Bénin: les 10 raisons pour ne pas réviser la constitution selon Joseph Djogbénou (Retro)

Dans ce débat sur l’opportunité ou non de la révision de la constitution du Bénin du 11 décembre 1990, Bénin Web TV propose à ses lecteurs de replonger dans le passé afin de revoir quels on été les avis sur cette même révision il y a seulement quelques années. Dans cet épisode, nous vous proposons de lire les 10 raisons pour ne pas réviser la constitution selon Joseph Djogbénou. Il avait émis cette réflexion le lundi 26 mars 2012 à Cotonou lors d’une conférence publique sur le thème :  » Pourquoi renoncer maintenant à la révision de la constitution de la République du Bénin ». Joseph Djogbénou était en ce moment Agrégé des Facultés de droit privé et sciences criminelles et avocat au barreau du Bénin.

La révision de la Constitution du 11 décembre 1990 est sous les feux de l’inquiétude. Et pour cause ! Du cénacle des initiés, le texte atterrit à l’Assemblée nationale sans qu’un débat sérieux soit proposé aux citoyens dont on susurre pourtant défendre généreusement les intérêts. On révise donc, entre copains et coquins. Mais cette révision projetée est-elle si vitale, nécessaire et opportune ? On peut en douter sérieusement. Dix raisons au moins motivent un sage renoncement à l’entreprise. Ces raisons sont liées au contexte et au texte.

I – Le contexte

Le contexte régional est loin d’encourager une révision dans un Etat africain quelconque de la loi fondamentale. Le contexte national n’est pas non plus propice à une telle entreprise.

A – Le contexte régional : Aucun modèle de révision constitutionnelle

Première raison : Sauf exception, toutes les révisions ont conduit à une crise politique aigue ou à un coup d’Etat.

Le Mali en fournit l’exemple le plus récent. La rébellion touareg et l’insurrection Al Qaeda pour le Maghreb Islamique (AQMI) dans le nord du pays ne constituent pas les raisons exclusives du drame politique qui afflige ce pays longtemps cité en exemple avec le Bénin. On n’oubliera pas que dans la corbeille des causes, se trouvent, en bonne place, la tentative de révision de la Constitution malienne. Le projet de révision, qui, selon une partie de l’opinion malienne, « fabrique un monarque », fut adopté le 2 juillet 2011 et attendait l’onction par voie de référendum…. Le prétexte emprunte, quasiment à l’identique, à l’initiative béninoise : cour des comptes à instituer, institutions à moderniser etc. Au Mali aussi, un Chef d’Etat était au-dessus de tout soupçon (apparemment), clamant que c’était son « second et dernier mandat », attendant sagement l’organisation d’une élection… La gémellité des expériences malienne et béninoise enseigne la prudence la plus résolue.

Il n’y a, hélas, pas que l’expérience malienne pour nous enseigner sagesse et prudence. Celle, sénégalaise, qui annonça les couleurs, sinon les couleuvres démocratiques, nous enseigne bien que même si on a à la tête d’un Etat un agrégé ou un avocat , même si les suffrages de l’expérience ou de l’intelligence devraient assurer un peuple de la sagesse qui élève à la divinité, très peu d’hommes ou de femmes politiques manquent d’être la ruine du pouvoir. On n’insistera pas sur les mascarades réformistes de notre voisin de l’Ouest, ni les turpitudes du même acabit de nos voisins du Nord. La leçon doit être sue : la révision de la Constitution conduit à la révulsion de la population. Et ce n’est pas le contexte national qui constitue une assurance contre tous ces risques.

B – Le contexte national : La révision de la loi qui unit est entreprise dans un contexte qui divise

Le contexte national balance entre une forme de collusion politique en vue de la révision sur le terreau d’une contestation sociale continue, la paupérisation continue des ménages, la perte de confiance des investisseurs à l’égard du pays et l’encadrement directif de l’espace des libertés démocratiques. Le fond du décor est fait de lois restrictives et d’un raidissement institutionnel qui anéantit le débat démocratique.

Deuxième raison : L’adoption de lois restrictives des droits et libertés publiques qui empêchent le débat démocratique

Certains actes à caractère politique ne sont pas anodins. Le processus de révision de la Constitution a été précédé de l’adoption d’importantes lois dont la marque essentielle n’est pas de célébrer la liberté et les droits individuels.

Il s’agit, en premier lieu, de la loi sur la lutte contre la corruption et autres infractions connexes, adoptée le 30 août 2011, déclarée très rapidement conforme à la Constitution et promulguée tout aussi promptement. Cette loi décide que toute personne suspectée de corruption ou de l’une des infractions dites connexe peut faire l’objet des mesures de surveillance et, en particulier, de surveillance électronique ; de mesures d’infiltrations ; de la levée du secret bancaire ; de mise sur écoute téléphonique ; de mesures de perquisition approfondie et de garde à vue prolongée. Or, l’organe qui, conformément à la loi, dispose du pouvoir de suspecter et, en quelque sorte, constitue l’autorité de suspicion, est le pouvoir exécutif au travers de l’un de ses multiples visages : les policiers et gendarmes officiers de police judiciaire, les procureurs, l’autorité nationale de lutte contre la corruption etc. Les résultats sont déjà patents : au lendemain de la promulgation de cette loi, des ralliements politiques aussi bien enthousiastes qu’étonnants ont été faits au profit de la majorité qui a le pouvoir de suspecter…

Il s’agit, en second lieu des restrictions de libertés publiques abouties ou en cours : loi sur l’interdiction du droit de la grève aux douaniers et autres corps paramilitaires, recours introduit par Madame le Garde des sceaux en vue de la restriction du droit de la grève aux magistrats etc.

En conclusion, alors que la Constitution fut adoptée pendant que les libertés étaient célébrées, on veut réviser celle-là pendant que celles-ci sont restreintes.

Troisième raison : Le raidissement de l’organe de régulation de l’accès aux médias

Cet élément de contexte n’est pas à négliger : l’organe régulateur est devenu un organe d’interdiction au moyen d’une interprétation qui illustre le raidissement des pouvoirs publics à l’égard des droits et libertés. L’on accroit, pour ainsi dire, la frilosité et la fébrilité des acteurs des médias ce qui, au fond, apparaît comme une censure feinte et une restriction a priori de la liberté d’expression. Cette discipline à la fois directive et sanctionnatrice explique, en partie, l’absence du débat contradictoire sur le sujet de la révision de la Constitution sur les médias nationaux.

Quatrième raison : L’instabilité sociale

Les crises continuelles que traversent les services publics de l’éducation et de la santé et qui saisissent tous les secteurs de la vie économiques ne créent pas un environnement propice au débat national qu’appelle la réforme projetée de la Constitution. Quand la rue crie, les familles boudent et les écoles n’ouvrent que sporadiquement, le temps est celui de l’urgence du pompier et de l’ambulancier : éviter que l’incendie social s’étende et s’étoffe. Poursuivre, dans ces conditions, une réforme d’une telle ampleur relèverait d’une audace forcenée dont on n’aura pas exposé les fins réelles.

Cinquième raison : L’imminence du renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle

La course à la révision n’est pas sans lien avec l’imminence du renouvellement des membres de la cour constitutionnelle. Il est plus facile, en effet, d’accorder l’onction juridictionnelle à une réforme contestée et suspectée d’élan opportuniste par une composition idéologiquement proche du pouvoir exécutif et dont certains membres pourraient prétendre légitimement à exercer un second mandat. Ils sont attendus aussi bien sur la déclaration de conformité du texte à adopter que sur les orientations interprétatives dont l’enjeu détermine la perpétuation de l’expérience démocratique béninoise. Ils vont donc livrer le produit et assurer le service après vente. En dépit de l’honorabilité et de la dignité connues des membres de la Cour, chacun sera soumis à l’épreuve de la loyauté. Faut-il encore les expose et à une pression et un risque si élevés ?

Les éléments de contexte n’encouragent guère une révision de la loi fondamentale. Le texte lui-même ne constitue pas une avancée démocratique.

II – Le texte

A cet égard, il faut se garder de tout enthousiasme : ni la méthode qui a présidé à son élaboration, ni son contenu n’inspirent assurance.

A – Sur la méthode : Le secret n’assure pas le progrès

Sixième raison : Une méthode d’exclusion

La méthode ne manque pas d’intelligence : on a fait le choix des experts. Avec cette méthode, on peut tout se permettre : justifier l’absence de tendances politiques dont on ne partage pas les vues ; faire traduire par ces experts l’essentiel de ses objectifs et perspectives ; leur faire assurer, avec l’avantage de leur neutralité avérée ainsi que de la certitude de leur science, le service après vente. En fait, être si loin des travaux des experts en étant si proche… Etre si détaché tout en ayant la maîtrise politique.

La méthode est en même temps perverse : elle exclut. D’abord les politiques, dont on recueille l’avis « quand il le faut ».

Ensuite les citoyens, que l’on va consulter « comme il le faut »

Il est rarement arrivé dans une démocratie que l’on engage une réforme constitutionnelle en s’aliénant les intelligences de celles et ceux dont on ne partage pas les vues. Cette méthode de communication renforce le sentiment de perplexité et d’inquiétude sur les véritables enjeux de la révision projetée. En attendant le moment et le moyen de la transmission du projet, on a préféré assurer des débats amicaux en vue de rassurer l’opinion publique que rien de grave ne lui arrivera.

Septième raison : Un texte introuvable

Le plus grave, c’est l’opacité qui entoure, non seulement la méthode choisie, mais le texte lui-même. En préparant la présente contribution, on s’est assuré de rechercher le texte sur les sites officiels de l’Etat : le site du gouvernement et celui de l’Assemblée nationale. On y a vu les projets de construction mais pas de projet de constitution. Certains journaux on pu présenter dans les parutions précédentes quelques extraits du texte discuté. Mais en fait, le texte ne se trouve, officiellement nulle part. Les extraits présentés le sont alors que l’étude est entamée à l’assemblée nationale. Cette opacité vicie considérablement la qualité du projet. C’est sans doute en raison de ce que le contenu paraît fort discutable.

B – Le contenu

Huitième raison : Des avancées en trompe l’œil en vue d’un déséquilibre fondamental des pouvoirs

L’on avance, pour convaincre de la pertinence de la révision des avancées qui eussent tu toute résistance. Mais c’est pour mieux faire passer la pilule de la redistribution fonctionnelle des pouvoirs en faveur de l’exécutif et de la Cour constitutionnelle. A l’arrivée, le régime perd de sa cohérence et de sa stature.

Des avancées en trompe l’œil. Elles ont pour nom l’abolition de la peine de mort, la limitation de la durée de la détention préventive, la sédimentation de la Commission électorale nationale autonome (CENA) dans la Constitution etc. Installer ces préoccupations dans le lit constitutionnel est sans doute confortable et réconfortant. Mais ce confort est bien somptuaire car, il n’y a pas que la voie constitutionnelle pour renforcer les droits des citoyens. On signalera que le code pénal est le cadre idéal pour recevoir l’abolition de la peine de mort et l’imprescriptibilité des crimes économiques. Le code de procédure pénale est l’instrument idéal pour poser la limitation de la détention préventive.

Or, ces deux textes sont soumis au processus de réforme législative depuis plus de dix ans. S’agissant, en particulier du code pénal, il fait l’objet, quant à son contenu, d’un dépouillage aussi constant que consistant. La loi sur la corruption en constitue l’illustration manifeste. De la même manière, l’on n’a pas eu besoin d’une révision de la Constitution avant d’instituer, par voie législative, le médiateur de la République.

En ce qui concerne la CENA, si le souci est la professionnalisation et la permanence, il n’y a pas que la Constitution pour les rendre effectives, d’autant qu’on annonce l’adoption d’un code électoral qui est le cadre idéal pour recevoir une telle institution. Seule la création de la Cour des comptes paraît suggérer une réforme de la Constitution. Mais là encore, ce n’est point absolu. Sauf à confondre la fin avec le moyen. Ce que recherche l’organisation communautaire, c’est la consécration et la consolidation d’une juridiction des comptes indépendante.

Or, l’indépendance n’est pas la matière première du marbre constitutionnel. On a bien vu, un peu partout en Afrique des Cours dont l’indépendance n’est traduite que par une affiliation avérée au profit d’un pouvoir et une incompétence notoire, certaines ne rendant, par ailleurs, que des décisions d’incompétence. On aurait satisfait à la norme communautaire en rendant la chambre indépendante, au travers des moyens et des animateurs. On voit bien que la révision n’est pas aussi vitale qu’on le suggère. On réalise encore que dans le fond, elle consacre un déséquilibre profond du régime institué.

Un déséquilibre profond du régime présidentiel. Dans le fond, le pouvoir exécutif se trouve renforcé. En premier lieu, l’Assemblée nationale va devoir payer son « agitation ». Si la réforme aboutit, elle ne sera plus, avec le Président de la République, l’une des deux institutions à avoir l’initiative des lois. Le citoyen acquerra un pouvoir de proposition en matière législative et verra étendre son pouvoir de décision par voie de référendum. Ce n’est, en soi, pas une mauvaise proposition.

Mais en fait, c’est le pouvoir législatif qui est restreint sans que l’on ne s’assure, dans les faits, qu’une telle orientation a les chances de l’effectivité. Même en ce qui concerne le vote des lois, l’Assemblée nationale sera désormais appelée à délibérer « en priorité » sur les projets de lois. Par ailleurs, le texte proposé donne à la Cour constitutionnelle le pouvoir de suppléance au refus des députés d’autoriser la ratification des accords de prêt. Le nouvel article 108 disposant que : « Les autorisations de ratification des accords de prêts sont délibérés dans un délai de deux (2) mois au maximum après leur transmission au Bureau de l’Assemblée nationale. Passé ce délai, la ratification intervient sur décision de la Cour constitutionnelle saisie par le Président de la République ». Le parlement perd le monopole du débat politique institutionnel et va devoir partager davantage le droit d’initiative et le pouvoir de décider en matière législative.

En deuxième lieu, le pouvoir judiciaire va payer son « insoumission » au « premier magistrat ». On assistera ainsi à l’éclatement de la Cour suprême par voie de création d’une Cour des comptes. La Cour suprême ne demeurera la plus haute juridiction de l’Etat qu’en matière administrative et judiciaire. Bien plus, « les actes et décisions de justice présumés inconstitutionnels » seront désormais soumis au contrôle de constitutionnalité de la Cour constitutionnelle : on ne finit pas avec les voies de recours. On en rajoute une autre, que l’on n’a pas pris soin de qualifier, de fixer le contenu ou le régime juridique. On soumet encore la justice et son temps aux rudes épreuves de l’incertitude. Par ailleurs, les principes d’inamovibilité et d’indépendance des magistrats seront fortement affectés. Le domaine de l’indépendance des juges est réduit : « les juges sont indépendants dans la conduite de leur dossier et le prononcé de leurs décisions » (art. 127 al. 1er in fine). Celui de l’inamovibilité pourra être « amovible » : « les magistrats du siège sont inamovibles sauf insuffisance, faute professionnelle ou atteinte à la justice » (art. 127 al. 2, nous avons souligné).

En troisième lieu, en dehors de la Cour constitutionnelle, les autres institutions n’ont pas, en revanche, gagné sur le terrain perdu par l’Assemblée nationale et la Cour suprême. Les Présidents de la Cour suprême, de la Cour des comptes, de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, du Haut conseil de la République ainsi que le Médiateur de la République seront nommés par le président de la République. Le régime présidentiel se désintègre en se présidentialisant davantage. Rien ne justifie une telle orientation : ni au plan sociologique, ni au plan économique. On peut, néanmoins, tenter une explication : la résurgence de la thèse développementaliste.

Neuvième raison : La résurgence de la philosophie développementaliste 

Cette thèse, soutenue au lendemain des indépendances africaines voudrait que l’Afrique a moins besoin de garantir les droits politiques et individuels que de satisfaire les droits sociaux. On voit bien là où elle a conduit : création des centres privation de la liberté individuelle, privation massive des droits. Cette thèse dite développementaliste n’a surtout rien développé. Elle a plutôt tout détruit dans le silence et la souffrance. Or, dès le début du premier mandat de Monsieur Yayi Boni, cette thèse renaît de ses cendres.

On a vu, au gré des voyages dans les Etats de l’Asie du Sud-Est, les autorités gouvernementales célébrées les régimes politiques qui ont produit le développement constaté. On les a vus surtout soutenir que des décennies de célébration des droits civils et politiques n’ont pas augmenté le niveau de vie économique du Bénin. Certains ont même articulé qu’il fallait mettre entre parenthèse la démocratie libérale afin que le Bénin avançât au plan socio-économique. Si la leçon du printemps arabe a rendu discret les thuriféraires du régime sur ce terrain, la révision de la Constitution agrège leurs vues dans le texte proposé. Or, c’est une leçon de l’histoire que nul ne peut épanouir un être humain en le privant de ces droits.

Conclusion

Dixième raison : Il faut préserver l’exception béninoise ! 

Ce qui reste dans la sous-région, c’est l’expérience béninoise, aux côtés de celle du Ghana. Il faut absolument la préserver. Le Sénégal vient d’allumer la flamme de l’espérance. Il la tend, fiévreusement, au Bénin. Nous devons savoir la recevoir à nouveau. Nous aurons rassuré, et nos compatriotes, et l’Afrique, et le monde. Pandore vient à nous, avec sa belle boîte remplie de promesses révisionnistes. Accueillons-là, gardons-là, débattons-en. Mais sachons ne pas l’ouvrir. Donnons à Prométhée la joie de nous préférer et à Dieu, dans sa Bonté infinie, plus de raisons de nous protéger : Ne révisons pas notre Constitution.
Cotonou, ce 26 mars 2012.
Professeur Joseph Djogbénou

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