Bénin : le juriste Landry Angélo Adélékoun démontre l’inopportunité du référendum en vue

L’organisation d’un référendum conduisant à la révision constitutionnelle est le débat qui anime l’actualité politique au Bénin. Les commentaires et les réflexions des uns et des autres tournent autour de l’opportunité de cette consultation populaire. Pour les uns, c’est le moment plus que jamais de réviser la loi fondamentale. Mais pour d’autres, les raisons avancées par les initiateurs sont loin de constituer un argumentaire solide pour un référendum.

Pour apporter sa contribution au débat, le juriste Landry Angélo Adélakoun propose une réflexion dont la finalité est de prouver que le référendum en vue est inopportun. Pour se justifier, il passe à la loupe les différents points inscrits dans la proposition d’amendement de la majorité parlementaire. A l’issue de son analyse, il conclut qu’il est nécessaire que le référendum en vue soit abandonné.

Les facteurs qui militent en faveur de l’abandon du référendum en vue selon Landry Angélo Adélakoun

A- Les facteurs exogènes
Les cas du Togo et de la Cote d’ivoire sont édifiants et méritent d’être auscultés.
1°) Le cas du Togo
Les Etats africains pour une bonne partie sont des habitués des réformes
constitutionnelles orientées. Au Togo, les gouvernants ont pour habitude de
réviser la loi fondamentale pour favoriser le maintien du Président en exercice
au pouvoir. Cette situation qui est un secret de polichinelle, continue d’animer
de vives tensions avec aujourd’hui, une relative accalmie.
2°) Le cas de la Cote d’ivoire
En Côte d’Ivoire, le Président en exercice a profité d’une réforme
constitutionnelle pour s’ouvrir les portes d’un éventuel nouveau mandat. Il est à
craindre que ce vent de révisions constitutionnelles orientées ne souffle jusqu’en
République du Bénin qui, malgré quelques piétinements, reste un exemple de
démocratie sur le continent. Cette légitime crainte trouve également de raisons
au niveau interne.

B- Les facteurs endogènes
Le climat politique et celui économique n’est pas propice à une révision.
1°) Le climat politique
Le climat politique, caractérisé par la suspicion, résultante du concept de la « la
ruse et la rage » est délétère et ne permet pas de présumer de la bonne foi des
uns et des autres. L’Assemblée nationale, institution de contre-pouvoir dans sa
conception originelle, est accusée à tort ou à raison d’être la caisse de
résonnance de l’exécutif. Cette « vassalisation » du deuxième pouvoir, selon la
théorie de la séparation des pouvoirs de Charles de Montesquieu, semble
trouver un renfort de taille dans les multiples procédures d’urgence sous
l’actuelle mandature. Le vote qui conduit aujourd’hui au référendum fait
également suite à une procédure d’urgence. L’Assemblée nationale est taxée de
voter les lois « les yeux fermés ». Grave, l’absence d’un large débat et la
précipitation observée ne sont pas de nature à rassurer. L’initiative de toucher à
la loi organique portant conditions de recours au référendum est le dernier acte
qui renforce la suspicion entre les acteurs. Quid du contexte économique ?

2°) Le climat économique
La morosité économique ambiante et les perspectives électorales de 2019, 2020
et 2021 dans un contexte où le Gouvernement s’attèle à assainir les finances
publiques en réduisant drastiquement les dépenses publiques ne permettent pas
d’engager les caisses de l’Etat, les frais du contribuable dans une dépense de
plus, une dépense de confort. La théorie de l’économie de l’échelle n’est
possible que lorsque le résultat du référendum est positif et le contenu de la
proposition à soumettre constitue une avancée constitutionnelle cohérente.
Mieux, si le Oui l’emportait au référendum, le Bénin aurait fait une révision de
confort.

 Un contenu fortement discutable

Les quatre points inscrits dans la proposition de loi portant amendement de
la Constitution de la République du Bénin portent les germes d’une
incohérence notoire et d’une volonté mal ficelée.

A- Une incohérence notoire
La République du Bénin a volontairement adhéré à une communauté de
principes et de valeurs. L’Etat du Bénin a, par la mise en œuvre de la
démocratie représentative, ratifié plusieurs traités ou accords internationaux
qui, conformément à l’article 147 de la Constitution du 11 décembre 1990,
ont une valeur supérieure à celle des lois.

1°) L’abolition de la peine de mort
Le 05 juillet 2012, l’Etat du Bénin a déposé son instrument de ratification du
deuxième Protocole se rapportant au Pacte International relatif aux Droits
Civils et Politiques visant à abolir la peine de mort. Entré en vigueur le 05
Octobre 2012, ce protocole fait partie désormais de l’ordonnancement
juridique du pays. La Cour constitutionnelle en 2016 a rendu des décisions
pour déclarer contraire à la Constitution, la disposition du code pénal relative
à la peine de mort. Le dernier message fort lancé à la communauté
internationale fut la prise d’un décret en février 2018 pour la commutation
des peines des quatorze (14) condamnés à mort en des peines
d’emprisonnement à perpétuité. Mieux, le code pénal adopté mais non
encore promulgué s’est également aligné dans la même logique.

2°) La représentativité des femmes
Toujours par la mise en œuvre de la démocratie représentative qui veut que
l’Assemblée nationale ratifie les traités ou accord internationaux, le Bénin
est partie à plusieurs conventions internationales qui mettent à la charge des
Etats, l’obligation de prendre des mesures législatives pour favoriser la
représentativité des femmes dans les instances de prise de décisions. C’est le
cas de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes et son Protocole facultatif.
S’il faut peut-être regretter l’interprétation stricte par le juge constitutionnel
du principe d’égalité qui repose à l’article 26 de la Constitution, il n’en
demeure pas moins vrai que soumettre une question relative à une
convention régulièrement ratifiée au référendum est un anachronisme
procédural qui pourrait faire le nid, en cas de rejet, à une hérésie juridique.
En l’état actuel du droit positif béninois, il faudra opter pour la technique
latérale de promotion de la femme adoptée en Argentine et en Belgique. La
volonté politique à elle seule permet de régler la question par seulement au
Parlement, mais dans toutes les instances de décisions.
Avant la ratification des traités ou accords internationaux et même sur des
questions prévues par le constituant, le Président a la possibilité de consulter
directement le peuple conformément à l’article 58 de la Constitution. Ce
mécanisme n’ayant pas été mis en œuvre à la ratification des accords ou
traités relatifs à l’abolition de la peine de mort, la promotion de la femme et
la création de la Cour des comptes, il est incohérent et incongru de les
soumettre au référendum après leur ratification.

B- Une volonté mal ficelée
Au nom du principe cardinal selon lequel la bonne foi est toujours présumée, il
faut reconnaitre la volonté de doter le Bénin d’une Cour des comptes et réduire
le coût des élections en redéfissent un nouveau calendrier électoral, même si
cette volonté à l’arrivée présente des écueils.

1°) La création d’une Cour des comptes
Les textes de l’Union Monétaire Ouest Africaine font obligation aux Etats
parties de créer une Cour des comptes. Mieux, le code de transparence relative à
la gestion des finances publiques au sein de cette communauté veut que les
finances publiques et les politiques publiques soient soumises au contrôle de la
Cour des comptes. Il se pose donc deux problèmes : l’incohérence de la
soumission des exigences d’une convention régulièrement ratifiées au
référendum et la mauvaise mouture proposée et qui consacre l’hégémonie du
pouvoir exécutif au sein de cette Cour.

2°) Les élections groupées
La question de l’élection générale, dans une démarche hypothético-déductive,
apparaît comme le nœud, la pierre angulaire de la révision. Absence de
consensus, absence d’étude économique pour évaluer le coût réel des élections
passées ou celles à venir, précipitation et absence de clarté de la disposition
concernée, sont quelques maux qui plombent les efforts, renforcent la suspicion.
A tous ces points, s’ajoute l’absence d’une large consultation. Les élections sont
le mode le plus démocratique pour le peuple de choisir ses représentants. Dans
une démocratie représentative de type présidentiel, elles sont un mécanisme
d’accompagnement ou de sanction de la politique de l’exécutif à travers les
élections législatives ou celles de proximité. L’alignement des mandats doit
pouvoir intégrer ce paramètre afin de décaler tout au moins les élections
présidentielles des autres élections. Les élections législatives et celles
municipales ou communales pourraient être regroupées et pour un même
mandat de sorte que le renouvellement puisse se faire au cours du mandat de
chaque président.

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