Mesure conservatoire contre « La Nouvelle tribune » : Prince Agbodjan apprécie la décision de la HAAC

Par décision 18-024/HAAC du 23 mai 2018, la Haute autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (Haac) du Bénin a pris une mesure conservatoire contre le quotidien béninois d’information, d’analyse et de publicité « La nouvelle tribune » le contraignant à une suspension de ses publications jusqu’à nouvel ordre.

Pour le juriste et fiscaliste Prince Agbodjan, la haute autorité de l’audio visuelle et de la communication aurait pu passer par une mise en demeure conformément à  l’article 55 de la loi organique de la HAAC qui stipule :  » En cas d’urgence et de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi, le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut ordonner à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Sa décision est immédiatement exécutoire. Il peut prendre même d’office toute mesure conservatoire« .

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Dans son analyse, Prince Agbodjan estime que la démarche de la haac doit être d’abord pédagogique. à ce titre, la haac devait commencer par ordonner à la personne dont les écrits journalistiques ne respectent pas la déontologie de s’y conformer. Lire ci-dessous l’intégralité de son analyse.

Prince Agbodjan apprécie la décision 18-024/HAAC du 23 Mai 2018:

Le président de la HAAC du Bénin a un problème de compréhension avec l’article 55 de la loi organique sur la HAAC.

Selon l’article 55 de la loi organique de la HAAC, : « En cas d’urgence et de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi, le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut ordonner à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Sa décision est immédiatement exécutoire. Il peut prendre même d’office toute mesure conservatoire ».

La lecture littérale de cette disposition aussi claire de la loi permet de comprendre qu’« En cas d’urgence et de manquement aux obligations résultant des dispositions de la présente loi, le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut ordonner à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets ».

Puis précise que cette décision prise après mise en demeure est exécutoire avant d’indiquer que le Président peut prendre même d’office toute mesure conservatoire.

La mesure conservatoire apparait clairement à la fin de l’article et ne saurait être détachée de l’ensemble de l’article.

Donc dans l’urgence et en cas de manquement aux dispositions de la loi, le Président de la HAAC peut prendre des mesures ordonnant de se conformer aux dispositions de la loi violée, de mettre fin ou de supprimer les effets….

Il faut dans ce cas, qu’on mentionne clairement les dispositions de la loi organique sur la HAAC incriminée. Dans le cas de la décision N° 18-024/HAAC du 23 Mai 2018, le Président de la HAAC n’a nullement indiqué les dispositions de la loi organique violée. Et pourtant le législateur est bien précis en mettant la portion de phrase « aux obligations résultant des dispositions de la présente loi ».

Quelles sont les obligations résultant des dispositions de la loi organique portant sur la HAAC qui sont violées pour que l’on prenne des mesures conservatoires ?

La décision n° 18-024/HAAC du 23 Mai 2018 a indiqué la violation des articles 2, 4 et 6 du code de déontologie de la presse béninoise.
Parlant de Code de déontologie de la presse béninoise, on peut constater que le Président de la HAAC a oublié qu’en la matière, le Code a clairement indiqué en son article 20, les juridictions en charge des manquements de ce code.

L’article 20 dudit code donne compétence aux instances d’autorégulation des médias et aux associations professionnelles. Le code n’a jamais indiqué qu’il appartient à l’autorité de régulation (je dis bien autorité de régulation) de sanctionner les manquements au code de déontologie de la presse béninoise. Il y a bel et bien une différence entre une autorité de régulation et une autorité d’autorégulation.

A bien analyser la décision portant mesure conservatoire du journal « la Nouvelle Tribune » prise par le Président de la HAAC le 23 Mai 2018, on est tenté de conclure à une méconnaissance du dispositif en place au niveau de la presse béninoise par l’auteur de la décision n° 18-024/HAAC du 23 Mai 2018 car, l’article 20 du code de déontologie de la presse béninoise dispose clairement que : « Tout manquement aux dispositions du présent code de déontologie expose son auteur à des sanctions disciplinaires qui pourront lui être infligées par les instances d’autorégulation des médias et les associations professionnelles. Le journaliste accepte la juridiction de ses pairs, ainsi que les décisions issues des délibérations des instances ci-dessus mentionnées. Le journaliste s’oblige à connaître la législation en matière de presse ».

La HAAC ou son Président sont-ils des autorités d’autorégulation ou de régulation ?

En ce qui concerne la violation des articles 29, 272 et 341 du code de l’information et de la Communication évoquée par la décision, on peut également constater que le Président de la HAAC est également passé à coté des articles visés.

Les dispositions qui fondent la décision indiquent en effet que :
« l’article 29 : Dans l’exercice de son droit d’informer, le journaliste est astreint au respect des lois et règlements de la République du Bénin et au code d’éthique et de déontologie de la presse béninoise.

L’article 272 : Toute expression outrageante, tous termes de mépris ou invectives qui ne renferment l’imputation d’aucun fait, est une injure.
L’injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 269 et 270 de la présente loi, sera punie d’une amende de un million (1 000 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA.

L’article 341 : Les organes de presse créés avant la promulgation de la présente loi disposent du délai de trente (30) jours pour s’y conformer.

Il ressort de la lecture combinée des articles du code de l’information et de la Communication que la sanction prévue pour le cas d’injure comme l’a mentionné la décision n’est nullement une mesure conservatoire entrainant la suspension des parutions mais plutôt une amende dont la fixation du montant relève des tribunaux correctionnels.

Selon l’article 304 du code de l’information et de la Communication « Les infractions aux lois sur l’information et la communication sont déférées devant les tribunaux correctionnels ».

Le législateur du code sur l’information et la communication du Bénin n’a nullement et aucunement indiqué que le Président de la HAAC peut prendre une mesure conservatoire sur la violation de ces dispositions.

Comme quoi, il y a un véritable problème par rapport à la compréhension des lois en matière de régulation par l’auteur de cette décision.

A cela, il faut ajouter que c’est une décision qui créé d’amalgame car, le Président de la HAAC indique également la violation par le journal « la nouvelle tribune » des articles 182 à 184 du code sur l’information et la communication du Bénin et de son communiqué n° 0044-17/HAAC/PT/DC/SP-C du 21 décembre 2017. Les articles indiqués évoquent la procédure de la déclaration préalable et du dépôt légal. Le même code a également indiqué les sanctions précises pour cette infraction.

Lorsque le Président de la HAAC pour fonder sa décision de mesure conservatoire va chercher dans le code de déontologie de la presse béninoise qui ne lui donne aucune compétence de sanction, dans la code de l’information et de la Communication qui relève des tribunaux correctionnels sans même mentionner une disposition violée dans la loi organique sur la HAAC qui le fonde à prendre une mesure conservatoire, le citoyen béninois qui a droit à l’information doit se poser des questions et exprimer ses inquiétudes.
La lettre et l’esprit de l’article 155 de la loi organique sur la HAAC, les mesures conservatoires qui apparaissent à la fin de cet article sont précédés de mise en demeure permettant aux responsables concernés de se conformer à ces dispositions en vue de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Si selon l’article 13 de la loi organique sur la HAAC, la HAAC en tant qu’Institution ne peut infliger une sanction sans passer par les « observations aux dirigeants » ce ne serait pas au Président de la HAAC de prendre des mesures allant à la suspension d’une société de presse sans aucune mise en demeure.

Par de pareilles décisions du Président de la HAAC du Bénin, l’image de notre Presse se trouve de plus en plus entachée en matière de liberté de presse.
Le Bénin risque de continuer à s’enfoncer dans les profondeurs des classements relatifs à la liberté de la presse en Afrique et dans le monde.

Serge Prince Agbodjan

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