Bénin – Annulation de passeports : l’avis technique du juriste Prince Agbodjan

Il y a quelques jours le ministre de la justice et de la législation a sollicité l’annulation des passeports de Komi Koutché, Léhady Soglo et Abou Seïdou, au motif qu’il y une procédure judiciaire à leur encontre. Cet état de chose a suscité de vives réactions dans l’opinion publique, avec des critiques à tort ou à raison. Pour mieux faire comprendre les implications juridiques de l’annulation de passeport d’un citoyen, le juriste Prince Agbodjan a fait des observations techniques du point de vue des lois.

Pour l’homme de droit, la liberté d’aller et venir d’un citoyen est un droit reconnu, aussi bien par la constitution béninoise que par la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples. A en croire monsieur Agbodjan, la liberté d’aller et venir est une composante de la liberté individuelle. Elle est inhérente à la personne humaine : se mouvoir, stationner, séjourner fait partie de ses fonctions vitales. Mieux, toute personne peut se déplacer sans entrave et dispose d’une liberté de déplacement pleine et entière. Les autorités publiques ne peuvent donc y apporter de restriction, selon le juriste.

Prince Agbodjan fonde son argumentaire sur cinq (05) éléments juridiques tirés de la constitution, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du Protocol N°4, à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans oublier le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement adopté par la (CEDEAO). Ces éléments juridiques évoqués, contiennent des dispositions qui motivent le juriste à penser que la démarche du ministre, est illégale et et viole le droit d’aller et venir des mis en cause.

Fondement :
Article. 25 de la Constitution du 11 décembre 1990 – L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation.

Article 12.2 de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait partie intégrante de la Constitution du 11 décembre 1990 « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ».

Article 2.2 du Protocole n°4 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la convention et dans le premier protocole additionnel à la convention « Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ».

Article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ».
Le Protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement adopté par les Etats de la Communauté Economiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en mai 1979 en son article 2 consacre le droit des citoyens de la Communauté d’entrer, de résider et de s’établir sur le territoire des Etats membres.

Article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays.

Il conforte sa démonstration avec une jurisprudence de la Cour de cassation française, celle de l’arrêt dit « Bonnet » en date du 28 novembre 1984. Cet arrêté, repris par d’autres juridictions régionales, s’est fondée, selon lui, sur ces dispositions internationales pour juger que le retrait d’un passeport par la police des frontières pour motif fiscal constituait une voie de fait, car il y avait atteinte grave à la liberté fondamentale de quitter le territoire national. « Le Conseil d’Etat français adopte la même position mais en se fondant sur l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », a-t-il poursuivi.

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Au bout de son analyse juridique, Prince Agbodjan tire trois conclusions qui mettent en cause l’annulation des passeports de Komi Koutché, Léhady Soglo,  Abou Seïdou.

En maintenant une décision indiquant l’annulation d’un titre de voyage ordinaire, le Bénin risque de se faire condamner comme ce fut le cas dans l’arrêt Bonnet.

Il faut donc retenir qu’on ne peut pas empêcher un citoyen de se déplacer en annulant le document permettant à ce dernier de circuler. Même si l’on lui reproche des choses, il faut accorder à ce citoyen la possibilité de circuler, de se déplacer pour se faire entendre.

En tout état de cause, il faut se rappeler qu’en temps de paix, toute mesure de police générale et absolue tendant à restreindre ou empêcher l’exercice de cette liberté est considérée comme illégale.

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