Bénin – An 3 de Patrice Talon : des exploits, des frasques et des ambitions (2 sur 3)

Elu à plus de 65% des suffrages exprimés lors du 2nd tour de la présidentielle le 20 mars 2016, Patrice Talon boucle ce 06 avril 2019, trois années d’exercice du pouvoir d’Etat. Les indicateurs de performance affichent un bilan mi-figue, mi-raisin. Bénin Web Tv se propose de faire une rétrospection sur les trois années de la gouvernance de Patrice Talon empruntes d’actions et de déceptions.

Dans la première partie de notre dossier, nous avons évoqué avec vous, tous les exploits d’un président qui se veut réformateur et qui a promis de révéler le Bénin au Béninois et au monde entier. Dans cette deuxième partie, nous parlerons des intrigues, des déboires, des rétropédalages, des ratés et des grosses bourdes du gouvernement durant ces trois dernières années. Un dossier réalisé par Hervé Ganhouégnon, Ignace Sossou et Benn Michodigni.

Les frasques du régime Talon

« Le Programme d’Actions de mon Gouvernement pour le quinquennat 2016-2021 est porteur d’espérance ». C’est l’une des vérités indiscutables du président Talon contenu dans le document du PAG « Bénin Révélé ». Elu président de la République à plus de 65% des suffrages exprimés le 20 mars 2016 à l’issue du second tour de la présidentielle, Patrice Talon, avait réellement suscité de l’espoir d’un « Nouveau Départ », son concept de campagne. Mais à force d’aligner des frasques dans sa gouvernance du pouvoir d’Etat, ce concept semble devenir un slogan galvaudé.

  • La réforme du système partisan comme moyen d’exclusion de l’opposition !

Dans son mot introductif au PAG, le chef de l’Etat béninois a indiqué que « la position stratégique du Bénin en Afrique de l’Ouest, son capital humain, sa stabilité politique et ses patrimoines sont des avantages indiscutables ». C’est donc pour faire connaître et exploiter au mieux ces avantages de manière à relancer durablement le développement du pays que le président Talon a initié des réformes institutionnelles et politiques. La réforme du système partisan était l’une des réformes majeures du système politique du pays. Mise en œuvre par un petit groupe constitué au tour du chef de l’Etat, elle s’est soldée par un échec cuisant de la révision « non consensuelle » de la Constitution du pays.

Mais pour asseoir son idéal politique et régenter la classe politique du pays, le régime Talon, soutenu par la majorité des députés à l’Assemblée nationale, a pu faire passer au Parlement une nouvelle loi électorale et une nouvelle charte des parties politiques. Si la première vise à limiter les candidats aux élections présidentielles et législatives sur la base du pouvoir économique (250 millions fcfa de caution pour être candidat à la présidentielle et 249 millions de caution pour une liste aux législatives), la seconde nourrit l’ambition d’instaurer le financement public des partis politiques avec comme condition sine qua non, la disparition du paysage politique du pays des formations politiques régionalistes aux profits de « grands » partis politiques.

Ces lois qui n’ont pas reçu l’assentiment de tous les acteurs politiques du pays montrent déjà leurs limites. Mises en œuvre pour les élections législatives d’avril 2019, ces lois taillées sur mesure ont très vite plongé le pays dans une impasse politique : les principaux partis politiques d’opposition au pouvoir Talon se voient exclus du processus électoral, une première dans le pays depuis l’avènement du renouveau démocratique en 1990. Face à la situation, Patrice Talon a semblé capituler. A la faveur d’une rencontre avec les acteurs politiques, il a instruit le président du Parlement pour trouver une solution de sortie crise. Une mission quasi-impossible qui conduit le pays droit vers une élection exclusive entre les deux partis politiques proches du président de la République qui, contrairement aux partis d’opposition, semblent bénéficier des « faveurs mineures » des instances chargées de l’organisation des élections.

  • Le Bénin, un Etat voyou !

« Un Etat voyou, c’est un Etat qui ne respecte pas les décisions de justice ». Telle était la définition d’un « Etat voyou » par Patrice Talon, alors homme d’affaires ayant des contentieux avec l’Etat béninois dirigé par le pouvoir Yayi. Entre 2013 et 2016, le magnat du coton a remporté plusieurs batailles juridiques contre l’Etat béninois qui n’a daigné mettre en exécution les décisions de justice. Dans son diagnostic de l’exercice du pouvoir exécutif au Bénin, le candidat à la présidentielle de 2016, Patrice Talon, a fait observer que la « surpuissance » du président de la République qui entraîne l’instrumentalisation et la politisation à outrance des autorités et instances de régulation, notamment dans les secteurs de la justice représente une menace sur les libertés fondamentales des citoyens.

Mais sous sa présidence, le pays semble confirmer, et même plus, son statut d’Etat voyou selon sa propre définition de l’expression. En effet, sous le régime Talon, le Bénin n’a pas cédé à l’injonction de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples de suspendre la condamnation prononcée par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet)  contre le président du patronat béninois, Sébastien Ajavon, dans l’affaire de 18 kg de cocaïne. « Les instruments juridiques à la disposition de la République ne permettent pas de répondre véritablement aux défis de l’État de droit ». Ce constat diagnostic du PAG apparaît de plus en plus comme un signe distinctif du régime du président Talon.

  • Quid de la cellule d’analyse des projets d’arrêtés ministériels et préfectoraux ?

L’espoir suscité par l’élection de Patrice Talon à la tête du Bénin ne résidait pas seulement dans sa capacité à développer très vite le pays parce qu’il est un riche homme d’affaires. Cet espoir était aussi fondé sur son expérience d’homme d’affaires structuré et très méthodique. Des qualités qui faisaient défaut au sommet de l’Etat. Mais à l’épreuve, Patrice Talon aurait appris, à ses dépens, qu’un bon gestionnaire d’un empire économique ne fait pas forcément un bon chef d’Etat.

Le premier défi que le président Talon s’était donné est l’assainissement de l’administration publique et l’instauration d’un régime fort par la centralisation des décisions stratégiques des structures clés du pays au palais de la présidence. Les ministères n’ont pas échappé à cette nouvelle dynamique. En août 2016, Patrice Talon prend un décret pour créer à la présidence de la République, la cellule d’analyse des projets d’arrêtés ministériels et préfectoraux. Les observations, quoi que objectives, du juriste Nourou-Dine Saka Saley, sur les vices constitutionnelles et administratives de cet décret lui a valu son limogeage du cabinet du ministre d’Etat chargé du plan et du développement.

Aujourd’hui, à la lecture de certains faits du gouvernement actuel, il est aisé de douter de l’opérationnalisation de ladite cellule. En effet, en juin 2018, le ministre des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle a annulé une décision prise 24 heures plus tôt pour généraliser le port de l’uniforme kaki dans les lycées et collèges publics et privés en République du Bénin. En février 2019, le gouvernement reproche au préfet du département du Littoral, Modeste Toboula, d’avoir pris en mars 2018 un arrêté pour lever les mesures d’interdictions des travaux de lotissement dans un quartier de la ville de Cotonou exclusivement classé pour sa vocation touristique. Où est donc passé la cellule d’analyse des projets d’arrêtés ministériels et préfectoraux ?

  • L’asphaltage au prix social fort…

« Pourquoi attendre des mesures sociales d’un président qui ne se fiche d’être populaire ou pas ? ». C’est la question lancée par un acteur politique de l’opposition à une foule de femmes qui ont perdu leur activité génératrice de revenu lors des opérations de libération des espaces publics en janvier 2017. Initiées en prélude au projet Asphaltage des artères des grandes villes du pays, les opérations de libération des espaces publics ont eu et continuent d’avoir, selon plusieurs analystes économiques, un impact important sur la vie socio-économique des béninois à faible revenu.

A Cotonou, la capitale économique, les opérations ont eu un écho retentissant. Plusieurs centaines de petits commerçants ont perdu leur activité sans la moindre mesure d’accompagnement. Les promesses de reconstruction et de modernisation des marchés secondaires de la ville en vue du relogement des sinistrés peinent à se concrétiser. Deux ans après la libération des espaces publics, le projet Asphaltage se met timidement en œuvre. Plusieurs espaces libérés sont, en attendant leur viabilisation, transformés en dépotoir sauvage d’ordures ménagères. Une situation qui relance dans l’opinion publique béninoise le débat sur les réels motifs des opérations de déguerpissement qui ont plongées plusieurs familles dans une disette chronique.

  • Lutte contre la corruption : le deux poids deux mesures ?

En 2016, le diagnostic du système national d’intégrité a révélé qu’au Bénin, la lutte contre la corruption est plombée par l’absence de volonté politique. C’est sans doute pourquoi, le régime du président Talon a fait de la lutte contre la corruption un défi majeur de gouvernance. De la moralisation de la vie publique à la création de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), le chef de l’Etat béninois n’a manqué d’afficher sa volonté manifeste d’enrayer ce phénomène qui gangrène l’administration publique béninoise et ternit l’image du pays à l’échelle internationale.

A l’avènement du pouvoir Talon, des audits ont été commandités dans plusieurs structures étatiques notamment le Fonds national de la microfinance (Fnm), la Société nationale des produits agricoles (Sonapra), le Fonds national pour l’entrepreneuriat et l’emploi des jeunes (Fnpeej), le Conseil national des chargeurs du Bénin (Cncb), la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers (Sonacop). Sur la base des résultats d’audit, des poursuites ont été engagées à l’encontre de plusieurs personnalités de l’administration publique pour des faits de corruption, de mauvaise gestion ou de détournement de fonds public.

Mais curieusement, certaines personnalités très proches du chef de l’Etat qui seraient impliquées dans des scandales financiers du nouveau siège de l’Assemblée nationale ou de la centrale électrique de Maria Gléta sous le régime Yayi sont restées imperturbables. Les exemples sont légions. Au cours d’une campagne pour la transparence dans la gestion publique, les organisations de la société civile ont exigé du gouvernement Talon la publication de tous les résultats d’audit ainsi que les contrats de gré à gré passés par le régime depuis son avènement. Des exigences qui sont restées lettre morte. Un état de chose qui laisse croire que le régime Talon fait une lutte sélective contre la corruption.

  • L’ARCH au creux de la vague

Le renforcement du capital humain est un défi planétaire. En Afrique, il est l’une des finalités des Objectifs de développement durable (Odd). Au Bénin, le sujet préoccupe les autorités gouvernementales. Dans le PAG, le régime Talon a initié le projet Assurance pour le renforcement du capital humain (Arch) qui comprend quatre prestations pour les personnes démunies exclues du système classique. Mais ce projet qui vient en remplacement au programme du Régime d’assurance maladie universelle (Ramu) initié sous le régime Yayi peine à se concrétiser depuis 2016.

  • L’énergie du pouvoir Talon peine à venir à bout de l’électricité ?

« Je peux vous dire qu’au plus tard janvier (2017 – ndlr), il n’y aura plus de délestage au Bénin. (…) En 2019, le Bénin sera totalement indépendant (en énergie électrique – ndlr) ». C’est ce qu’avait affirmé le président Talon en novembre 2016 lors de son déplacement à Parakou. Plus de deux années plus tard, les fruits semblent ne pas tenir la promesse des fleurs. En effet, la stabilité dans la fourniture de l’énergie électrique est sans doute l’un des défis que le régime Talon peine à relever depuis 2016. Il est vrai que, quelques mois après son accession au pouvoir, le régime Talon a trouvé des solutions urgentes à la crise énergétique qui secouait le pays depuis fin 2014. Mais force est de constater que ces solutions ont atteint leurs limites.

Depuis quelques mois dans les grandes villes du pays, des coupures intempestives d’électricité sont enregistrées quasi quotidiennement occasionnant des dégâts sur des appareils électroménagers et un ralentissement des activités économiques chez plusieurs artisans. Pour clarifier la situation, le Directeur général de la Société béninoise d’énergie électrique (SBEE), Laurent Tossou, a indiqué entre autres raisons que des reptiles et des lézards sont en partie responsables des perturbations dans la fourniture de l’électricité. Ces clarifications du DG Tossou jugées laconiques et abjectes laissent tout de même comprendre que le réseau électrique de la SBEE n’est pas résiliente, ce qui pose le problème de l’efficacité de ses services quand le pays va atteindre son autonomie énergétique.

  • Les casseroles de la Rupture

Qualifié, à tort ou à raison, de gouvernement modèle que le Bénin ait jamais connu, le gouvernement Talon traîne tout de même quelques casseroles : la violation de certaines dispositions de la constitution béninoise notamment la charte graphique du drapeau du Bénin sur les documents officiels et la restriction des libertés dans les universités publiques, les voltes faces du chef de l’Etat sur sa capacité à opérer le miracle du développement rapide du Bénin, la lourde conséquence de la réforme des évacuations sanitaires, les déboires de la communication gouvernementale notamment sur la santé du chef de l’Etat et la taxe sur les réseaux sociaux, la bourde du chef de l’Etat sur la superficie du Bénin, le licenciement en cascade d’agents contractuels de l’Etat sans des mesures d’accompagnement, le retrait déguisé du droit de grève aux agents de l’Etat, la main mise sur la presse, la liste est longue.

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