Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode 95

Il était dix heures environ, ce lundi, onzième jour de campagne électorale, lorsque notre cortège franchit le pont de Porto-Novo. L’atmosphère à l’entrée de la ville était lourde et une certaine tension était palpable. Des badauds, massés dans la zone de l’arrêt des taxis, un peu avant le premier rond-point, brandissaient des posters de Adrien Houngbédji, en nous faisant des signes d’hostilité. C’était bien la seconde fois que nous rentrions dans Porto-Novo en moins de deux mois. La première fois, souvenez-vous, c’était à l’occasion du lancement officiel du projet de société de notre candidat, en janvier.

Pour en rajouter à la défiance, l’événement avait été organisé au domicile du président Sourou Migan Apithy, à quelques pas de celui de Adrien Houngbédji, au quartier Adjina. Le symbole était d’autant plus fort que le candidat du PRD avait bâti sa carrière politique post-conférence nationale sur les traces du président Apithy dont il revendiquait l’héritage. D’ailleurs, le sigle du parti PRD est une reprise du PRD du patriarche Apithy, même si les définitions diffèrent : Parti du Rassemblement Dahoméen pour Apithy, Parti du Renouveau Démocratique chez Houngbédji. Mais, toujours le PRD.

C’était plutôt un coup de génie et Houngbédji devint très rapidement l’héritier politique de Sourou Migan Apithy en établissant son leadership sur le bloc politique sud-est du Bénin. Un bloc politique qui, jusqu’en 1999, couvrait tout l’ancien département de l’Ouémé, c’est-à-dire les actuels départements de l’Ouémé et du Plateau. Un attelage ethnique « goun-yorouba-nago-tori » que le leader du Parti du Renouveau Démocratique a appris à gérer en se servant de certaines têtes de pont dont le plus emblématique fut Moucharaf Gbadamassi, dont l’influence dans le milieu yorouba fut un des grands piliers de l’enracinement géopolitique du parti.

La gestion de l’ambivalence « Goun-Yorouba » continue d’être, à ce jour, le moteur du fonctionnement du parti. La création, à la fin des années 90, de l’association de développement « Olatédju », qui se transformera très vite en un parti politique, le MADEP, sous la coupole de l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, marque l’amputation de l’aile nagot du PRD. On ne pouvait pas ne pas voir derrière ce schisme l’habileté du marionnettiste Kérékou dont le leader du PRD était devenu un des opposants après sa démission inattendue du poste de premier ministre qu’il occupa dans le premier gouvernement du Général Mathieu Kérékou en 1996.
Je rappelle qu’à ce poste, Adrien Houngbédji avait eu pour directeur de cabinet un certain Pascal Irénée Koukpaki, qui d’ailleurs, dans le cadre de cette élection présidentielle de 2006, était la tête pensante du volet économique de son projet de société.

Dans son ascension à la position de leader du bloc politique sud-est, Adrien Houngbédji se fit une inimitié inextinguible avec celui qui deviendra une éternelle épine dans son talon, le professeur Albert Tévoédjrè. Rancunier, intrigant et dur à cuir, celui qui porte au mérite le surnom de « renard de Djrègbé » n’a jamais digéré son humiliante éviction de l’échiquier politique du sud-est du Bénin. C’était à l’issue des élections législatives de 1995, avec l’introduction, dans la compétition politique, du discours ravageur de l’argent.

Tévoédjrè n’était pourtant pas l’adversaire à se faire quand on voulait dormir tranquille. Les gens de ma génération ont découvert ce personnage unique à la cérémonie de clôture de la conférence nationale de février 1990. Le verbe haut et flamboyant, le rapporteur des historiques assises lut un texte d’une telle beauté que certains enseignants n’hésitèrent pas à en exiger la connaissance par cœur à leurs élèves. J’étais en classe de Troisième, au CEMG1 de Parakou, et nous étions pris par tout ce déferlement de talent oratoire qui marqua le paysage politique. Les débats politiques sur les écrans de la télévision nationale étaient suivis avec la même excitation que nous eûmes face aux matchs de football des « Lions indomptables du Cameroun » à la coupe du monde de 1990, organisée en Italie.

Les discoureurs et les sophistes les plus visibles étaient membres du parti « Notre Cause Commune », NCC, et Albert Tévoédjrè apparaissait naturellement comme un leader politique majeur qui exerçait énormément d’influence sur les milieux intellectuels. Je n’oublierai certainement pas de si tôt le pied de grue que je fis en 1991, devant la salle de conférence de la « Maison de l’alphabétisation » de Parakou, pour écouter celui qui, en présentant le rapport général de la conférence nationale, avait lancé, triomphal, « Nous avons vaincu la fatalité ! ». Malgré ses deux heures de retard, il nous infligea deux heures de discours que nous écoutâmes avec bonheur. C’était la première campagne électorale présidentielle du renouveau démocratique, et Tévoédjrè faisait déjà montre d’une créativité rare en matière de concepts dont le moins connu n’était pas le « Minimum social commun ».

Bien entendu, il n’y avait ni Coca-Cola ni sandwichs à la fin des meetings, et nous rêvions tous de devenir aussi érudits que les Gratien Pognon, Ambroise Adanclounon, Jean-Marie Zohou et ces autres grosses pontes de l' »Union pour le Triomphe du Renouveau », UTR. Beaucoup de gens de ma génération ont pris le virus du Droit et sont aujourd’hui magistrats, avocats, professeurs de Droit, rien qu’en suivant sur les écrans de la télévision nationale un certain Charles Djrèkpo. J’ai dévoré, autant que je pouvais, la littérature classique française. Le « Cahier de retour au pays natal » de Aimé Césaire, remis au goût du jour par les références très courantes que faisait le président Nicéphore Soglo à l’un des textes majeurs de l’intellectuel martiniquais, devint notre livre de chevet. Je crois que j’ai eu la chance de faire mon adolescence dans cette période charnière d’émulation intellectuelle.

C’était donc sans surprise que Albert Tévoédjrè, candidat à cette première élection présidentielle, occupa une honorable troisième place, avec plus de onze pour cent des suffrages exprimés. Mais, calculateur, il refusa de donner des consignes de vote pour départager Mathieu Kérékou et son premier ministre Nicéphore Soglo, tous deux qualifiés pour le second tour.

Il eut bien tort. Car, ce centrisme déplut profondément à la plupart de ses admirateurs intellectuels qui étaient majoritairement pour une alternance au sommet de l’État, après 17 ans de règne ininterrompu du marxisant Mathieu Kérékou.
Mais, c’est au cours des élections législatives de 1995 que l’éclectique « renard de Djrègbé » perdit de sa superbe face à l’introduction de la puissance de l’argent dans la compétition politique au Bénin, par Adrien Houngbédji. Ce cancer dont le Bénin ne s’est toujours pas remis à ce jour projeta le leader du PRD sur les devants de la scène politique nationale, en tant que troisième homme après Kérékou et Soglo.

Mais, je l’ai déjà écrit, une des caractéristiques fondamentales de « l’Histoire », c’est sa tendance à se répéter. En appelant à voter pour le candidat Mathieu Kérékou au second tour de l’élection présidentielle de 1996, au détriment de Nicéphore Soglo dont il causa la chute, Adrien Houngbédji réveilla une inimitié qui sévit entre Béhanzin et Toffa, les Fons et les Gouns, Ahomadégbé et Apithy. Il se mit définitivement l’électorat fon contre lui. Son ralliement à Soglo aux lendemains des législatives de 1999 n’y changera rien. Son influence politique s’arrêta toujours à l’est du chenal de Cotonou.

Mais, le pire pour lui, c’est que Albert Tévoédjrè et Issa Badarou-Soulé ont décidé, pour cette élection présidentielle de 2006, de servir d’éclaireurs à Yayi Boni, dans le département de l’Ouémé. Plus que le meeting de ce lundi qui se tint à « Houinmè », non loin de la place « Catchi », et qui rassembla une foule honorable, c’est des rapports, inconnus du grand public, entre Yayi Boni et Issa Badarou-Soulé qu’il convient que nous parlions…demain !

Tiburce Adagbè

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