Togo : Victor Topanou démonte un décret de Faure Gnassingbé sur la désignation des présidents d’université

La désignation des premiers responsables des universités au Togo est souvent à la base de la mauvaise gestion qui a eu souvent dans ces hauts lieux du savoir. Pour résoudre le problème lié au mauvais choix porté sur les premiers responsables de ces universités, le chef de l’Etat togolais a pris un décret qui lui permet de nommer les présidents et vices présidents des universités sur proposition du ministre de tutelle. Ce décret présidentiel n’est pas sans faiblesse.

Dans un décryptage du décret pris par le président Faure Gnassingbé, l’ancien garde des sceaux du Bénin, le ministre Victor Prudent Topanou a démonté le décret présidentiel pour en ressortir les faiblesses et les incongruités. Lire ci-dessous son analyse.

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Décryptage de Victor Prudent Topanou

La gestion fréquemment contestée des universités du Togo ramène régulièrement sur le devant de la scène le débat sur le mode de désignation de leurs premiers responsables à savoir les présidents et les vice-présidents. Aujourd’hui, ils sont nommés par le président de la République sur proposition du ministre de l’Enseignement supérieur. Pour bon nombre de Togolais, c’est la conséquence logique de la révision constitutionnelle de 2002 en son article 70 alinéa 2

En effet, dans sa version initiale, c’est-à-dire dans la Constitution du 14 octobre 1992, l’article 70.2 était libellé ainsi qu’il suit : « le président de la République, par décret pris en conseil des ministres, nomme les présidents d’universités élus par les collèges électoraux des Universités… ». Ici, l’esprit du constituant est on ne peut plus clair : les présidents des universités togolaises doivent être élus par leurs pairs avant de recevoir l’onction de la légitimité constitutionnelle à travers leur nomination par le président de la République par décret pris en conseil des ministres.

Autrement dit, le principe de l’élection des présidents des universités par leurs pairs n’est absolument pas incompatible avec leur nomination par le président de la République : l’essentiel, c’est que cette nomination se fasse par décret pris en conseil des ministres et non par décret présidentiel.

Mais dans sa version actuelle, c’est-à-dire dans la Constitution du 14 octobre 1992 révisée par la loi n°2002-029 du 31 décembre 2002, l’article 70.2 est libellé ainsi qu’il suit : « le Président de la République, par décret pris en conseil des Ministres, nomme les Présidents d’Universités… ». Le groupe de mots « élus par les collèges électoraux des Universités » a donc disparu. Il n’en fallait pas plus pour que la révision constitutionnelle de 2002, sur ce point précis, soit interprétée par les uns et par les autres comme une volonté du Prince de reprendre les choses en main.

Imbroglio juridique

Pour les tenants du régime, cette reformulation exprime de la façon la plus claire, ce qu’il convient d’appeler l’esprit de la Constitution, à savoir la volonté du Prince de ne pas avoir à faire à des Présidents d’Université élus, par trop indépendants d’esprit. De toutes les façons, il ne pouvait en être autrement, car c’est le propre des dictatures que de vouloir tout contrôler et le régime togolais en est une. En effet, tout le monde a encore en mémoire les conditions abracadabrantesques dans lesquelles le Président Faure  Gnassingbé a pris le pouvoir en 2005 et depuis lors, la seule image qui continue d’illustrer la problématique des élections démocratiques au Togo est celle véhiculée par TV5, de militaires courant à la fin du vote, urnes à la main, vers une destination inconnue. Aujourd’hui, le seul langage que comprend et que parle ce régime, c’est celui de la violence face à des manifestants aux mains nues. Il n’est donc pas surprenant qu’un tel régime ne veuille pas de Présidents d’Université élus par leurs pairs.

Par ailleurs, de 1992 à 2002, c’est-à-dire entre l’adoption de la Constitution et sa révision, dix années se sont écoulées, dix années au cours desquelles aucune élection n’a été organisée pour désigner les Présidents des Universités du Togo, dix années au cours desquelles le régime a continué, comme si de rien n’était, de les nommer avec la complicité de certains universitaires.

Mais si l’on peut concéder que tel est, en effet, l’esprit de cette révision, cette nouvelle formulation suffit-elle, à elle seule, à le traduire dans les faits et permet-elle au Président de la République de désigner de façon discrétionnaire, ainsi qu’il le fait depuis lors, les Présidents des Universités du Togo ? Autrement dit, cette nouvelle formulation est-elle définitivement incompatible avec le principe de l’élection des Présidents des Universités du Togo ? La réponse, bien entendu, est techniquement non pour la simple raison qu’elle maintient le principe de la nomination par décret pris en conseil des ministres même si beaucoup pensent et écrivent, à tort, que les Présidents des Universités du Togo sont nommés par décret présidentiel.

En effet, contrairement à la nomination par décret présidentiel dans lequel le processus de désignation est entièrement contrôlé par le Président de la République, dans le cadre d’une nomination par décret pris en conseil des ministres, d’autres organes interviennent dans le processus de désignation ; ce peut être le ministre de tutelle comme ce peut être une élection par les pairs. C’est d’ailleurs le cas, à l’heure actuelle, des Doyens et Directeurs, des Vice-doyens et Directeurs-adjoints des Facultés, Ecoles et Instituts des Universités du Togo que le Gouvernement nomme, en aval, par décret pris en conseil des ministres après qu’ils aient été élus en amont par leurs pairs.

En fait, depuis la révision de 2002, il s’est instauré dans ce domaine un imbroglio juridique, que révèlent parfaitement bien, d’une part, la violation constante du cadre légal et règlementaire existant, à savoir la loi portant statut des Universités du Togo ainsi que le décret portant modalités d’élection des organes de direction des Universités du Togo (I) et, d’autre part, la référence à la Constitution du 14 octobre 1992 dans le texte des décrets de nomination des Présidents des Universités du Togo (II).

Un cadre légal et réglementaire constamment violé

En réalité, l’article 70-2 se veut délibérément général et si l’on devait s’en tenir rigoureusement à sa lettre, il n’y aurait pas de Vice-présidents dans les Universités du Togo pas plus qu’on ne saurait qui propose les candidats aux postes de Présidents et de Vice-présidents. C’est donc pour préciser et compléter les dispositions de l’article 70-2 de la Constitution que la loi n° 97-14 portant statuts des Universités du Togo a été adoptée par l’Assemblée nationale et que le décret n° 2000-016/PR portant modalités d’élection des organes de direction des Universités du Togo a été pris a été pris par le Président de la République en conseil des ministres.

En ce qui concerne la loi n° 97-14 portant statuts des Universités du Togo, c’est l’article 27 de la Section II qui pose très clairement le principe de l’élection du Président de l’Université. Elle dispose que « le Président de l’Université est élu parmi les Professeurs de nationalité togolaise inscrits sur une liste d’aptitude reconnue par le conseil de l’Université ». Ce principe est resté constant dans cette loi puisqu’aucune des trois lois modificatives n’y a touché, qu’il s’agisse de la loi modificative n° 2000-02 du 11 janvier 2000, de celle n° 2006-004 du 3 juillet 2006 ou encore de celle n° 2014-002 du 9 avril 2014.

« Si le régime togolais considère que la nouvelle formulation de l’art 70-2 de la constitution autorisée ; le président à nommer de façon discrétionnaire les présidents des universités du Togo, il devrait en tirer deux conséquences juridiques majeures ».

En effet, la loi n° 2000-002 du 11 janvier 2000 a modifié huit articles que sont les articles 1, 2, 5, 6, 19, 21, 58 et 85 ; elle n’a pas touché à l’article 27. Il en est de même de la loi n° 2014-002 qui en plus de toucher aux mêmes articles 1, 2, 5, 6, 19, 21, 58 et 85 a abrogé les articles 11, 12, 13 et 14 de la Section I ainsi que toutes les autres dispositions antérieures contraires. Elle n’a pas touché à l’article 27 non plus.

En ce qui concerne le décret n° 2000-016/PR portant modalités d’élection des organes de direction des Universités du Togo, il est structuré en deux chapitres, le premier intitulé « de l’élection des Présidents et des Vice-présidents des Universités du Togo » et le second, intitulé « de l’élection des Doyens et des Directeurs, des Vice-Doyens et des Directeurs-adjoints des Facultés, Ecoles et Instituts des Universités du Togo ». Ce décret tire sa légitimité, d’une part, de la « Constitution de la République Togolaise du 14 octobre 1992, notamment en son article 70 (deuxième visa du décret) et, d’autre part, de la loi n° 2000-002 du 11 janvier 2000 modifiant la loi N° 97-14 du 10 septembre 1997 portant statuts des Universités du Togo (troisième et quatrième visa).

L’organisation récente des élections décanales à l’Université de Kara et la note de service n° 017/UK/P/VP/SG/2018 en date du 29 mars portant calendrier des élections décanales à l’Université de Kara, année académique 2017-2018 tirent leur légitimité de ce cadre juridique. Le paradoxe de cette situation, c’est que ce cadre juridique organise formellement l’élection, non seulement des Présidents et Vice-présidents mais aussi des Doyens, des Directeurs, des Directeurs-adjoints, des Vice-doyens des Facultés mais que le Gouvernement n’en fait qu’une utilisation sélective en nommant les Présidents et Vice-présidents mais en faisant élire les Doyens et Directeurs, Vice-doyens et Directeurs-adjoints.

Si le régime togolais considère que la nouvelle formulation de l’article 70-2 de la Constitution autorise le président à nommer de façon discrétionnaire les présidents des Universités du Togo, il devrait en tirer deux conséquences juridiques majeures. La première c’est l’adoption par l’Assemblée nationale d’une nouvelle loi sur le Statut des Universités et la seconde, la prise d’un nouveau décret qui organise exclusivement l’élection des Doyens, Directeurs, des Vice-doyens et des Directeurs-adjoints, abrogeant de droit les dispositions du chapitre premier sur l’élection des Présidents des Universités du Togo.

« Ne pas tirer ces deux conséquences juridiques reviendrait à maintenir le chef de l’Etat dans une situation d’application sélective de la loi, ce qui, il faut bien le dire n’est pas très confortable pour un président de la République, même dictateur. »

La nouvelle loi permettra de donner une base juridique à la nomination des Vice-présidents qui ne sont pas prévus dans la Constitution en rappelant qu’ils sont proposés par le Ministre de l’Enseignement supérieur même si tout le monde sait que le Président choisit lui-même directement. Elle permettra aussi d’abroger formellement l’article 27 et le principe d’élection des Présidents et Vice-présidents des Universités du Togo.

Le nouveau décret, aussi, fera disparaître les dispositions relatives à l’élection des Présidents et Vice-présidents des Universités ; il n’organisera que l’élection et pourquoi pas la désignation directe par le Président de la République des Doyens et Directeurs, des Vice-doyens et Directeurs-adjoints ainsi que des Chefs de département et leurs adjoints. Ne pas tirer ces deux conséquences juridiques reviendrait à maintenir le Chef de l’État dans une situation d’application sélective de la loi ; ce qui, il faut bien le dire n’est pas très confortable pour un Président de la République, même dictateur.

Esprit de la réforme:

A moins que le Président Faure Gnassingbé obtienne une nouvelle révision de l’article 70-2 qui lui permette de nommer par décret présidentiel les Présidents et Vice-présidents des Universités du Togo. En réalité, tout porte à croire que le vrai esprit de cette révision était la volonté de nommer les premiers responsables des Universités du Togo par décret présidentiel et non par décret pris en conseil des ministres.

La nouvelle formulation pourrait alors être « le Président de la République, nomme les Présidents et les Vice-présidents des Universités du Togo ». Dès lors, la loi sur les Statuts des Universités ainsi que le décret d’application n’organiseraient que l’élection des Doyens et Directeurs, les Vice-Doyens et les Directeurs-adjoints des Facultés, Ecoles et Instituts des Université du Togo. Mais l’imbroglio juridique créé par la révision constitutionnelle de 2002 s’illustre aussi à travers le décret de nomination du Président de l’Université de Lomé qui vise ni plus ni moins la Constitution du 14 octobre 1992.

La référence à la Constitution du 14 octobre 1992  dans le décret N° 2016-065/PR

Ce qui surprend l’observateur à la lecture du décret n°2016-065/PR du 11 mai 2016 portant nomination du président de l’Université de Lomé tel qu’il est publié à la page 36 du numéro spécial du journal officiel de la République togolaise en date du 20 juin 2016 (numéro 21, 61e année), c’est, d’une part, le tout premier visa et, d’autre part, le titre et grade du Président contenu dans l’article 1er.

En effet, le premier visa du décret vise expressément « la Constitution du 14 octobre 1992 ». On ne peut donc que s’étonner du fait que l’on continue de viser en 2016 la Constitution de 1992 comme si il n’y en a jamais eu de révision en 2002, alors même que la Constitution actuellement en circulation est officiellement titrée ainsi qu’il suit : « La Constitution de la Ive République, adoptée par référendum le 27 septembre 1992, promulguée le 14 octobre 1992 révisée par la loi n°2002-029 du 31 décembre 2002 ».

En choisissant de dater la Constitution que l’on vise, on s’oblige à s’en référer aussi bien à sa lettre qu’à son esprit. Or tout le monde sait que la Constitution de 1992 prévoyait très clairement l’élection des Présidents des Universités du Togo et que c’est la révision constitutionnelle de 2002 qui en a formellement supprimé le principe.

« L’autre chose qui surprend dans ce décret, c’est que le président togolais peut signer des actes réglementaires sur la base d’informations inexactes »

Le visa de ce décret aurait donc dû être libellé ainsi qu’il suit : « vu la Constitution du 14 octobre 1992 révisée par la loi n°2002-029 du 31 décembre 2002 » ou encore, plus vaguement : « vu la Constitution de la IVeme République » ; ainsi vaguement formulé, ce visa suggérerait une référence au texte initial ainsi qu’à toutes les modifications intervenues ultérieurement. Aucune explication ne peut convaincre du contraire. On peut donc considérer que le décret n°2016-065/PR portant nomination du président de l’Université de Lomé viole la Constitution.

Usurpation

L’autre chose qui surprend dans ce décret, c’est que le Président de la République du Togo peut signer des actes réglementaires sur la base d’informations inexactes. En effet, dans l’article premier dudit décret, le Président de l’Université de Lomé est présenté comme un « professeur titulaire en droit public et sciences politiques ». Or ce titre n’existe plus au CAMES depuis 2009, année où le concours d’agrégation de sciences politiques a été créé.

Depuis lors, même si au Comité Technique Scientifique (CTS) du CAMES, le droit et la science politique continuent de siéger anormalement ensemble, il n’en demeure pas moins que les Titres sont désormais séparés et que l’on est juriste ou politologue, mais plus les deux à la fois. 

Le Président de l’Université de Lomé ayant été titularisé en 2014, ne peut plus porter le titre de « Professeur de droit public et de sciences politiques ». Se faire passer en 2014 pour un « Professeur de droit public et de science politique » est constitutif d’une « usurpation de titre et de grade ». En revanche, il est, et cela est incontestable, un « Professeur titulaire de droit public ». Et rien que pour ne pas officialiser cette « usurpation de titre et de grade », le décret n°2016-065/PR doit être repris ; la modification du visa vient renforcer ce besoin.

Au total, cette situation des Présidents des Universités du Togo nous fait toucher du doigt l’éthique de l’intellectuel. L’élection des Présidents d’Université est une quête universelle des Universitaires ; il est sans doute plus respectable et plus prestigieux pour un Président d’Université d’être élu plutôt que d’être nommé. Et même si le Président de la République a une préférence pour un candidat plutôt qu’un autre, il lui suffit juste de l’aider discrètement à se faire élire et ainsi, les apparences seront sauves.

Victor Prudent TOPANOU

Maître de conférences de Science politique

Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

Ancien Garde des Sceaux

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