Algérie : l’armée va-t-elle mettre fin à tout espoir de démocratie?

Alors que les algériens descendent dans les rues avant l’élection présidentielle d’avril, l’avenir de ce pays pourrait-il être dicté par l’armée nationale algérienne?

Le 22 février, le peuple algérien s’est rendu sur les médias sociaux et dans les rues pour exprimer la lutte de générations qui n’ont connu que la corruption et le régime autocratique de Bouteflika. Les manifestations ont fait suite à la candidature du président Abdelaziz Bouteflika, en difficulté sanitaire, à un cinquième mandat présidentiel, largement considéré comme une atteinte à la dignité du peuple. Le président a rarement été vu en public depuis son accident vasculaire cérébral en 2013 et est cloué dans  un fauteuil roulant. La maladie de cet homme de 82 ans ne constituait également pas un obstacle à son épuration des services de renseignements et des forces militaires redoutées, largement considérés comme un État profond capable de rivaliser avec le pouvoir du président.

Alors que Bouteflika fait face à une forte opposition de la part des candidats politiques enregistrés qui le confrontent, ses plus grands adversaires se trouvent dans les rues de la nation nord-africaine. Mais même les manifestants pourraient ne pas avoir leur mot à dire sur l’avenir de l’Algérie. L’avenir du pays peut être déterminé une fois de plus, dans une sombre répétition de l’histoire, par l’armée nationale algérienne.

La purge

Alors que des spéculations s’ensuivent sur la position de l’armée algérienne à l’égard des manifestations, une chose est sûre: l’armée de la décennie noire n’est plus l’armée d’aujourd’hui. Fin août 2018, quatre des six commandants militaires régionaux algériens ont été démis de leurs fonctions, après le limogeage du chef de la police militaire et cinq des six commandants régionaux de la gendarmerie, à la suite d’une nouvelle purge en juillet qui a entraîné le retrait des plus importants dirigeants militaires et de la sécurité du pays. Deux ans auparavant, Bouteflika avait arrêté le chef des services de renseignements le plus puissant d’Algérie, le général Mohamed Mediene, surnommé le «dieu de l’Algérie» ou «Toufik», après 25 ans de règne incontestée. Mediene a été formé par le KGB soviétique dans les années 1960 et serait l’un des plus anciens chefs de services secrets au monde.

Après son arrestation, Bouteflika a ensuite démantelé le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), anciennement dirigé par «Le dieu de l’Algérie», devenu une force secrète tentaculaire. Bouteflika a remplacé le DRS par un nouveau corps lui étant fidèle appelé le CSS, dirigé par un général à la retraite. Alors, qui était le dernier homme debout? Le chef d’état-major Ahmed Gaid Salah, loyaliste de Bouteflika et dernier vestige de la vieille garde de la révolution, commande toute la force de l’armée algérienne. Mais l’homme de l’armée de Bouteflika a déjà tracé sa ligne dans le sable, faisant allusion à l’intervention possible de l’armée pour faire face aux manifestations si elles devenaient incontrôlables, alors que toute intervention risquait de déclencher un conflit et une guerre civile franche.

Le contraste

S’exprimant mercredi à l’Académie militaire de Shirshal, à seulement deux heures de route de la capitale algérienne en proie à des manifestations populaires, il a déclaré aux chefs militaires et aux élèves-officiers que l’armée algérienne était prête à « assumer toutes ses responsabilités ». Salah a déclaré que le succès du pays « dans l’éradication du terrorisme … a déplu à certaines parties qui sont bouleversées de voir l’Algérie stable et en sécurité ». « Un peuple qui a vaincu le terrorisme sait comment préserver la stabilité et la sécurité de son pays », a averti le chef d’état-major. Ses commentaires ont une signification politique pour l’avenir du pays. En contraste frappant, la très estimée Organisation nationale des moudjahidines (NOM), des vétérans de la guerre qui ont combattu dans la guerre d’indépendance algérienne de 1964-1962, s’est rangée du côté du peuple. « Il est du devoir de la société algérienne dans tous ses segments de descendre dans la rue », ont-ils déclaré mardi 5 mars.

Selon un colonel algérien à la retraite, autrefois responsable du programme de fabrication d’armes du pays, dans une entretient sous anonymat, avec le média TRT World, a déclaré que «l’armée ne va pas intervenir pour le moment, car ce n’est pas son problème. Mais ils ont un mandat constitutionnel pour maintenir la paix et la stabilité, et il est très facilement invoqué. À l’heure actuelle, les forces armées s’emploient à empêcher les opportunistes et les radicaux de faire passer des armes à la frontière subsaharienne et libyenne afin de semer le grand trouble dans le pays. » Pour le professeur de sciences politiques à l’Université de Constantine, Djallel Bougerra, « la position de la NOM est un coup porté à la légitimité de la coalition au pouvoir. Ils ont été les pères de la révolution algérienne.» «Même si la clique de Bouteflika est déchirée, le prochain dirigeant doit gagner les faveurs du Pouvoir», a-t-il déclaré, évoquant le nom populaire de l’élite secrète et mystérieuse de l’Algérie, qui constituerait l’état profond du pays.

Kingmakers

Rachid Benyelles, ancien amiral, général et secrétaire général du département de la défense, ainsi que ministre de l’ancien président algérien Chadli Bendjedid, écrit dans ses mémoires Dans les arcanes du pouvoir, à Alger, en mai 2017, à quel point la politique algérienne a modifié. « Boumediene (le premier président algérien) n’a jamais impliqué l’armée dans la prise de décision. Il a même interdit aux hommes politiques de s’approcher de l’armée. » Il ne mentionne cependant pas la position de Boumediene en tant que commandant en chef des forces révolutionnaires algériennes.

Le colonel algérien à la retraite souligne aussi que, «lorsque nous parlons de l’armée algérienne, nous ne parlons pas de l’armée dans son ensemble, mais de quelques officiers supérieurs et généraux. L’armée a créé cette nation. C’est l’institution la plus puissante et la plus ancienne, ce qui en fait le plus à même de décider de l’avenir de notre pays. » Il va sans dire que quelle que soit leur position, le rôle des militaires dans la détermination du sort de l’Algérie ne peut être sous-estimé.

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