Bénin: Talon vs Ajavon, retour sur 10 ans de rivalité économique devenue conflit politique

Depuis Novembre 2016 et la sulfureuse affaire des « 18 kg de Cocaïne » beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le Président Patrice Talon et son rival le Président du Patronat Sébastien Ajavon. Si tout le monde est d’accord pour dire qu’aujourd’hui, ces anciens alliés politiques sont opposés, peu de choses filtrent en revanche sur les causes de ce conflit. Qu’est ce qui oppose Ajavon à Talon? Est ce la politique? Les affaires? S’agit-il d’un cinéma comme le Bénin nous y a tant habitué? Quelle sera l’issue de ce conflit?….

2006: Début de la Rivalité

Fin 2005, Patrice Talon est un homme d’affaires très discret et inconnu du public mais très respecté et craint dans le milieu des affaires. Il est alors en rivalité pour le contrôle du secteur cotonnier avec Martin Rodriguez et Francis da Silva. Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2006, Patrice Talon va flairer le bon coup en soutenant le Dr Yayi Boni au détriment de la famille Soglo à laquelle il était pourtant très lié. Ce soutien lui permettra d’imposer son monopole sur le coton (en faisant nommer notamment son ministre de l’agriculture actuel, premier ministre de l’agriculture de Yayi Boni) et de prendre le dessus sur ses rivaux de l’époque.

C’est donc très logiquement que de nombreux opérateurs économiques impliqués dans le secteur cotonnier vont subir les foudres du Régime Yayi comme par exemple Sefou Fagbohoun qui va être incarcéré et va devoir céder son usine de N’Dali à Patrice Talon. Ainsi, les premières années de Présidence de Yayi Boni vont coïncider avec la prise de pouvoir outrageuse de Patrice Talon sur le secteur cotonnier béninois. Nous sommes donc dans l’ère de la toute puissance de Patrice Talon…

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Pendant ce temps, Sébastien Ajavon, commerçant ayant su profiter des avantages à commercer avec le Nigeria est en 2006 un homme d’affaires aguerri, fortement installé dans l’Ouémé. Pas impliqué dans les marchés d’Etats, il soutient quand même financièrement Adrien Houngbédji, leader naturel du Parti du renouveau démocratique (PRD) et de l’Ouémé. Ce soutien est connu de tous et va déjà attirer les radars contre lui à la victoire de Yayi Boni contre Adrien Houngbédji.

La première contrariété entre ces deux hommes va survenir en cette année 2006. Alors que Patrice Talon pense être en mesure de contrôler le monde des affaires béninois, il est surpris lorsque Sébastien Ajavon qu’il ne soutient pas réussit à devenir Président du Patronat. Dans le camp Talon, on ne voit pas d’un bon œil ce nouveau statut pris par un homme d’affaires qui n’est pas de leur camp mais la contrariété n’ira pas plus loin, l’un et l’autre se respectant à bonne distance.

2011: la première « trahison » de Talon ?

Depuis la venue de Yayi Boni au pouvoir, Sébastien Ajavon ne cesse de rencontrer des petites difficultés de la part du pouvoir sans qu’on puisse expliquer la raison réelle de la brouille entre le Président Yayi et le Président du Patronat. Talon pendant ce temps a pu considérablement accroître sa fortune et son réseau d’influence. Les relations entre Talon et Ajavon sont quand même cordiales et ils ont d’ailleurs en commun plusieurs collaborateurs via le Patronat.

Vient alors la question des élections de 2011. Afin de faire peser la voix du Patronat, Sébastien Ajavon essaye de prendre l’avis des hommes d’affaires béninois par rapport au soutien qu’ils doivent apporter aux candidats. Bien qu’ayant de bons rapports avec Yayi, il semblerait que Patrice Talon se soit engagé auprès de Ajavon à soutenir Houngbedji et l’Union fait la Nation (UN). Il se rendit d’ailleurs quelques jours plus tard au domicile de Houngbédji afin d’établir les bases d’un soutien.

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Selon le camp Talon, cette visite n’était qu’une visite de courtoise à son aîné qui est également son voisin. Il n’aurait jamais été question de soutenir Houngbédji. Mais dans les coulisses, il semblerait plutôt que des négociations étaient en cours avec Houngbédji mais que le camp Yayi, dos au mur face à la pression, ait cédé à la volonté du duo Talon/Boko de se voir accorder la gestion du Programme de Vérification des Importations (PVI), d’où naîtra Benin Control. Adrien Houngbédji confirmera cette version avec cette célèbre phrase  » Patrice Talon est venu chez moi a pied en culotte et tapette pour m’assurer de son soutien, alors qu’il s’agissait d’une mise en scène pour obtenir le PVI ».

C’est après ces événements que Candide Azannai, le bras droit au niveau politique de Patrice Talon soutiendra ainsi Yayi en accusant le PRD d’être à l’origine de la fameuse affaire ICC Services. Résultat, Yayi fera un K.O et Talon obtiendra les Contrats de Bénin Control et de Atral alors que Ajavon sera poursuivi par le fisc avec un redressement fiscal.

2012-2015: l’Union des Hommes d’Affaires contre Yayi Boni et la « trahison » de Ajavon?

Alors que Ajavon est dans le viseur du pouvoir depuis 2011 avec un redressement fiscal contre lui et des interviews données par Yayi Boni où il est traité d’opérateur économique non vertueux, Patrice Talon rentre en 2012 dans un conflit ouvert et brutal avec son ami, le Président Yayi ( affaire empoisonnement, subventions du coton, suspension du PVI, expropriation de la SODECO). Patrice Talon alors en exil contacte les deux hommes d’affaires majeurs en conflit avec le pouvoir, à savoir Sébastien Ajavon et Samuel Dossou, afin de former une alliance pour défendre leurs intérêts, ramener Yayi à de meilleures intentions et surtout choisir un candidat consensuel pour l’élection présidentielle de 2016. Bien que Ajavon n’ai pas oublié le coup que Talon lui aurait fait, il accepte de s’allier à lui face à l’urgence d’empêcher Yayi Boni de persécuter tous les hommes d’affaires.

La pression mise sur Yayi finit par payer pour Ajavon dont le redressement fiscal est annulé et l’État s’engage à lui rembourser ce qu’il lui doit. Samuel Dossou se voit quand à lui promettre qu’une issue serait trouvée à la situation des chemins de fers. Pour le cas de Patrice Talon, Yayi Boni refuse toute négociation sur Bénin Control et Atral mais est ouvert à réintroduire Talon dans le coton s’il s’engage à publier une lettre d’excuse par rapport aux événements de ces dernières années.

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Patrice Talon ressent cette période comme une trahison. En effet, les concessions qui lui sont demandées sont trop importantes et il se refuse à renoncer au PVI et pour les excuses, il n’en est absolument pas question. Il prend donc la décision de se préparer discrètement pour les Présidentielles 2016, persuadé que personne à part lui même ne lui permettra de récupérer ses contrats. Il a donc le sentiment d’avoir été utilisé par Ajavon qui a pu régler ses problèmes avec le pouvoir et qui peut dorénavant faire des affaires en très bonne posture alors que lui continue d’être isolé à Paris.

En apprenant la décision de Talon de se présenter, Ajavon soutenu par Dossou tenta de le convaincre de renoncer à sa candidature mais face au refus de Talon, il considéra que Talon ne respectait pas leur accord de laisser la politique aux hommes politiques et décida de se présenter également… Il faut comprendre que sur la question du PVI, Ajavon et Talon n’ont jamais été d’accord, raison pour laquelle Ajavon ne pouvait accepter que Talon ne devienne Président et ne remette en place le PVI.

2016: Rivalité Présidentielle, Alliance Politique et Guerre Totale

Après 10 ans de petites rivalités dans les affaires, les deux principales fortunes du Bénin s’affrontent sur le terrain politique. Talon 2ème réussit à l’emporter face à Ajavon 3ème qui fait le choix de soutenir son rival malgré ses craintes sur l’homme et la question du PVI. Après tout, le premier objectif devait être prioritaire: mettre fin au système Yayi.

Finalement après 4 ans d’exil, Talon a réussit son pari fou et le voila Président du Bénin. Cependant, certaines rancunes et rivalités ne s’oublient pas. La campagne a été très intense et la force de frappe économique qu’a démontré Ajavon a effrayé tout le monde et surtout son rival aujourd’hui Président. Ajavon même en soutenant Talon ne se rend pas compte qu’il est devenu une cible. Pour recevoir le soutien du 3eme à l’élection, Talon a pris quelques engagements: 5 ministres, surtout le ministère de l’Énergie, rembourser les dettes de L’État envers les sociétés de Ajavon, faciliter les investissements des béninois dans l’Énergie mais surtout les hydrocarbures afin de réguler le kpayo sans mettre au chômage des milliers de Béninois, surtout ceux issus de l’Ouémé, base électorale de Ajavon.

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Patrice Talon ne pouvait pas faire respecter ces accords. Après 5 ans de lutte avec Yayi Boni, Il en est sorti épuisé et à court financièrement. Dans ces conditions, collaborer avec Ajavon, c’est renforcer un homme avec lequel il n’aura finalement jamais pu s’entendre, et même si leur relation est bonne, rien ne dit qu’elle le restera bien longtemps surtout que Ajavon sera probablement candidat aux Présidentielles de 2021… Sébastien Ajavon devint alors l’ennemi numéro 1 du Régime (affaire cocaïne, retrait d’agréments, redressements fiscaux etc…).

2018 à 2021: Retour de l’affrontement Politique ?

Alors que les manœuvres et négociations politiques battent leur plein, chaque camp affûte ses armes pour les prochaines joutes électorales. Sébastien Ajavon a finalement créer son parti politique dénommé Union Sociale Libérale (Usl) dont il est le président d’honneur alors que Patrice Talon à coaliser tous ses soutiens politiques en deux blocs. Les Législatives de 2019 seront donc un premier test pour jauger les forces en présence, avant la prochaine grande bataille de l’élection Présidentielle de 2021.

Face à ces deux géants, le reste de la classe politique n’aura que des miettes, mais qui sait? Peut être qu’un d’entre eux aura la chance de jouer le rôle d’arbitre entre ces deux poids lourds des affaires devenus aujourd’hui poids lourds de la politique…

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