Campagne cotonnière au Bénin : les non-dits des productions records

La production de l’or blanc a globalement progressé dans les pays de la sous-région avec un accroissement de 5% dans l’Afrique de l’Ouest. Au total donc dans cette région, on enregistre une production de 4,685 millions de balles soit 480 IB en 2017-2018 contre 4,458 millions de balles en 2016-2017. Le Bénin, aussi pays producteur du coton a vu son rendement augmenté de près de 7% selon les données de World market on Trade, UDAS, 2017. Mais à côté de cette performance dans la production, des facteurs plus ou moins essentiels méritent d’être évoqués.

 Pour cette année 2018, c’est le Mali qui reprend la tête de la production de l’or blanc dans la sous-région ouest africaine. En revanche, au Mali, la production progresserait d’un peu plus de 7%  à 1,33 million de balles contre 1,24 million au cours de la campagne cotonnière 2016-2017 avec une hausse des superficies de 11% à 730 000 hectares et des rendements à 403 kilos par hectare. Le Burkina Faso, quant à lui, a enregistré ses pires rendements depuis 22 ans sur la campagne en cours 2017-2018 à 333 kilos à hectare, en raison de la sécheresse, une courte saison des pluies et des attaques de parasites selon le rapport de l’USDA. Alors que les superficies ensemencées ont progressé de près de 22% à 853 000 hectares, la production ne serait que de 1,3 million de balles (480 lb), soit en dessous du niveau de 2016-2017 (1,31 million de balles).

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Dans la même logique, la production de coton a grimpé aussi au Sénégal, en hausse de près de 43% à 40 000 balles grâce à de bonnes conditions météorologiques et d’un prix au producteur très rémunérateur compte tenu de la politique de relance qui s’avère payante. Autre pays où la production de coton augmente en 2017-2018 est la Côte d’Ivoire avec une augmentation de plus de 12%. Le Nigeria et le Togo, quant à eux, ont stagné dans leur production cotonnière courant la même année. En conclusion donc, les pays qui enregistrent les meilleurs rendements pour le compte de cette campagne cotonnière 2017-2018 sont le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Mais au Bénin, il y a un hic qui subsiste.

De l’expansion des superficies aux chiffres « encourageants »

Il est de notoriété de tous que l’actuel Président de la République du Bénin est un magnat du Coton. Une filière dans laquelle il a même bâti tout son empire qui le classe premier citoyen le plus riche du pays et 15ème en Afrique. Les intrigues politiques de l’heure et les cris des populations quand à une meilleure condition sociale n’ont pas empêché les acteurs de la filière coton de déployer les moyens nécessaires pour des productions records depuis l’avènement au pouvoir de Patrice Talon. En deux ans, la production de l’or blanc a presque doublé sous la présidence Talon. Cette production a atteint un record de cinq cent quatre-vingt-dix-sept (597) mille neuf cent quatre-vingt-six (986) tonnes au cours de la campagne cotonnière 2017-2018 avec une hausse de 32% par rapport à celle de 2016-2017 qui avait enregistré une production de quatre cent cinquante-un (451) mille cent-vingt-un (121) tonnes et de 122% par rapport à celle de 2015-2016  qui avait avoisiné deux cent soixante-neuf (269) mille deux cent vingt-deux (222) tonnes. A voir ces résultats, on ne peut que féliciter l’Association interprofessionnelle du Coton (AIC), organe en charge de la production et la commercialisation de l’or blanc au Bénin.

On devrait donc s’en réjouir mais l’aspect de l’expansion de la superficie cultivée mis dans la balance prouve qu’autant d’efforts ne sont pourtant pas déployés si ce n’est que la politique d’augmentation des superficies emblavées à chaque campagne cotonnière.

Dans une étude réalisée par le directeur du Pôle de compétences mondial de l’alimentation et de l’agriculture de la Banque mondiale avec responsabilités principales pour l’Afrique, Simon Ehui précise dans ce rapport que « les augmentations de la production en Afrique proviennent en grande partie de l’expansion de la superficie cultivée plutôt que de l’intensification des intrants ou de la croissance totale de la productivité des facteurs ».

Le gouvernement du Président Patrice Talon n’a fait donc que miser sur cet aspect de la production. Les résultats évoqués supra ont été obtenus grâce à une hausse des superficies emblavées et des rendements qui sont passés respectivement de trois cent six (306) mille huit cent huit (808) hectares à cinq cent trente (530) mille cent quarante-cinq (145) ha avec un rendement de 877,48 kilos par ha à 1,128 tonne entre 2015-2016 et 2017-2018. Le Bénin est venu de très loin quand on compare les rendements actuels à ceux des années antérieurs où le pays est passé de 174.000 tonnes à 240.000 tonnes, puis à 307.000 tonnes et récemment à 393.000 tonnes de 2006 à 2014.  Dans l’histoire, la production record a été notée lors de la campagne cotonnière de 2003-2004 avec quatre cent vingt-huit (428) mille tonnes pour une superficie de moins de deux cent cinquante (250) mille ha. En comparaison donc, il y a une augmentation de deux cent quatre-vingt (280) mille ha environ pour un accroissement de cent soixante-onze (171) mille tonnes environ de 2003 à 2018. Si les techniques, selon les politiques, auraient évolué pour une intensification de la politique agricole au Bénin et qu’une telle performance est réalisée en quinze (15) ans, alors, il devrait y avoir matière à réflexion.

En remontant la pente et en s’arrêtant aux périodes où l’homme d’affaires, Patrice Talon avait le monopole de cette filière, on constate toujours que le rendement augmente en accord avec la superficie emblavée. Cette emblavure est passée de cent quatre-vingt-un (191) mille deux cent seize (216) ha en 2005-2006 à quatre cent cinq (405) mille quatre cent (400) ha en 2014-2015. Derrière donc des productions record, se cache la réalité des superficies emblavées avec un impact inévitable sur l’environnement et le sol cultivé.

Des menaces sur l’environnement

L’or blanc a été introduit sur le territoire béninois en 1946 mais a vite fait de prendre le pas sur le palmier à huile dans les années 1970 à cause de la hausse de demande de ce produit sur le marché international. Une demande qui a obligé le Bénin, tout comme certains pays du continent, à faire de ce produit, le coton, la première filière d’exportation avec une source d’importantes devises. Face donc à cette demande de plus en plus croissante, les Etats producteurs n’ont qu’une seule envie ; accroître la production. Encouragés par des mesures incitatives, des milliers de groupements paysans se lancent, à chaque campagne, dans la production de l’or blanc. Ce qui a fait passer la surface emblavée de 181 870 hectares en 2010 à 405 400 hectares en 2015, soit une hausse de plus de 200 % en cinq ans. Une telle politique d’expansion conduit systématiquement à l’abattage des arbres et à une déforestation accrue. L’objectif des gouvernants étant d’atteindre un taux très élevé de production au cours de la campagne cotonnière. Du coup, la culture conventionnelle du coton se fait sans les normes et avec une atteinte grave à l’environnement bafouant les points 13 et 15 des objectifs pour le développement durable à atteindre d’ici 2030. Dans le cadre de l’objectif 13, les Etats sont enjoints d’inclure des mesures de protection du climat dans leurs politiques nationales et de se soutenir mutuellement face aux défis qui les attendent. L’objectif 15, quant à lui, exige la préservation, la restauration et l’exploitation durable des écosystèmes.

D’ici à 2020, la déforestation devra avoir pris fin et les forêts dégradées devront avoir été restaurées. Cet objectif 15 vise à accroître considérablement le reboisement au niveau mondial, à lutter contre la désertification et à restaurer les terres touchées par la sécheresse, les inondations et la désertification. Mais malheureusement au Bénin, avec cette politique d’emblavure de superficies dans le cadre de la culture du coton, les populations rurales sont de plus en plus exposées à des effets néfastes découlant de la pratique aussi dégradante infligée à l’environnement. Alors même que la culture du coton recommande en règle générale la conservation d’au moins une dizaine d’arbres par hectare cultivé. De plus, dans un entretien accordé à nos confrères du journal catholique La Croix du Bénin à ce sujet, Dieudonné Binonwa, représentant de l’Organisation béninoise pour la promotion de l’agriculture biologique (Obepab) à Djidja, a fait remarquer que « le traitement à l’insecticide de tout champ de coton est soumis à un contrôle préalable pour juger de l’opportunité dudit traitement, ce qui n’est pas souvent le cas pour le coton conventionnel cultivé dans le pays ».

Dans une étude réalisée par le projet multinational d’appui à la filière coton-textile (Paficot), il est précisé qu’en 2012, le Ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche (Maep) a importé près de 490 millions de kg de pesticides. Ce qui « constitue d’importantes sources d’intoxication des cotonculteurs et de pollution des ressources environnementales des sites de culture de coton ». Produits chimiques de synthèse, destinés à lutter contre les parasites animaux et végétaux nuisibles aux cultures et aux produits récoltés, les pesticides sont composés de substances toxiques, comme l’endosulfan, très dangereuses. Selon les spécialistes, leur utilisation incontrôlée dans les champs cotonniers a des conséquences fâcheuses sur l’environnement et sur l’homme. Avec l’allure actuelle de l’utilisation de ces produits chimiques et la densité des arbres abattus dans le cadre de la culture du coton dans le pays, le sol de ces zones sera appauvri les années à venir et la performance cotonnière ne sera plus au rendez-vous et pourrait classer le Bénin loin derrière les autres pays qui ont compris, très tôt, les enjeux environnementaux que constitue la culture de l’or blanc et qui ont pris des mesures nécessaires en la matière.

Le coton, propulseur de l’économie

La filière coton est, au-delà de tout, une source de richesse et un moteur de l’économie béninoise. Des études réalisées par les experts en la matière, révèle qu’il représente la première filière économique dans le pays. En effet, directement ou indirectement, il génère 40% des emplois en milieu rural et fait vivre près de 50% de la population de cette zone. A elle seule, la filière coton génère 45% des recettes à l’exportation de l’Etat. Et selon des données de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique (Insae), le coton contribue à près de 3% à la formation du produit intérieur brut (Pib). Les simulations indiquent qu’une augmentation de 10% de la production du coton entraîne une amélioration du Pib en valeur de 1%. Par ailleurs, la transformation de coton représente environ 60% du tissu industriel. De plus, les activités d’égrenage au cours d’une campagne d’environ six (6) mois génèrent plus de 3.500 emplois au plan national suivant les mêmes données statistiques de l’Insae.

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