Migration de la société civile vers la politique: la honteuse course vers le matériel?

Il n’y a plus de doute que le Bénin va vers une décadence de la société civile et du syndicalisme. L’attrait sordide qu’exerce la politique sur les leaders de la société civile et syndicale et l’exode politique qui s’observent avec une mutation massive  vers la chose politique risque, si on ne prend garde, de vider la société civile de sa substance vitale; ce qui sera dommageable pour le pays.

Pour percevoir l’importance de la société civile et ce qu’elle représente dans le fonctionnement d’un état, nous allons nous référer à une pensée de Jean-Jacques Rousseau qui affirme en substance: «  le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eut point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! » Cette pensée de Jean- Jacques Rousseau est bien illustrative du rôle que ces messieurs qualifiés d’acteurs de la société civile jouent pour accompagner les décideurs politiques dans leur mission de développement pour le bien de la communauté.

La société civile béninoise depuis l’ère du renouveau démocratique a joué un rôle important dans la sauvegarde d’un état de droit et des acquis démocratiques en dépit des assauts politiques dont elle a été toujours l’objet. Ainsi par exemple, ces acteurs intervenant dans le domaine de la gouvernance politique ont joué un rôle important dans le bon déroulement des activités électorales de 2015 et de 2016 au Bénin. L’une des clés du succès dans l’organisation des élections a été la plateforme des organisations de la société civile, mise en place grâce à l’appui technique et financier du PNUD.

Ladite plateforme a permis une gestion transparente et apaisée du processus électoral de 2015-2016. Un système de veille citoyenne sur les élections au Bénin a été expérimenté avec succès et a permis d’agir à trois niveaux : celui de la mobilisation, de la médiation et du monitoring. Malheureusement, depuis un moment, les acteurs de la société civile lorgnent de plus en plus le terrain politique. Qu’est ce qui pourrait bien justifier leur engouement pour la chose politique?

La politique perçue comme un raccourci pour se réaliser

Si la politique est la science de la gestion de la cité, donc du bien commun, au Bénin, la politique a été toujours un tremplin pour certains béninois d’assouvir des intérêts personnels égoïstes. Un éminent membre de la société civile devenu aujourd’hui acteur politique s’est toujours étonné de constater que les hommes les plus riches au Bénin sont des acteurs politiques. Selon lui, on ne devait pas venir en politique pour devenir riche mais pour servir le peuple. « Si vous voulez devenir riche, alors faites des affaires » avait-il l’habitude de dire.

Mais dans la conscience collective, la politique est la voie royale au Bénin pour devenir rapidement riche. C’est le milieu par excellence où côtoient hommes d’affaires peu vertueux, acteurs politiques sans moralité et les opportunistes de tout genre. Les exemples d’hommes partis de zéro pour se réaliser du jour au lendemain grâce à la politique foisonnent dans le pays.

Cela pourrait être une première explication à la mutation qui s’observe aujourd’hui de la société  civile vers la politique et non dans le sens contraire. En effet, en dépit de toutes les luttes parfois héroïques menées par les acteurs de la sociétés civiles, la corruption, le détournement des deniers publics, l’accaparement des secteurs vitaux de l’économie par un groupuscule n’a jamais été un défi totalement relevé.

Par ailleurs, dans un contexte où une catégorie de personnes qui se prennent pour des acteurs politiques bénéficient de tous les avantages possibles ( salaire injurieux, hébergement, transport, bon d’essence, prime de ceci, prime de cela…) et profitent allègrement du fruit de l’effort commun au détriment de la masse dont les conditions se dégradent d’année en année, on peut être tenté aussi de faire partie de cette catégorie de privilégiés de la République d’autant plus que l’on constate que les luttes qu’on mène au sein de la société civile ne permettent pas de changer sa propre condition de vie. Cela peut justifier également le virage à 180° d’acteurs de la société civile vers la politique.

Nécessité de réformer le secteur politique et d’équilibrer la répartition des ressources du pays

Le Bénin ne fait pas honneur à sa devise: fraternité, justice, travail. La fraternité a déserté le forum depuis des lustres cédant sa place  à l’égocentrisme des acteurs politiques qui privatisent les ressources du pays, non seulement en se taillant la part du lion en défaveur du peuple souverain, mais mieux, en détournant de leur objectif des ressources octroyées, soit par des partenaires financiers pour l’amélioration du quotidien des béninois, soit le fruit de l’effort commun qui doit permettre l’émergence du pays.

La conséquence du comportement des bonimenteurs politiques est la mort de la fraternité. La masse qui constitue la force productrice est martyrisée. Le peuple laborieux travaille pour assouvir l’appétit insatiable des acteurs politiques qui les pressurent davantage à travers des pseudos réformes qui constituent des poids supplémentaires sur la tête du pauvre citoyen victime de ceux qu’ils mandatent lui même à des postes électifs ou à des fonctions élevées de la république.

Du coup, la démocratie qui est le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple devient le pouvoir des politiques sur le peuple et contre le peuple. Les privilégiés de la République, pareils à des sangsues de la République, se comprennent entre eux et s’entendent la plupart du temps pour corser le système pouvant leur permettre d’être des éternels « saigneurs » du peuple. Pour camoufler les conséquences de leur propre hérésie qui freine le développement du pays, ils affirment sans vergogne que le béninois ne travaille pas, oubliant que ce sont les acteurs politiques qui ne travaillent pas mais profitent du fruit du travail des autres.

Pour revenir à une société équilibrée et rétablir le sens de la devise du pays, il urge de faire des réformes politiques axées sur la diminution des avantages politiques, car le service public est par essence le service pour le bien-être des autres. La juste fixation des avantages politiques n’aura pour effet que de freiner la course vers la politique et le développement des talents au service du développement du pays, car le seul talent qui se développe dans ce milieu est la roublardise et les intrigues.

La juste fixation des avantages politiques permettra également aux « docteurs » en ceci et en cela ou des ingénieurs que nous fabriquons à poignée de mains et qui deviennent des poids financiers pour le pays, car incapables de concevoir son développement, de rester loin de la politique pour utiliser leur intelligence au service du développement du pays à travers des innovations.

Cette réforme politique est egalement nécessaire pour donner du sens aux différentes reformes portées par le régime réformiste, car elle aura pour avantage de favoriser le retrait des opportunistes de la politique. Et c’est là la seule voie du salut possible pour le peuple souverain.

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