Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 87

Nous voici donc à Nikki, épicentre de la culture baatumbou. Mon premier séjour dans cette ville remontait à dix ans en arrière, au milieu des années 90. C’était à l’occasion d’une fête de la Gaani. J’étais en faculté de géographie et avait profité de l’occasion qu’offrait le bureau du Front des élèves et étudiants pour le développement économique du nord, FREDEN, pour étancher ma soif de connaissance de la culture bariba. Il faut dire que je ne fus pas déçu.

Le groupe des étudiants que nous étions à cette édition de la célébration de la fête de la Gaani était particulièrement choyé. Nous avions accès à toutes les étapes de la cérémonie et bénéficiions des services d’un guide de luxe, le professeur Léon Bio Bigou, grand passionné de la culture bariba. Quand je vins à Nikki pour la seconde fois, c’était en 2003, en compagnie du président de la Banque-ouest africaine de développement, Yayi Boni, qui posait son premier jalon visible dans la conquête du milieu bariba.

La Gaani, cette célébration du triomphe de l’animisme bariba sur l’islamisation forcée que tentaient d’imposer par les armes des troupes venues du nord du Nigéria, rassemblait en effet, chaque année à Nikki, l’essentiel de tous ceux qui comptaient dans le milieu bariba. Mais, cette première exhibition de Yayi en tenue traditionnelle bariba lui laissa une profonde frustration. La froideur et même l’indifférence de la tribune officielle où étaient déjà assis les cadres et élites baribas lui montraient l’immensité du défi qu’il avait à relever pour effacer cette silencieuse accusation d’imposteur culturelle qu’il lut dans beaucoup de regards ce jour-là à Nikki. Nous en parlâmes longuement sur le chemin de retour.

S’installer comme leader politique unique du septentrion, sans l’aval des Baribas, est mathématiquement et culturellement impossible. Et si le destin national de Kérékou n’avait pas pris par l’armée, il n’aurait mérité, au mieux, qu’une bienveillante condescendance de l’élite bariba qui ne l’aurait pris autrement que comme un « Somba ». Mais, le contrecoup à mon avis, est qu’il est très difficile pour un leader politique authentiquement et exclusivement bariba de faire accepter son leadership politique par les autres entités socio-ethniques du septentrion. Les susceptibilités ont la peau dure.

Ce qui paraissait évident, c’est qu’une des grandes clés de la stratégie de conquête du pouvoir par Yayi en 2006 se trouvait donc en pays bariba. Il en fut si conscient qu’il décida audacieusement de livrer bataille. Et on pouvait dire, vu la mobilisation au stade communal de Nikki ce samedi, neuvième jour de campagne électorale, qu’il avait gagné, sans fioritures, son challenge.

La foule, immense, trépigne à son apparition, accompagné du maire Adam Boni Tessi, tous deux habillés en princes wassangaris. Cette foule de Baatombous, de Peulhs et de Boos, s’identifiait désormais à lui. Ici aussi, tout se joua autour de la chanson de l’artiste Bourousman, « aourama…aourama… aourama…Yayi Boni ». Je ne savais pas avec précision ce que disait la chanson, je ne sais même pas si je viens de bien en transcrire la phonétique. Mais, c’était facile à voir les postures de danse dans lesquelles la chanson mettait le public, qu’il devrait s’agir d’un message supplicatif. Hommes, femmes, jeunes, vieux et chevaux bénirent et adoubèrent notre candidat ce jour-là à Nikki.

Le cortège s’ébranla ensuite vers Pèrèrè, pour défoncer une porte déjà si largement ouverte. De là, il nous eût été plus pratique de rejoindre Parakou, en perçant par Guinangourou. Mais, une forte délégation venue de N’Dali obtint que le cortège retraversât Nikki pour rejoindre la voie bitumée au niveau de N’Dali où, dit-on, les populations nous attendaient depuis deux jours. Mais, ce qui m’excitait surtout, c’était la perspective du meeting de Parakou qui était prévu en milieu d’après-midi ce même samedi.

Une fois à N’Dali, Macaire Johnson et moi décidâmes d’abandonner le cortège et d’aller attendre à Parakou. Ce faisant, nous pûmes nous donner un peu de repos au siège de campagne de Parakou, situé au bord de la voie inter-Etats, à l’entrée nord de la ville, dans le quartier « Guêma ». Souvenez-vous que c’était de là que nous étions partis, il y avait seulement vingt-quatre heures.

Le siège, à cette heure, était quasiment vide. Et cela se comprenait. Toutes les énergies s’étaient déportées vers la grande place derrière la place « Bio Guerra », derrière le CEG1, actuellement CEG-Hubert Maga, où un podium géant était dressé pour le meeting.

Le cortège ne tarda pas à rentrer dans Parakou. Nous nous y insérâmes. Sous les vivats des populations riveraines, le cortège traversa lentement le quartier « Transa », fit le rond-point en face de l’ancienne « Alimentation générale du Bénin, AGB » puis, au lieu de foncer en ligne droite vers la place « Bio Guerra », bifurqua à droite, en face de la préfecture, pour rejoindre le petit rond-point entre la mairie et l’ancienne gare routière. De là, il tourna à gauche, en direction du centre départemental hospitalier.

L’itinéraire avait été pensé avec précision de manière à rameuter la population, en traversant des zones populeuses. Et l’effet ne rata pas. Je me souviens de ce fleuve humain qui se forma spontanément sur cet axe qui m’était si familier.

Notre cortège avançait avec beaucoup de peine. Je reconnus avec beaucoup d’émotion ce petit carrefour entre la petite mosquée du quartier « Laadji farani », le quartier « Cobè » connu dans mon enfance pour abriter les plus durs contrebandiers de l’essence frelatée que les Dendis appelaient « sensi fayaô », et mon quartier Yèbouberi.

L’effervescence de ce jour-là me rappela celle qui enflamma Parakou un jour du milieu des années 80, lors du retour triomphal des « Buffles du Borgou », après leur sacre national au stade de l’Amitié de Kouhounou, face à l’équipe de l’Université nationale du Bénin. Oui, le football était la première religion à Parakou et les joueurs de l’équipe des « Buffles du Borgou » étaient des stars.

Dans cette équipe, les noms de joueurs étaient généralement une combinaison entre Alassane, Abdoulaye, Mohamed. Il s’y trouvait par exemple deux ou trois Alassane Mohamed, deux ou trois Abdoulaye Mohamed dont les plus célèbres avaient pour pseudonymes « Petit Sory », certainement en référence à un Sory d’une équipe de football malienne ou guinéenne, et « Sifroid », parce qu’il travaillait dans l’unique société de fabrication de barres de glace de la ville, appelée « Sifroid ». Il y avait bien entendu quelques noms allogènes dans l’équipe, comme le gardien de but Eusèbe Nougbognonhou et le latéral gauche Ferdinand Boyer.

Les « Buffles du Borgou », c’était notre « FC Barcelone », c’était notre « Real Madrid », c’était plus que tout ça à la fois. La passion du football à Yèboubèri était telle qu’aucun de mes mots ne peut ici en rendre compte très fidèlement. Et il n’y avait pas meilleur endroit pour faire le débriefing des matchs de foot du championnat national du Bénin, que le banc du coiffeur du quartier. Les débats y étaient parfois si enflammés qu’ils dégénéraient en échanges d’amabilités, surtout quand « Baa Sanni », le vieux hooligan, venait s’asseoir. Il y avait, à deux pas de mon pâté de maisons, un passionné de football qui se faisait appeler « Bolago Séverin », par allusion à son illustre idole de la radio nationale dont il était fan jusqu’à la déraison.

Yèboubèri, c’était aussi les « grands frères » à qui nous vouions respect et qui nous le rendaient si bien lorsqu’un jeune du quartier se trouvait impliqué dans une bagarre hors du territoire du quartier. Le plus charismatique de ces « grands frères », c’était Abiboulaye Baparapé, un solide gaillard. Je le revis plus tard, en 2007, à Gbégamey à Cotonou, où il accompagna un de ses camions. « Toi, me dit-il en dendi, n’oublie jamais que tu es un enfant de Yèboubèri.Tu es un des nôtres ». Je pris la pleine mesure de sa déclaration en 2008, à l’enterrement de mon père à Abomey. Une partie de Yèboubèri convergea à Dokpa-Toïzanli à Abomey, par camions entiers, dans des conditions de voyage exécrables.

Je sens toujours l’esprit du « grand frère » éternel chez Mohamed, chaque fois que je me rends chez lui , dans les ateliers de couture « Grand Boubou », sur l’esplanade du stade de l’Amitié. C’était nos aînés au quartier.

Yèboubèri, c’était les célèbres « pains Baba-Moussa » qui sortaient chaque matin des fourneaux de la mère de Charles Toko et pour lesquels les enfants du quarter feraient n’importe quelle folie. Yèboubèri enfin, c’était les amourettes presque impossibles entre le « Quasimodo » Rachidi Gbadamassi et quelques « Esmeralda » rétives. Mes soeurs en parlaient avec passion.

En traversant le quartier « Cobè » ce samedi, je repense à un ami d’enfance que je n’avais plus jamais vu, Adambi Moutawkil, mais à qui me faisait toujours penser le faciès du jeune maire de la ville de Parakou, Samou Adambi, qui était d’ailleurs aux manettes pour ce meeting. J’avais fait la classe de CE1 avec Moutawkil et nous formions avec un autre ami, Ismaël Lawani, déjà féru de bandes dessinées, le trio de tête d’excellence de cette classe d’une centaine d’écoliers.

Le cortège progresse péniblement. Ce meeting est prévu pour être le plus géant dans le septentrion. Le pouvoir est désormais à portée de main.

Tiburce Adagbè

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