Bénin-politique : La « parodie » des acteurs

L’animation de la vie politique au Bénin revêt un caractère tout singulier. Depuis 1990, des acteurs disent, se dédisent et s’enlisent parfois au gré de l’intérêt du moment.

Le discours des politiciens ou des personnalités du Bénin sont comme les feuilles « mortes » qui sont sous le contrôle du vent. Des propos, des écrits et des positions affichés selon l’enjeu de l’heure, les intérêts du moment et des objectifs politiques qu’on se fixe. Un acteur politique béninois ou une personnalité publique qui ne façonne pas son discours selon les circonstances est souvent la risée de l’opinion publique. Les cas sont légions.

Le 10 janvier 2016, sur la chaîne de télévision privée Golfe TV, dans l’émission « Ma part de vérité », Orden Alladatin, alors secrétaire général du parti Alternative citoyenne avait déclaré que « Patrice Talon gouvernera dans un Etat de droit avec une justice indépendante ». Un souhait de tous les Béninois qui entendent enfin, en ce moment, s’extirper du traitement peu honorable infligé à ce secteur de la justice. Moins de deux (2) ans après, il a remplacé son titulaire à l’Assemblée nationale. Contre toute attente, Orden Alladatin avait fait partie des députés ayant soutenu et voté favorablement pour la loi N°2018-01 portant statut de la magistrature en République du Bénin et qui établit une interdiction du droit de grève à ces derniers.

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Sur la même chaîne, alors même que la loi a été déjà adoptée, jugée conforme à la constitution du 11 décembre 1990 et promulguée par le Président de la République, il affirme que « les magistrats ne devraient pas jouir de cette indépendance qui est d’ailleurs de trop car ne favorise aucunement le traitement à temps des dossiers à eux affectés ». Pire, il soutient que la présence massive des « allogènes » au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) impulsera une nouvelle dynamique à ce conseil. Au même moment, les acteurs du secteur soutiennent le contraire. Le député Orden Alladatin a ainsi changé de veste à ce sujet.

« Le régime du Président Patrice Talon continue de s’acharner sur les fils et filles de ce pays et les a contraint à l’exil. C’est inadmissible dans un Etat de droit comme le Bénin ». C’est ainsi que Alain Orounla, alors avocat de l’opérateur économique, Sébastien Germain Ajavon, qualifiait la gouvernance Talon quant aux acteurs ayant trouvé refuge dans d’autres pays aux fins d’échapper « à la chasse » du régime actuel. Ces propos qu’il tenait sur des chaînes de télévision et stations radios en ce temps sont aujourd’hui « derrière lui ». C’est un homme « nouveau » que les Béninois ont découvert au lendemain de sa nomination en tant que ministre de la communication, porte-parole du gouvernement du régime qu’il critiquait. Sur le même sujet, le ministre Alain Orounla a répondu en octobre dernier « qu’il n’y aucun exilé politique à l’heure actuelle et qu’il s’agit juste des gens qui fuient leur procès devant le juge puisque trempés dans des affaires déjà pendantes devant la justice de leur pays ». Pour certains Béninois, c’est le comble alors que pour d’autres, l’avocat, désormais ministre, est en phase avec la pratique habituelle dans le pays ; agir en accord avec les intérêts du moment.

Au temps fort de la gouvernance Yayi et en pleine opération de charme pour faire adhérer les Béninois au projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990, l’avocat et président de Alternative citoyenne, Joseph Djogbénou avait fièrement démontré qu’une virgule touchée dans la loi fondamentale conduit à une nouvelle République et qu’il fallait, à tout prix, éviter ce piège aux fins de barrer la voie aux « détracteurs » qui veulent réviser pour s’éterniser au pouvoir. Une campagne qui avait visiblement payé puisque le projet a été rejeté par les députés. Pour lui et pour nombre de Béninois en ce temps, c’était une victoire.

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Mais en début de ce mois de novembre 2019, avec sa casquette de président de la Cour constitutionnelle, Joseph Djogbénou déclare conformes les modifications apportées à la loi fondamentale bafouant ainsi tous ses principes d’antan à ce sujet. « En d’autres termes, c’est qu’il a ravalé ses vomissures », déclare Samuel, un observateur politique.

Le désormais premier citoyen de l’Etat béninois n’est pas aussi du reste. « Mon mandat sera un mandat de cinq (5) ans de transition. Je ferai donc un mandat unique et apporterai de modifications à la loi fondamentale afin d’insérer une telle disposition dans la Constitution du Bénin ». Ces propos sont ceux du candidat Patrice Talon au cours de la campagne pour les élections présidentielles de 2016. La fermeté dans son discours, l’engagement de rompre avec les pratiques habituelles et qui arrièrent le pays sur le plan économique, sa vision de la gouvernance des affaires de la cité et surtout son discours de « messie » ont séduit au premier tour plus de 22% des électeurs béninois. Pour les 65% qui l’ont porté au second tour au détriment de l’ancien premier ministre, Lionel Zinsou ; c’est que Patrice Talon incarne l’alternance crédible et le chemin vers l’instauration d’un mandat unique.

Mais il aurait fallu le deuxième échec de la tentative de la révision de la Constitution pour que le Président Patrice Talon change de langage et prononce la phrase désormais culte « j’aviserai ». Dans un entretien exclusif qu’il a accordé à France 24 et Rfi ce jeudi 7 novembre 2019, il a conditionné sa candidature pour les présidentielles de 2021 à trois facteurs essentiels. Il n’a pas ouvertement déclaré sa candidature certes, mais n’exclut nullement sa participation à cette élection. Du coup, Patrice Talon très catégorique sur le mandat unique reste désormais modéré et pourra « aviser » en son temps. D’ailleurs, il avait déjà exclu toute possibilité de mandat unique puisqu’avant la modification de la Constitution, il avait fait comprendre qu’il ne fallait pas toucher sous aucun prétexte, aux fondamentaux, c’est-à-dire, le nombre de mandats et la limitation d’âge.

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Cette façon des acteurs politiques de retourner leur veste fait douter les Béninois qui accordent peu de crédit à leurs propos et écrits. On aurait aimé un changement de cap avec la jeune génération, mais hélas, cette dernière suit les traces de la vieille classe qui peine toujours à rassurer l’opinion publique.

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