West Africa Leaks : Erévan Bénin, un hypermarché aux ramifications offshores

Jean-Luc Tchifteyan, Conseiller du commerce extérieur de la France au Bénin depuis 1998 et Directeur général de l’hypermarché Erévan, a utilisé les services du cabinet Mossack Fonseca de Panama pour créer des ramifications offshores avec certains de ses fournisseurs.

La première enquête exclusive de « Bénin Web Tv », sur les fuites de données du cabinet panaméen Mossack Fonseca a permis de découvrir que Monsieur Jean-Luc Tchifteyan, fils de Marcel Tchifteyan, consul honoraire de l’Arménie près le Bénin, a utilisé la société offshore, Wagner Corporation, dont il est l’unique Ayant droit économique (ADE) et titulaire, pour encaisser des commissions étroitement, et uniquement, liées aux activités de l’hypermarché Erévan, connu au Bénin pour sa réputation de centre commercial de référence de plus de 30.000 produits disponibles en permanence, dans toutes les gammes et toutes les marques.

Né en 1961 à Cotonou, Monsieur Jean Luc Tchifteyan est le Directeur général du Groupe Tchifteyan composé de quatre sociétés : Matériaux Bénin, la Société béninoise de peintures et de colorants (Sobépec), le complexe hôtelier Casa del Papa à Ouidah et Erevan Bénin. Avec une gamme de produits variés et diversifiés (alimentation, textile, équipement, parapharmacie, parfumerie et cosmétique, électroménager, jouets, etc.), Erévan Bénin dispose de trois espaces commerciaux à Cotonou (super U aéroport, super U Akpakpa et U express Ganhi) qui entretiennent des relations d’affaires avec plus d’une centaine de fournisseurs en Afrique et dans le monde.

Vue partielle des rayons du super U aéroport. @ Erévan

Des documents confidentiels révélés par les « Panama Papers » que nous avons pu voir, il ressort que des commissions ne dépassant pas la somme de 100.000 euros (environ 65,595 millions de francs cfa) sont versées à la société Wagner Corporation par certains des fournisseurs avec lesquels Monsieur Jean-Luc Tchifteyan travaille pour l’hypermarché Erévan au Bénin.


Courrier confidentiel notifiant le paiement de commissions à la société Wagner Corporation par les fournisseurs d’Erévan

Selon les inspecteurs des impôts du Bénin que nous avons contacté dans le cadre de notre enquête, cette pratique, contraire aux dispositions fiscales en vigueur dans le pays, dénote de la fraude fiscale. « Par cette pratique, la société peut augmenter artificiellement ses charges d’exploitation dans le but de réduire ses marges bénéficiaires imposables », a expliqué un inspecteur des impôts qui a requis l’anonymat.

Fraude fiscale, un phénomène mondial dont l’Afrique est la proie facile !

Créée en mai 2005 par le cabinet Mossack Fonseca avec la collaboration de Madame Myriam Regnicoli, banquière d’affaires à BSI Monaco (France) et amie personnelle de la famille Tchifteyan, Wagner Corporation est une société-écran inscrite au registre panaméen. Un certificat d’agent enregistré délivré le 31 janvier 2014 par Madame Josette Roquebert, avocate panaméenne et membre du « petit comité » du cabinet Mossack Fonseca, stipule que Wagner Corporation a accordé une procuration valide en faveur de Monsieur Jean-Luc Tchifteyan le 8 juin 2005. Ce qui fait de lui, le seul véritable propriétaire de la société.

Certificat d’agent enregistré délivré à Monsieur Jean Luc Tchifteyan

Selon le Professeur Nicaise Mèdé, agrégé de droit à l’Université d’Abomey Calavi (Bénin) et spécialiste des questions de droit fiscal, il est de notoriété publique dans les pays africains que les multinationales détiennent des comptes offshores. « Par un système de triple facturation (facture des fournisseurs, facture douane, facture de la centrale d’achat de l’entreprise – ndlr), les multinationales font perdre plusieurs centaines de milliards de francs cfa aux administrations fiscales de pays africains. Les comptes offshores servent à ces fins. C’est de la fraude fiscale. Mais parfois, ces multinationales font de la maximisation fiscale favorisée par les failles de la réglementation fiscale », a-t-il expliqué.

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Pour Monsieur Alex Cobham, Président directeur général de Tax Justice Network (un organisme à but non lucratif), des fuites de données comme le « Panama Papers » confirment que le secret offshore n’est pas une activité marginale, mais un problème systémique et global. « Les grandes entreprises et les élites riches esquivent impunément les impôts et leurs obligations envers la société, avec le soutien des plus grandes banques, comptables et avocats », a-t-il expliqué. Les recherches de l’ONG Tax Justice Network confirment que les pays à faible revenu supportent une part disproportionnée du fardeau de l’abus fiscal mondial.

« En général, le secteur du commerce de détail en Afrique a longtemps été soupçonné de présenter un risque élevé de blanchiment d’argent », a déclaré Monsieur Alvin Mosioma, économiste de développement et Directeur exécutif de Tax Justice Network Africa. « Dans les pays où les lois et les contrôles anti-blanchiment sont faibles, le secteur du commerce de détail peut être utilisé pour masquer les sources de revenus par des transactions quotidiennes, comme dans les supermarchés », a-t-il expliqué.

Jean Luc Tchifteyan dans l’omerta

Dans le cadre de notre enquête, nous avons donné l’occasion à Monsieur Jean Luc Tchifteyan de se prononcer sur nos découvertes. A ce titre, le 20 avril 2018, nous avons adressé un courrier électronique à Monsieur Jean Luc Tchifteyan pour avoir sa version sur ses liens avec la société Wagner Corporation, révélés par les fuites de données du cabinet panaméen Mossack Fonseca.

« Avez-vous déclaré votre intérêt dans Wagner Corporation aux autorités béninoises ? Avez-vous déclaré le compte à BSI de Wagner Corporation aux autorités béninoises ? Pourquoi avez-vous utilisé Wagner Corporation pour recevoir des commissions auprès de certains fournisseurs à l’hypermarché Erevan ? Le Quai d’Orsay est-il informé de vos liens avec la société Wagner Corporation ? », ce sont, entre autres, les questions que nous avons adressées à Monsieur Jean Luc Tchifteyan après nos multiples démarches infructueuses dans le cadre de cette enquête.

N’ayant reçu de réponses à aucune de nos questions, nous avons adressé le 27 avril 2018 un autre courrier à Monsieur Jean Luc Tchifteyan. Ce courrier qui porte la mention : « privé et confidentiel » a été déposé dans l’après-midi du 27 avril à la réception de l’hypermarché Erévan d’Akpakpa (Cotonou Est). Dans ce courrier, Monsieur Jean Luc Tchifteyan, comme dans le courrier électronique, était prié de donner sa version sur ses liens avec la société Wagner Corporation, révélés par les fuites de données du cabinet panaméen Mossack Fonseca. Mais rien n’y fit.

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Informés de notre démarche infructueuse, nos partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont, eux aussi, tenté, mais en vain, de joindre Monsieur Jean Luc Tchifteyan. Dans une correspondance en date du 14 mai 2018, ils nous ont fait savoir que Monsieur Jean Luc Tchifteyan n’a répondu ni à leurs courriers ni à leurs appels.

Nous avons donc pris l’initiative de confronter, devant caméra, Monsieur Jean Luc Tchifteyan à nos questions à sa sortie de bureau ou du domicile ou encore dans la rue. Mais des informations, reçues de ses services compétents, il aurait voyagé sur la France depuis quelques jours. Seule la justice béninoise pourra donc faire sortir Monsieur Jean Luc Tchifteyan de son omerta sur cette affaire.

Cette enquête a été menée dans le cadre du « West Africa Leaks », la plus grande collaboration des journalistes (15 journalistes de 11 pays) de la région ouest africaine avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et la Cellule Nobert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

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