Bénin – Livres au programme en Français : Florent Coua zotti et Roger Gbégnonvi affichent leur divergence

Le professeur de lettre Roger Gbégnonvi et l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti ont un point de vu assez divergent sur les ouvrages  inscrits au programme de français par le ministre de l’enseignement technique, secondaire et de la formation professionnelle.

C’est par une chronique intitulée  » Roger Gbégnonvi ou les dérapages d’un personnage clivant » que l’écrivain béninois Florent Couao-Zotti apporte de l’eau au moulin du professeur de lettres Roger Gbégnonvi qui « crie son indignation contre les ouvrages retenus » au programme de français.

Dans sa chronique, Florent Couao-Zotti affirme comprendre le professeur de lettres qui a toujours montré sa répulsion contre la culture séculaire dans laquelle il est né, préférant tout le temps faire l’apologie du patrimoine étranger.

Florent Couao-Zotti est même allé plus loin en affirmant qu’en matière littéraire, son aîné n’est pas une référence même s’il sait manier un beau français. Il lui reproche son côté polémiste tout en reconnaissant qu’il y a à dire sur la liste d’œuvres au programme qui selon lui est loin de la catastrophe à laquelle il fait allusion. Lire ci-dessous la chronique de Florent Couao-Zotti.

Chronique de Florent Couao-Zotti et la position de Gbégnonvi

Roger Gbégnonvi ou les dérapages d’un personnage clivant

Mon aîné et ami, Roger Gbégnonvi ne fait jamais les choses à moitié. Il s’est attaqué, tous chiens lâchés, à la liste des ouvrages au programme de français publiée par le Ministère de l’Enseignement Technique et Secondaire. Dans une chronique rapportée par un internaute, il crie son indignation contre les oeuvres retenues, indignation partagée, à ce qu’il dit, par une professeur béninoise enseignant aux USA. Et un autre de ses collègues en France de s’écrier: ‘‘On devient quoi avec ce programme ? Voilà comment on assassine la jeunesse et la culture. »

Le chroniqueur ne s’en arrête pas là. Il estime que sur la liste des auteurs béninois au programme, seul Jean Pliya est « lu un peu hors du Bénin ». D’ailleurs, ce qui lui semble insupportable dans ces textes, c’est « leur exigüté, leur courte portée » Et le comble, c’est que les « 15 auteurs appartiennent presque tous à l’aire géographique et culturelle Aja-Tado, Sud-Togo et Sud-Bénin. Si donc leurs écrits parlent de l’homme et des choses ici et maintenant, quid de l’homme et des choses dans les Collines et dans l’Atakora ? Non seulement donc leurs écrits ratent la cible de l’universalité mais encore celle de la simple territorialité » Et de conclure: « est-il encore temps d’enchanter la Béninoise qui s’est arraché les cheveux aux USA et le Béninois criant en France à l’assassinat de la jeunesse et de la culture ? Nous aimons la culture. Nous aimons notre jeunesse ».

On sait que Roger Gbégnonvi, tout beninois qu’il prétend être, déteste la culture séculaire dans laquelle il est né, préférant tout le temps faire l’apologie du patrimoine étranger. C’est pourquoi, il préfère citer la béninoise des USA ou de la France dont les jugements sont, à ses yeux, plus pertinents que ceux de leurs compatriotes de l’intérieur. Guy Ossito Midiohouan, Adrien Huannou, Pierre Médéhouegnon, Ascension Bogniaho, Mahougnon Kakpo, Pascal Okri Tossou dont les travaux universitaires, depuis dix ans, trente ans, quarante ans pour certains, produisent des critiques sur cette littérature, seraient-ils moins compétents que lui, dont la culture littéraire béninoise s’est arrêtée au siècle dernier ? D’ailleurs, quand ces professeurs parlent et produisent des articles sur la création littéraire au Bénin, nulle part on ne voit, ni ne constate la présence intellectuelle de Gbégnonvi. Il peut, par la suite, pérorer sur son blog sur ce qu’il n’a pas lu. Tout le monde peut le faire.

Certes, il y a à dire sur cette liste d’oeuvres au programme, mais elle est loin de la catastrophe à laquelle il fait allusion. Qu’a-t-il d’ailleurs lu des oeuvres qui sont sur la liste ? Quels sont les paradigmes à partir desquels il avance ces réflexions ? Des affirmations de ce genre sont tellement graves que, sans preuve, sans illustration, elles relèvent du dénigrement.

Une autre chose qu’ ignore Roger Gbégnonvi (ou il l’a savamment évacuée de sa tête) : la littérature n’est que le reflet de la société. Y sont développées des histoires en lien avec les espaces de vie des personnages, ce qui génère une vision d’ensemble de la société dans ses substrats culturels et historiques. D’ailleurs, Stendhal l’a fort bien dit: « le roman est un miroir que l’on promène le long d’une route » . Et ce Stendhal l’a illustré en se servant d’un fait divers ayant défrayé la chronique en 1830 sous le titre de Le Rouge et le Noir. Monsieur Gbégnonvi a oublié sans doute comment Honoré de Balzac a nourri la galerie des personnages de sa Comédie Humaine: en se servant des mains courantes des commissariats de police (qui dit main courante dit faits divers, faits sociaux) . N’est-ce pas Raymond Queneau qui a affirmé que « plus c’est local, plus c’est universel »? Les Montaigu et les Capulet ne sont connus que par rapport aux liens sociaux qui les opposent et dont les enfants Roméo et Juliette en traduisent les inflexions contradictoires. L’anthropologie de la société élizabéthaine est lisible dans cette oeuvre de Shakespeare même si la passion amoureuse semble en être le ressort principal.

L’écrivain force l’admiration par sa capacité à produire, à partir des réalités de son environnement, une oeuvre qui parle au monde entier. La densité de son écriture, la complexité de son univers, l’épaisseur psychologique des personnages, sa créativité en donnent les différentes aspérités. Ces dimensions sont généralement présentes dans les oeuvres sélectionnées et je défie quiconque de nous administrer la preuve du contraire. Il suffit de voir le nombre de thèses, de mémoires de maîtrise et autres travaux universitaires qui portent sur certaines de ces oeuvres à travers le monde. On ne compte plus le nombre de ces écrivains qui sont traduits dans les langues étrangères. Or si ces oeuvres ne présentent aucun intérêt socio-anthropologique et littéraire pour tous les locuteurs de ces langues, pensez-vous qu’elles seraient traduites ?

Parlons de la situation éditoriale du Bénin : M. Gbégnonvi sait que le marché éditorial est fort réduit et que, pour se développer, il a besoin d’un coup de main de l’Etat comme cela se fait dans tous les pays. Avant de jeter l’anathème sur les maisons d’édition locale qui font des efforts colossaux, s’est-il un jour posé la question de leur financement ? Sait-il comment elles travaillent pour faire paraître les ouvrages ? Lui-même Gbégnonvi n’a t-il pas été lecteur aux éditions Flamboyant ? Et quand il a été ministre de l’alphabétisation, c’est à dire DÉCIDEUR, qu’a-t-il fait pour la promotion des textes littéraires en langues nationales ? A-t-il fait paraître un seul fascicule ?

Je concède que la critique littéraire journalistique n’existe pratiquement plus. Nos jeunes journalistes, plus préoccupés par les sujets politiques, s’investissent peu dans le domaine littéraire. Depuis que leurs aînés se sont retirés ou sont morts, le terrain est presque délaissé malgré les efforts considérables de Tanguy Agoye de Canal 3 qui essaie, vaille que vaille, d’animer une émission hebdomadaire sur les livres. D’ailleurs, le phénomène n’est pas seulement beninois. Les émissions littéraires en France — puisque M. Gbégnonvi en a fait la référence suprême — ont disparu et les rares espaces qui sont consacrés aux livres sont encartés dans des programmes fourre-tout.

Mais au Bénin, le travail se fait ailleurs, à l’abri des regards du grand public. Dans les arcanes de la direction de l’inspection pédagogique, à l’université, dans les clubs de lecture. Je voudrais ici saluer le travail de ces inspecteurs de l’enseignement secondaire, des cadres émérites, majors de leurs promotions quand ils se sont formés en France, en Belgique et en Tunisie. À la DIP, ils travaillent de manière méthodique malgré les conditions difficiles …

Roger Gbégnonvi manie sans doute un beau français, mais il n’est pas une référence en matière littéraire. Il est incontestablement un polémiste, mais les polémiques n’ont jamais pu faire avancer un pays, ni dans les réflexions, ni dans les actes concrets. Au surplus, ils rendent clivantes les sociétés. Et Gbegnonvi est un personnage clivant. De ça, le Bénin n’en a guère besoin.

La réflexion de Gbégnonvi sur le choix des ouvrages:

Enseignement de la littérature au Bénin
(Par Roger Gbégnonvi)
Il s’agit de ladite ‘‘Nouvelle liste des œuvres littéraires au programme de français » dans les lycées et collèges du Bénin, de la 6ème à la Terminale. Une professeure béninoise enseignant aux USA l’a eue entre les mains ; elle s’est arraché les cheveux. Elle l’a fait parvenir à son collègue béninois enseignant en France, et lui de s’enflammer : ‘‘On devient quoi avec ce programme ? Voilà comment on assassine la jeunesse et la culture. »

La liste comporte 4 Africains non béninois, 8 Français dont 7 classiques, 15 Béninois encore en vie, sauf Jean Pliya, le seul qui soit un peu lu hors du Bénin. La commission qui a siégé aura voulu, c’est visible, promouvoir les auteurs béninois. Après tout, pourquoi pas ? Toute création est à saluer quand on sait ‘‘Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson / Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson / Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare ».

Louis Aragon parlait ainsi des nuits et des jours passés par l’écrivain en l’occurrence à raboter, polir et ajuster pour que son texte, une fois paru, parle partout à tous les cœurs, car toute littérature a vocation à l’universalité. Or ce qui gêne au niveau des ‘‘œuvres littéraires » désormais proposées aux jeune apprenants du Bénin, c’est leur exigüité, leur courte portée. Dans un Bénin sans mécène pour promouvoir les arts (Louis XIV le fit durant tout son règne) et sans vraie maison d’édition, les 500 ou 1.000 exemplaires d’un écrit publié à compte d’auteur ont tôt fait de disparaître sans que l’écrit publié soit passé par l’épreuve de la critique dans un Bénin où le métier de critique d’art n’existe pas.

Comble d’exigüité, les 15 auteurs appartiennent presque tous à l’aire géographique et culturelle Aja-Tado, Sud-Togo et Sud-Bénin. Si donc leurs écrits parlent de l’homme et des choses ici et maintenant, quid de l’homme et des choses dans les Collines et dans l’Atakora ? Non seulement donc leurs écrits ratent la cible de l’universalité mais encore celle de la simple territorialité.
Soit, par exemple, la phrase : ‘‘Le plaisir musical est analysé à partir des pages d’Un Amour de Swann de Proust. Mais c’est surtout l’analyse du Boléro de Ravel qui est le couronnement de cette prise d’assaut de la forteresse de la sensibilité, de l’affectivité et de la spiritualité, par la pensée plane. » C’est l’une des millions de phrases par lesquelles Barthélemy Adoukonou offre aux chercheurs du monde entier son volumineux ‘‘essai d’une herméneutique chrétienne du Vodun dahoméen ». En effet, au temps de son baccalauréat philo-lettres au Dahomey, on ne servait pas aux apprenants des textes hâtifs, mais des œuvres accomplies. Forts de la solidité du socle qui les a portés, ils peuvent lâcher plus tard les amarres et aller chercher loin, au fond d’eux-mêmes, pour l’offrir au monde, en étant crédibles, ce qui manque au monde du fait que l’Afrique manque au monde. Sur la base de la ‘‘Nouvelle liste des œuvres littéraires au programme de français », un Béninois candidat à des études supérieures en sciences humaines dans une université européenne est assuré de voir porte close parce que, ‘‘sur les 26 auteurs qui vous ont accompagné au baccalauréat, 18 n’ont aucune résonnance ici. Votre mise à niveau prendra deux ou trois ans.  »
Les blessures de l’Ecole Nouvelle et des Nouveaux programmes ne se sont pas encore tout à fait refermées que voici la Nouvelle liste. Liste sans doute par trop complaisante. Quel malin plaisir pousse les responsables de l’enseignement au Bénin à se précipiter, à refuser aux programmes et aux réformes le droit à ce que Aimé Césaire appelle ‘‘un mûrissement, une lenteur, année par année, anneau par anneau », à refuser l’effort conseillé par Boileau : ‘‘Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » ? Est-il encore temps d’enchanter la Béninoise qui s’est arraché les cheveux aux USA et le Béninois criant en France à l’assassinat de la jeunesse et de la culture ? Nous aimons la culture. Nous aimons notre jeunesse.

 

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