Bénin – nouveau siège du Parlement : qui bloque la transmission du dossier à la Criet ?

Initiés en 2002 et démarrés en février 2009 pour une durée de vingt-quatre (24) mois, les travaux de construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale n’ont pu être achevés jusqu’à ce jour malgré l’expiration du délai contractuel. Présentant le rapport d’audit à la représentation nationale lundi 07 mai 2018, José Tonato, ministre du développement et du cadre de vie a rassuré les contribuables béninois de la volonté inébranlable du gouvernement d’intenter des actions en justice. Mais depuis, l’exécutif se mue dans un silence assourdissant.

Selon nos ressources généralement bien informées, plusieurs personnes tapies dans l’ombre feraient feu de tout bois pour empêcher l’éclatement de la vérité au sujet des 20 milliards engloutis dans les travaux de construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale. Au-delà des thuriféraires de l’ancien régime, des cadres proches de Patrice Talon sont impliqués dans la réalisation de cet ouvrage. C’est le cas par exemple  d’une société appartenant à un proche du régime qui, après avoir perçu une avance de soixante-dix millions cent mille cinquante-trois francs (70 100 053) sur un montant TTC de deux cent trente-trois millions six cent soixante-six mille huit cent quarante-cinq francs (233 666 845), n’a connu qu’un taux d’exécution physique de 1,50%.

Les 35 dysfonctionnements et dérapages

Le Magazine Bénin Révélé a eu accès aux conclusions de cette mission d’audit qui a soulevé de graves problèmes et dysfonctionnements. Il s’agit de :

  1. Conduite non maîtrisée des études architecturales et techniques du projet devant assurer sa qualité à la phase de réalisation, soit une défaillance dans la phase de conception,
  2. Conduite non maîtrisée dans la procédure de Permis de Construire et l’élaboration d’une Notice de Sécurité
  3. Manque criard de professionnalisme et de rigueur de tous les acteurs, en particulier du Maitre d’Ouvrage Délégué, la SERHAU-SA.
  4. L’immixtion inopportune du Maître d’Ouvrage pour pallier à la défaillance du Maître d’Ouvrage Délégué a été contre-productive pour le projet.
  5. Chantier dans un état d’abandon avec de graves malfaçons sur gros-œuvre des bâtiments malgré l’importance des ressources financières mobilisées pour son exécution et les nombreuses reprises,
  6. La SERHAU-SA, Maître d’Ouvrage Délégué, le Groupement TROPHEE, Maître d’œuvre, les autres acteurs du Corps de Contrôle, ainsi que les administrations respectives qui ont conduit les régies, sont les responsables effectifs de cet échec, leurs responsabilités sont entièrement engagées.
  7. Il n’est pas prouvé que les investissements effectivement réalisés puissent coûter les 20 milliards de francs CFA
  8. La négligence, la mauvaise gestion des ressources publiques, la consciente renonciation aux procédés techniques universellement reconnus et à un recours aux professionnels avérés et expérimentés ont produit ce solde catastrophique d’un bâtiment qui est déjà, hélas, dans une dégradation avancée.

(Elles ont amené l’auditeur à réserver son avis favorable à la stabilité et à la sécurité du chantier du nouveau siège de l’Assemblée Nationale).

Détail des dysfonctionnements constatés

Au plan technique et organisationnel

  1. Immixtion intempestive du gouvernement, Maître d’ouvrage, plus que de besoin dans les prises de décisions majeures, pour palier à la défaillance du MOD. Et ce, malgré l’existence d’une convention de maitrise d’ouvrage déléguée (MOD) en bonne et due forme. Cela a négativement impacté la réalisation des travaux, selon les règles de l’art.
  2. Mise en place d’une commission de dépouillement des offres des entreprises, par l’ex MUHA dès le début du processus, se substituant au MOD, en violation des clauses contractuelles contenues dans la convention.
  3. Toutes les suspensions des travaux ont été décrétées par le Maître d’Ouvrage et ont contribué à démobiliser tous les acteurs du projet.
  4. Défaillance de la SERHAU-SA, maître d’ouvrage délégué en charge de la réalisation du projet, qui n’a pas correctement assuré sa fonction d’ordonnancement, de pilotage et de coordination (OPC) du projet. Elle a fait montre de carences graves ayant occasionné la non maîtrise du coût et du délai d’achèvement de ce projet relativement complexe.
  5. Violation du Code des Marchés Publics car la plupart des marchés passés par le MOD n’ont pas été entérinés par la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics (DNCMP). La SERHAU s’est contenté d’avis de non objection (ANO) du Maître d’Ouvrage.
  6. Chantier lancé sans une procédure de dépôt de Permis de Construire (PC) ; d’où le non-respect de la réglementation en matière de Sécurité Incendie. En situation normale, les attendus du Permis de Construire devaient être délivrés par le Groupement des Sapeurs-Pompiers.
  7. Changement de site du projet. Ce dernier a été déplacé du site originel sur terre ferme sur un site plus délicat au bord de la lagune de Porto-Novo,
  8. Retrait du bureau d’étude technique AUXI BTP, en charge des études techniques d’ingénierie Génie Civil, qui a renoncé au reste de sa mission après les premiers appels d’offres ; ce qui a engendré d’énormes difficultés de maîtrise de ce volet par la suite.
  9. Chantier exécuté sans études techniques sérieuses, notamment les études d’avant-projet détaillé (APD) et les plans d’exécution, autant de pièces incontournables qui doivent être dûment contrôlés et validés par les corps habilités pour garantir dans la bonne mise en œuvre d’un projet de cette envergure et de cette complexité.
  10. Des ouvrages ont été exécutés avant l’approbation des plans d’exécution ;
  11. 11 Décembre 2011 : Effondrement de la passerelle reliant le bloc infirmerie à l’hémicycle – aucun rapport d’expertise justifiant les causes réelles de cet effondrement n’a été mis à la disposition de la mission de l’Inspection Générale du Ministère ;

De la mauvaise exécution des travaux

  1. Des erreurs d’implantation des poteaux servant d’appui à la charpente, de positionnement et d’alignement des murs, des poutres et des poteaux sur les façades, d’aplomb au niveau des voiles, de la trémie des cages d’ascenseur, ségrégation du béton et corrosion des armatures au niveau de l’ensemble de la structure (poteaux et poutres), démolitions et reprises hasardeuses, non-respect des plans, pas de superposition des plans de charpente et du gros-œuvre, poteaux, poutres et poutrelles sans appui, etc.. -(Toutes ces erreurs ont déjà nécessité des reprises de travaux dans des conditions techniques et contractuelles douteuses.)
  2. Des plans et des documents graphiques ont été abandonnés à la seule initiative et expertise des entreprises, qu’ils n’ont pas toujours été soumis à l’approbation des structures compétentes, notamment le bureau de contrôle technique, SOCOTEC.
  3. Le bureau de contrôle n’offrait plus depuis longtemps toutes les garanties techniques et juridiques nécessaires à sa mission ainsi qu’à la bonne conduite de ce chantier dans les règles de l’art et les conditions optimales de sécurité.
  4. Absence de Permis de Construire, manquement très préjudiciable pour la sécurité incendie du projet, fait que l’entreprise SOCOTEC n’a pas signalé
  5. Défaut de Rapport Initial de Contrôle Technique (RICT) de la part de SOCOTEC.
  6. Le Système de Sécurité Incendie (SSI) que propose SEIB n’a nullement fait l’objet de validation de la structure prescripteur (Groupement des Sapeurs-Pompiers). Il en est de même pour tous les moyens de secours du projet. [La mauvaise nature du sol du nouveau site, du fait de la proximité de la lagune, nécessite des fondations spéciales, notamment des pieux à une profondeur adéquate, donc des ouvrages qui requièrent une grande technicité et qui coûtent relativement cher. Devant ces difficultés, il a été demandé à l’entreprise de faire choix de colonnes ballastées sur lesquelles un radier général a été posé.]
  7. A l’étape de cette décision, l’entreprise et le corps de contrôle n’avaient aucune compétence pour calculer, exécuter et réceptionner ce type de fondation.
  8. Le radier poinçonne à plusieurs endroits, du fait d’une répartition déséquilibrée des charges et peut céder à tout moment.
  9. Les terrassements et les VRD ont aussi connu des travaux supplémentaires ; ils ont été finalement confiés au Génie Militaire, sans contrat à ce jour.

Au plan financier et juridique

  1. Les deux premières conventions étaient consacrées aux études architecturales et techniques, ainsi qu’au dédommagement des présumés propriétaires du nouveau site.
  2. La troisième convention pour les travaux était d’un montant de 000.000.000 F CFA TTC, pour un délai d’exécution de deux ans.
  3. Non maîtrise du coût du projet : Le coût global du premier appel d’offres des travaux avoisinait déjà 100.176.369 F CFA TTC, pour les dix premiers marchés en 2008-2009, contre un montant prévisionnel global de 18.565.050.000 F CFA.
  4. Un surcoût s’élevant à un total de 8.776.698.911 FCFA TTC dû à la suspension, au retard dans sa réalisation et à une saisie de fonds,
  5. les coûts liés aux procédures judiciaires pendantes : (i) contentieux : 2.598.143.338 FCFA TTC ; (ii) actualisation de 15,8% dus à l’arrêt des travaux (bureau VERITAS Bénin) : 4.400.544.450 FCFA TTC ; (iii) dégradations diverses : 1.354.017.339 FCFA TTC ; (iv) remise aux normes de Sécurité Incendie (QCS Services) : 350.000.000 FCFA TTC.
  6. Marchés résiliés par le maître d’ouvrage, mais dont les avances n’ont pas été remboursées :

i.414.657.524 FCFA perçue par le groupement EMCR sur le lot 7 des revêtements étanchéité et peinture,

  1. 368.938.543 FCFA perçue par l’entreprise Princesse d’Or sur le lot 3 menuiserie-aluminium,

iii. 388.162.870 FCFA comme reliquat de remboursement d’avance de démarrage sur le lot 9 charpente couverture faux plafonds resté par devers l’entreprise Princesse d’Or,

  1. 1.426.384.401 FCFA saisis par la justice par suite d’une plainte du groupement EMCR.
  2. La SERHAU-SA a encaissé un trop perçu de 254.601 F CFA TTC au titre de ses honoraires de MOD. Elle justifie cet écart par le recrutement de l’assistant OPC qui lui a été imposé par l’audit du bureau VERITAS Bénin.

A la lumière des irrégularités notées par l’audit, le gouvernement avait décidé de creuser l’abcès. Dans cette optique, le ministre José Tonato a rassuré les députés de ce que le gouvernement va exercer tous les recours en garantie contre les différents responsables de cet éléphant blanc. Près d’un an après son intervention, rien ne se profile à l’horizon. Le gouvernement gagnerait donc à transmettre le dossier à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) pour ne pas donner raison aux observateurs qui pensent que la lutte contre la corruption est sélective.

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