser la mise en place et surtout l’avènement du Fonds d’appui au développement des médias. Mais en attendant la mise en place d’un tel fonds, les organes de presse croupissent dans des maux contraignants les acteurs à s’adonner à tout pour joindre les deux bouts afin de survivre.

Une telle vie n’est pas sans conséquences sur les productions de ces organes de presse, elle l’est également sur la vie des acteurs qui les animent. La plupart des médias audiovisuels et de presse écrite sont financés en sourdine par des hommes politiques qui ont un droit de regard sur le contenu et le traitement des informations, si ce ne sont pas eux-mêmes qui créent l’organe, officieusement ou au vu de tous. Souvent, la ligne éditoriale des organes de presse est conditionnée par la posture politique de ces derniers. Et ceci pourrait bien expliquer certains dérapages observés dans les médias avec certains titres parfois sensationnels ou carrément orientés voire ciblées.

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A l’arrivée du régime Talon et avec la suspension de tous les contrats qui liaient ces organes de presse à l’Etat béninois et la suppression des cellules de communication dans les ministères et structures étatiques, on espérait un assainissement qui pourrait redorer le blason de cette corporation. Mais une fois encore, ce n’était que de la poudre jetée aux yeux des béninois et des acteurs du monde journalistique. Au lendemain de la suppression, le gouvernement Talon, par l’entremise de sa direction de communication, a fait appel à un certain nombre d’organe de presse qui devront désormais accompagner le régime dans la vulgarisation de ses actions. Des médias de propagandes des actions gouvernementales, tentent de qualifier des observateurs. Des articles seront donc « fabriqués dans des laboratoires » qu’on ignore et atterrissent dans les rédactions de ces organes de presse sélectionnés à qui une forte somme serait hebdomadairement payée.

En ayant ce contrat avec ces organes, le gouvernement les tient et ils ne diffusent ou ne relayent que des articles ou productions émanant de « supposé laboratoire à fabrication automatique d’articles de presse ». Titres siamois, contenus identiques, même angle de traitement, même longueur des articles et bien d’autres aspects qui prouvent que la production ne provient pas de la rédaction de ces organes. Un tel constat a fait perdre la crédibilité des organes de presse dans l’opinion publique.

« Les quelques rares médias qui ne partagent pas les mêmes visions propagandistes que le gouvernement sont menacés, intimidés par de redressement fiscal, avis d’imposition faramineux et autres manœuvres de tout régime décidé à en découdre avec les médias du genre » fait observer Jonathan, un observateur politique.

Lors de son installation, le tout nouveau procureur de la République du tribunal de Cotonou, Gilbert Ulrich Togbonon a promis tenir compte des révélations faites dans la presse pour s’autosaisir et mener des investigations sur des dossiers publiés par la presse. Mais dans une atmosphère où tout est presque téléguidé, quelle crédibilité donnera le procureur à des productions qui ne découlent nullement des investigations des journalistes mais plutôt des actions propagandistes des acteurs politiques ? Grosse interrogation.

Des médias embrigadés

Il est de notoriété de tous aujourd’hui, vu les productions des différents organes de presse au Bénin, que la liberté de la presse est plus que menacée et le professionnalisme est loin de refléter la volonté des consommateurs qui aimeraient voir une certaine crédibilité dans ces productions de presse.  

« Pourquoi des journalistes devront avoir les mêmes titres, les mêmes contenus des articles, les mêmes productions, les mêmes images et ceci, les mêmes jours ? » S’est interrogée désespérément Carine, analyste politique et chargée de communication dans une entreprise privée du pays. En clair, elle n’est que la porte-parole des millions de Béninois qui se posent cette question chaque matin au réveil et à la prise de connaissance des actualités dans les  journaux. Pour cette dame, la situation, au-lieu qu’elle soit améliorée avec l’avènement d’un nouveau régime qui prône pourtant une rupture, a empiré, entachant du coup cette liberté chèrement acquise par les vrais combattants d’antan.

Très déçu de l’usage fait de cet instrument acquis après une longue lutte, Jérôme Carlos, chroniqueur et promoteur d’une station radio, avance que « l’importance de la liberté en général et celle de la presse en particulier devrait être le combat de chaque jour puisque qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son ».

Pour ce vétéran de la corporation, il est important de connaître le mode d’emploi de la liberté de la presse. Et à ce titre, il convient de la cerner en cinq (5) points. Dans une de ses chroniques publiée le 2 mai 2017, veille de la journée mondiale de la liberté de la presse, le chroniqueur trouve que « la liberté, plus qu’une question de textes, est une question de tête ».

Il faut donc que les journalistes, les responsables d’organe de presse ou rédacteurs à tout niveau se libèrent de  cette jungle des politiciens afin de mieux exercer leur profession. « Tant que les journalistes continueront à fonctionner au gré des politiciens, la médiocrité, le manque du professionnalisme dans les productions, le bâillonnement voire l’embrigadement de la presse par le pouvoir en place existeront toujours en République du Bénin », s’est-il indigné.

Une telle image que projettent depuis peu les médias béninois pourrait être corrigée en bien. Et selon les observateurs, il suffit de la volonté des acteurs du domaine, de la mise en place d’une bonne politique de financement de la presse, de la fusion, pour la création des entreprises de presse et surtout la production des articles d’investigation pour redonner goût et confiance à ces millions de consommateurs qui avaient déjà perdu toute crédibilité à cette presse. Les efforts du Conseil national du patronat de l’audiovisuel et de la presse (CNPA-Bénin), de l’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), des gouvernants, chacun à son niveau et en ce qui le concerne, permettront  un changement dans cette noble corporation.

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