Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 85

On ne peut comprendre l’enjeu des élections présidentielles de 2006 en pays bariba qu’en prenant en considération les nombreux murmures de frustration qui s’y exprimaient de plus en plus vers la fin du long règne politique du Général Mathieu Kérékou.

Les cadres politiques et autres intellectuels baribas étaient de plus en plus nombreux à non seulement penser, mais à exprimer, en petits comités, leur envie de tourner enfin la page Kérékou. Il suffit de consulter les résultats électoraux du candidat Saca Lafia aux présidentielles de 2001 face au mastodonte Kérékou, pour se rendre compte du fait qu’un vieux abcès commençait à suinter. C’est vrai qu’au plan national, l’homme de Pèrèrè ne fit guère qu’autour de un pour cent des suffrages exprimés.

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Mais, la meilleure façon de lire le résultat de Saca Lafia, qui battit campagne sur un discours très ethno-centré face à Kérékou, serait de le rapporter à l’électorat strictement bariba. Et là, une toute autre lecture apparaît. L’affrontement fut rude entre Saca Lafia et Kérékou, contrairement à la perception qu’on avait pu en avoir de Cotonou. Ce n’était d’ailleurs pas pour rien que le vieux caméléon finit par perdre son sang-froid en pleine campagne électorale, en servant à Saca Lafia cette amabilité restée célèbre : « le bouvier ». Ce qui, je l’avais développé dans un précédent épisode, est loin d’être superficiel comme attaque.

Je n’ai pas fait spécifiquement les calculs, mais il apparaît que les suffrages de Saca Lafia obtenus essentiellement en milieu bariba exprimaient ouvertement, et pour la première fois, une défiance vis-à-vis de celui dont le règne sur l’électorat du septentrion était jusque-là sans partage. Y avait-il un désamour entre Kérékou et les Baribas ? Ils étaient en tout cas de plus en plus nombreux, cadres politiques et leaders d’opinion baribas, à l’affirmer en privé, même si publiquement ils continuaient, dans leur grande majorité, à faire bonne figure et à soutenir le fils de Kouarfa.

Beaucoup d’anecdotes plus ou moins vérifiables étaient souvent évoquées pour illustrer les rapports très complexés qu’aurait le Général avec les Baribas et qui n’étaient pas à isoler des rapports de condescendance historiques et culturelles qu’entretenaient les Baribas avec les peuples de l’Atacora, désignés sous le nom générique de « Somba », avec une grande connotation péjorative.

La perspective de son départ en 2006 libérait donc en milieu bariba, une énergie que Yayi capta assez facilement. Le terrain était prêt et n’attendait que la semence. Bien évidemment, tout le monde, en milieu bariba, ne prit pas au sérieux les apparitions répétées de Yayi, en tenue traditionnelle « tako », à Nikki, à Bembèrèkè, à Kouandé, à Banikoara, entre 2002 et 2005.
Mais, les leaders baribas finirent par faire preuve de realpolitik, en considérant que ce nagot qui se déguisait en bariba était encore la meilleure solution pour eux de retrouver leur splendeur et de soigner leurs longues années de frustration politique.

L’ambiance à Sinendé en ce huitième jour de campagne électorale était donc prévisible. Le couac que fut le refus de Soulé Dankoro de nous recevoir ne changea rien à la tendance générale.

Les relations entre le colonel Dankoro et Yayi étaient pourtant parties pour être des plus excellentes. Je me rappelle encore les visites que Yayi lui rendait à son domicile de Godomey, quand il revenait de Calavi, où Saka Kina, en fin psychologue, le tournait en rond. Dankoro, qui poursuivait sa traversée de désert après avoir affronté sans succès le Général Mathieu Kérékou à Sinendé en 2001, accueillit d’abord avec indifférence, puis avec une certaine bienveillance, les ambitions présidentielles du président de la Banque ouest-africaine de développement.
Puis, progressivement, les relations entre les deux hommes se refroidirent.

Nous repartîmes donc de Sinendé, remontâmes sur le goudron au niveau de Bérouboué, puis mîmes plein cap sur Kandi, en traversant péniblement les villages baribas sur notre itinéraire. La voie, systématiquement barrée par des troncs d’arbres, obligeait le candidat à marquer de courts arrêts pour des meetings improvisés où tonnait le sacré refrain que j’entendais depuis le matin et qui finissait de façon cadencée par « …Yayi Boni ». Ce single de l’artiste Bourousman, inconnu à Cotonou, faisait en pays bariba l’effet d’une ode fusionnelle. Nous traversâmes Bembèrèkè où Yayi avait déjà tenu meeting dans la journée, puis atteignîmes Kandi dans la nuit.

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Les populations qui y patientaient depuis midi, s’égayèrent subitement. À Kandi ici, Yayi se sentait comme à Tchaourou. Il y avait fait une partie de sa carrière d’enseignant et y entretenait un dense réseau d’amis. Ses rapports avec certaines familles à Kandi étaient profondément affectueuses et je me rappelle que nous ne manquions pas de rendre visite à la famille Yérima chaque fois que nous nous y rendions. Je ne fus d’ailleurs pas surpris plus tard, de voir la promotion d’un des jeunes de la famille, Patrick, à un poste ministériel.

À Kandi, Yayi eût pu compter sur le soutien de Ramathou Baba-Moussa que nous démarchâmes assidûment par maintes visites de courtoisie à son domicile de Porto-Novo et qui fut un soutien des premières heures. Mais, elle ne fut finalement pas assez présente dans la phase active de cette effervescence électorale. À Kandi, Yayi eût put avoir Saka Kina comme une épine dans la plante des pieds. Mais, ce soir-là, le plus grand tribun politique du septentrion était six pieds sous terre. C’est pourtant en son nom que nous fîmes stade comble, malgré notre retard sur le programme.

Eh oui, Saka Kina était encore vraiment influent à Kandi. Il y avait surtout comme pilier du yayisme à Kandi, le maire Allassane Séidou. Une ou deux fois, nous passâmes déjeuner chez lui dans sa résidence de maire. C’était, je crois, en 2004. Son engagement politique derrière nous ne souffrait déjà d’aucun doute.

Le meeting fut long et épuisant pour moi. N’oubliez pas que j’étais sur pied depuis cinq heures du matin et que j’avais fait la veille le trajet Natitingou-Cotonou. Heureusement que Macaire Johnson, qui était au volant de la « Carina 3 », méritait bien ce surnom de « bulldozer » par lequel Yayi le désignait. C’était une force de la nature. Il paraissait infatigable et transpirait quel que soit le niveau de la climatisation de la voiture.

À la fin du meeting, Yayi insista pour aller dîner chez Dèré, une de ses cousines. Une partie du cortège le suivit, dont nous. C’était enfin un moment de détente. Yayi m’aperçut dans la demi-obscurité, se leva, prit mon bras, puis m’entraîna hors de la concession. Quelques gardes, affolés, nous emboitèrent le pas, mais gardèrent une distance suffisante pour nous laisser parler à deux. « Tiburce, tu penses qu’on va gagner ? », me demanda-t-il. « Je crois que cette affaire est pliée », lui répondis-je. Je comprenais le sens de sa question. Il avait besoin de s’entendre dire ce qu’il pense par quelqu’un d’autre pour mieux s’assurer de son évidence. Il fit un soupir, puis, sans mot dire, me re-entraîna dans la concession.

Il sonnait près d’une heure du matin quand nous quittâmes Dèré. Le lieu retenu pour l’hébergement du cortège se révéla trop petit. Chacun pour soi, nous tournâmes longuement dans la nuit de Kandi où toutes les auberges affichaient complet. Nous finîmes, autour de deux heures du matin, à trouver enfin un sommeil réparateur.

À sept heures le lendemain, nous étions au lieu du rassemblement général. Le cortège me paraissait de mieux en mieux organisé. Il y avait de plus en plus d’hommes en armes avec nous. J’aperçus Charles Toko en forte discussion avec le noyau de soldats chargé de la sécurité. Bachirou Agani m’invita à rejoindre le débat. La sécurité se plaignait de la position occupée dans le cortège par le véhicule des pasteurs. Ceux-ci tenaient, en effet, à se mettre immédiatement derrière la voiture de Yayi, ce qui, selon les plaintes de la sécurité, rendrait impossible toute réaction en cas d’attaque sur la voiture de Yayi. « TiRbuce, parle à tes pasteurs, qu’ils aillent dans leurs églises », me lança Charles, railleur comme d’habitude, sur ce genre de thématique. « Dites-le-leur vous-même », répliquai -je, en me retirant du petit groupe.

Les véhicules, partis faire le plein de carburant en ville, revinrent. Je retournai m’asseoir dans la « Carina 3 ». Nous attendons tous que Yayi sorte. Il est en prière avec un groupe de pasteurs dirigés par le pasteur Michel Alokpo. Aujourd’hui samedi, neuvième jour de campagne électorale, notre chemin est prévu pour être particulièrement long et éprouvant. Nous partons à Ségbana, chez Bani Samari.

Tiburce Adagbè

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