Bénin – Dans les méandres du pouvoir Yayi : Mémoire du chaudron épisode épisode 96

Pour le plus grand malheur de Adrien Houngbédji, Albert Tévoédjrè, vindicatif, se souviendra longtemps de cette humiliante sortie de scène qui lui fut infligée en 1995. Ainsi, le « renard de Djrègbé », dit-on, sera pour beaucoup, dans le pourrissement de l’ambiance au sein de l’exécutif et qui débouchera, en 1998, sur la démission d’un premier ministre qui ne mérita guère mieux, dans l’opinion publique, que le surnom peu flatteur de « premier ministre kpayô ».

Le PRD, Parti du Renouveau Démocratique, se veut fils héritier du PRD, Parti Républicain du Dahomey. Mais, à cette grande nuance près, que le fauteuil présidentiel qu’occupa Sourou Migan Apithy, et qui le fit entrer dans l’histoire, semblait de plus en plus un rêve inaccessible pour Adrien Houngbédji qui, comme en 1996, arriva troisième à l’élection présidentielle de 2001. Il avait certes réussi à se hisser à la présidence de l’Assemblée nationale en 1999, avec le soutien du parti « La Renaissance du Bénin« , RB.

Mais, président de la République, c’était autre chose. Albert Tévoédjrè lancera d’ailleurs très vite les hostilités pour le challenge de 2006, à peine l’élection de 2001 terminée. Le rancunier renard saisit, en effet, l’occasion d’un symposium tenu à Cotonou et auquel prenait part le président de la Banque ouest-africaine de développement, Yayi Boni, pour lui glisser à l’oreille, dans un yoruba passable : « jeune homme, prépare-toi. En 2006, ce sera le tour du centre ».

Vous convenez avec moi que cette déclaration visionnaire du « renard de Djrègbé » n’était pas que le fait d’un analyste surdoué. C’était surtout, à mon avis, une expression de son engagement irréductible à se venger, ad vitam, de cette mise sous boisseau prématurée de sa suprématie politique sur le bloc sud-est. Tout le monde savait de quoi Albert Tévoédjrè était capable, depuis qu’il alla sortir Kérékou de sa retraite sous les filaos, pour le remettre en selle en 1996, contre Nicéphore Soglo.

On se souvient aussi, par exemple, du tintamarre assourdissant qu’il orchestra après que la première dame d’alors, Rosine Soglo, a bénéficié, à hauteur de dix millions, d’une prise en charge d’une opération chirurgicale sur son œil gauche. « Je ne connais, dans ma vie, qu’une seule première dame. Et c’est ma mère ! », avait-il lancé, avec une mauvaise foi à enseigner dans toutes les écoles d’art oratoire, au cours d’un débat télévisé de l’époque, et qui mobilisait toute la résidence universitaire d’Abomey-Calavi, devant les deux postes téléviseurs qui servaient à éveiller la conscience politique des jeunes étudiants que nous étions.

Je ne vivais pas en résidence universitaire. Nous partagions, à trois, une pièce « entrer-coucher », à cinq minutes de marche du campus. Le propriétaire, un instituteur plutôt véreux, n’avait pas hésité à nous louer une des chambres à coucher du bâtiment dans lequel il vivait avec sa famille. Il avait juste perforé une porte dans le mur arrière de cette pièce. Cette porte devint notre porte d’entrée à nous. Quant à la porte entre son séjour et la chambre à coucher qu’il nous mit en location, il ne se donna pas la peine de l’emmurer. Non ! Il nous donna platement la garantie qu’il l’avait fermée à double tour, de l’autre côté.

Nous n’en faisions d’ailleurs pas toute une histoire, car qu’avions-nous à mettre en sécurité ? Cette table à deux chaises, alors que nous étions trois ? Cette provision de haricots que l’un d’entre nous recevait régulièrement de ses parents depuis Banikoara ? L’étui de « gari » que nous délayions, souvent plusieurs fois dans la journée, de préférence sans sucre, pour, croyions-nous, « sortir le palu » de notre corps ? Ou bien cette vieille lampe-tempête qui, parfois, nous lâchait en pleine nuit pour pénurie de pétrole ?

Aucun voleur ne penserait tout de même à nous priver de cet unique tableau qui, d’ailleurs, était toujours rempli de formules chimiques que l’un d’entre nous y gravait en permanence, lui étant étudiant en faculté de « Chimie-Biologie-Géologie ». À moins de nous voler nous-mêmes, aucun voleur n’avait à prendre en cible notre chambre. Ainsi, nous dormions libres. Ainsi, nous dormions heureux. Et si ce n’étaient ces audacieuses souris qui, nuitamment, organisaient la bamboula autour de nos réserves alimentaires en sautillant parfois sur nous, nous aurions un sommeil parfait.

Notre distraction favorite était donc ces émissions télévisuelles que nous allions suivre à la résidence universitaire. Pour rien au monde, nous n’acceptions de rater l’émission, d’abord bimensuelle, puis hebdomadaire, « Un tour de vis », animée sur la télévision nationale par Francis Zossou, qui révéla toute une génération d’artistes, mais aussi de débatteurs politiques de talent. Ma génération est entrée à l’université à un moment où le mouvement étudiant, conduit par un tribun comme Séraphin Agbahoungbata, était à son apogée. C’est dans cette ambiance brûlante que des jeunes comme nous, apprirent, par les œuvres du « renard de Djrègbé », comment, au lieu d’utiliser les dix millions pour soulager nos conditions de vie, le président Nicéphore Soglo avait préféré les utiliser pour opérer l’œil gauche de sa femme. Eh bien, croyez-moi, notre frustration fut bien grande.

Ce Tévoédjrè-là, il fallait ne pas le chercher. Et Houngbédji, pour son grand malheur, comme je l’écrivais tantôt, l’avait contre lui pour cette élection présidentielle de 2006. Mais, il y en avait un autre, plus jeune, qui, sans avoir un compte particulier à solder avec Adrien Houngbédji, n’en deviendra pas moins un des actifs pions du yayisme naissant, dans les départements de l’Ouémé et du Plateau. Il s’agit de Issa Badarou-Soulé, ex-sémillant directeur général du port autonome de Cotonou sous le régime du président Nicéphore Soglo. On se souvient de ce personnage au physique de dandy, qu’il savait rehausser par des costumes sur mesure. Beaucoup de rumeurs circulaient à l’époque sur les pouvoirs mystiques qu’il détiendraient et qui justifieraient sa longévité à la tête du poumon de l’économie nationale qu’était le port autonome de Cotonou.

Le conseiller technique à l’économie du président Soglo qu’était Yayi, en ce temps, n’en menait pas large devant le puissant directeur général du port qu’était Issa Badarou-Soulé qui, secrètement, nourrissait des ambitions présidentielles pour 2001, avec l’hypothèse que le président Nicéphore Soglo, réélu en 1996, serait constitutionnellement forclos en 2001. Ce genre de calcul facile que le retour aux affaires du Général Mathieu Kérékou en 1996 démentira, était aussi pourtant le même que faisait Yayi, qui se voyait aussi succéder à Soglo en 2001. Les deux ambitieux finirent par se parler et se faire des promesses dans le style de la mafia sicilienne : « si ce n’est toi, ce serait moi « .

L’échec de Soglo en 1996 bouleversa les bases du deal, mais les engagements mutuels demeurèrent et Issa Badarou-Soulé, affaibli par ses ennuis judiciaires et tracasseries de tous genres après le retour du Général Mathieu Kérékou, se résolut à admettre que ce serait plutôt à lui de soutenir Yayi pour l’élection présidentielle de 2006. Yayi sut d’ailleurs le faire fonctionner sur cet engagement, autant qu’il le tenait en méfiance. Il n’oubliera jamais que cet ami avait les mêmes ambitions présidentielles que lui. S’il arrivait à un homme de pouvoir de penser à conforter sa position en éliminant quelqu’un, il penserait prioritairement à celui qui l’a vu dans ses faiblesses. L’histoire de l’humanité abonde d’illustrations à ce sujet. Issa Badarou-Soulé, comme tant d’autres, en fera l’expérience. Mais, plus tard.

Pour le moment, le défi à relever était d’assurer à Yayi un triomphe électoral dans les départements de l’Ouémé et du Plateau, et le « Complexe touristique Bimyns », érigé par l’ancien directeur général du port, à quelques encablures de Porto-Novo, devint, à partir de 2005, une base de rencontre de tous les leaders pro-Yayi de toute la région. Collette Houéto, qui sera la première à être virée du gouvernement plus tard, Hélène Aholou Kêkê, François Gbènoukpo Noudégbessi, Robert Tagnon, Tundé, et la liste est loin d’être exhaustive, ne se rendaient pas au « CTA Bimyns » pour admirer le couple de lions qui y était tenu en captivité et dont le rugissement du mâle faillit me donner un jour un ulcère gastrique. Ils s’y rendaient pour peaufiner l’échec électoral d’un autre lion : Adrien Houngbédji. Deux bungalows du centre furent spécialement dédiés à ces activités que Yayi crédibilisait régulièrement par sa présence.

La longue tournée électorale que nous fîmes ce lundi, onzième jour de campagne, dans le département de l’Ouémé, et que nous bouclâmes dans la nuit à Avrankou, nous laissa comme une certitude : nous ne battrons pas Adrien Houngbédji dans son fief.

Mais, contrairement au Couffo, nous y avons un courant appréciable de sympathisants. Dimanche n’est pas loin, et nous pourrons bientôt vérifier tout ça dans les urnes. Mais, en attendant, un autre gros morceau nous attend : Abomey et le département du Zou.

Tiburce Adagbè

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