Bénin: le testament du Gl Kérékou révélé dans un récit imaginaire de Florent Couao-Zotti

L’écrivain Florent Couao-Zotti connu pour ses prises de position sur certains sujets de l’actualité, porte sa plume sur le Général Mathieu Kérékou. Loin de prendre une part active à la polémique suscitée par la démolition annoncée du domicile de l’ex-président, Florent Couazo-Zotti se livre plutôt à un autre exercice sur la vie du Gl Kérékou.

Il s’agit d’un récit imaginaire de quatre épisodes inspiré de certains faits réels sur « les enseignements de l’ex-grand K, ce qu’il dirait sur toutes ces années de règne, son parcours en tant que chef mais aussi en tant qu’humble citoyen ».

Le testament du Caméléon (épisode 1)

<<On dit de moi que j’ai enjambé la grande barrière de l’invisible. On dit que j’ai franchi cette frontière d’où l’on ne revient jamais. Pour parler militaire, j’ai cassé la pipe. Je ne sais à qui elle appartient, cette merde de pipe, mais on a dit qu’elle a été cassée. Et parce qu’il m’est impossible d’en ramasser les morceaux pour en reconstituer une en entier, je me suis retrouvé là où je suis, de l’autre côté, vous regardant comme je le fais en ce moment. A vrai dire, je m’emmerdais, fatigué de vous avoir vus et de vous avoir supportés pendant quarante ans !

Oh, ne pensez pas que vous me sortez par les pores, les narines, et même par les urines. Non, si vous êtes demeurés encore plus mauvais, encore plus bandits que lorsque je vous avais pris en main, c’est un peu également à cause de moi.

Moi, ai-je dit ? Enfin, presque. Puisque depuis mille-neuf-cents longtemps, j’ai décidé de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Et ce qui ne me regarde pas, c’est vous :oui, toi, le garçon en culottes, là-bas; puis, toi, la maman au dos carré-là ; puis, toi, la jolie-jolie qui me zyeute si coquettement ; puis, toi, le gentil pépé qui met la main dans son slip. Vous comprenez que je veux parler du peuple.

Question : si quelqu’un porte une culotte qui le sert, ça fait l’affaire de qui ? En principe, de personne, n’est-ce pas ? Mais, moi, j’en fais personnellement mon affaire.

Cet intérêt pour les talés-talés d’autrui vient de mon ADN ; je l’ai dans mes globules rouges. Et ça a commencé un beau jour, le jour où j’allais fêter mes trente-neuf saisons sèches. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Alors que j’étais avec une belle qui se pâmait dans mon lit, une bande de lascars était venue taper guidi-guidi à ma porte :

-Commandant Caméléon, Commandant, il y a trois tarés que nous avons décidés de virer.

J’ai demandé à la fille de garder son calme ; j’ai mis de la glace où il fallait et j’ai enroulé une serviette autour de ma taille.

-Vous voulez virer quels tarés, les gars et d’où ?

-Ce sont les tarés qui sont à la tête du pays, Commandant Caméléon. On veut mettre fin à la pagaille qu’ils organisent depuis l’indépendance.

Là-dessus, je n’ai plus hésité. J’ai demandé à la fille de revenir prendre ses gouttes d’eau quand tout serait fini et j’ai suivi mes gars. Oui, j’en avais après ces monstres qui bouffaient le pays et qui n’avaient à la bouche qu’un seul slogan « mangeons ensemble à la queue leu-leu ».

Manger à la queue leu-leu. Vous savez bien conjuguer le verbe « manger ensemble » ? Oui, manger, avaler comme des intestins, mais ensemble.Or, nos chers tarés organisaient la politique comme dans une classe de CM2 où l’on peut facilement conjuguer le verbe « manger » à toutes les personnes intelligentes.« Moi, je mange pendant deux ans ; toi, tu manges pendant deux ans ; lui, il mange pendant deux ans. Et nous mangerons ainsi ensemble pendant six ans. Puis, chacun recommencera jusqu’à ce que les dinosaures. Et si des baudets de jaloux ne sont pas contents, qu’ils viennent, on va leur foutre nos bottes dans le concombre ».

Avant d’être politiciens, ces gens-là étaient comme ça, kintchin-kintchin, sans os sur le corps et marchaient droit, comme…comme vous et moi. Mais quand a commencé la boustifaille, ils éprouvaient du mal à mettre les pieds, l’un devant l’autre. Parce qu’à force de manger de la bouche et du nez ; à force de manger de la tête et des pieds, ils avaient pris du poids et de la bonne graisse partout. Résultat, quand on est allé les arrêter, ils n’avaient plus de force pour courir. Certains de leurs collabos, en se hâtant, faisaient plus de bruits que les canons de chars. On les a pris, on les a virés. Allez, au gnouf ! Bande de nougrouinouilles!

Pour la première fois, je suis monté en haut. Tcha je suis, c’est-à-dire, Caméléon. On me connaissait comme Zorro, le justicier qui dégainait quand quelques goinfrés d’officiers brimaient les soldats au camp militaire de Ouidah. Mais dès que je suis monté en haut avec mes épaulettes barrées de trois petits traits, le peuple, oui, vous, chers bandits, vous m’avez découvert. A la tête de ce petit pays, vous avez vu un jeune, tout timide avec sa voix de grelot, le regard sec, vous dire qu’il ne lâchera pas l’affaire. D’ailleurs, où a-t-on vu, dans quelle forêt du monde a-t-on déjà surpris la branche d’un arbre se casser dans les branches du Caméléon. Gnonnas Pedro, le Dadjé national a justement consacré un tube pour me flatter.  » Atin ma non flé la gaman si, pipiri!!! »

C’est en ce moment que de jeunes excités, bardés de tous les diplômes de la terre, étaient venus me voir pour me dire « politiki san santo ! Mi gbi ! »

-Comment ?
-Politiki san santo…Mi gbi !

Et ils faisaient des gestes comme ça, comme s’ils labouraient la terre ou pilaient de l’igname. Je leur ai demandé c’est quoi vos « mi-gbi, mi-gbi » ? Ils m’ont dit :

-Camarade Président, dans le monde, il y a deux façons de diriger. La première, c’est exploiter le peuple. Il y a des gens qui sont pleins de vers de terre, c’est-à-dire, véreux qui utilisent la force du peuple pour s’enrichir. On parle de « capitalisme ».

Les types d’avant ont tellement exploité les travailleurs qu’il ne leur reste que la peau sur les fesses. Même les femmes qui ont, en cette partie de leurs anatomies, de bons matelas de chair à revendre, nos femmes, dis-je, ont perdu quatre-vingt-dix pour cent de leurs popotins. Le drame, c’est qu’elles ne font plus lever leurs maris et la politique de natalité s’en trouve menacée…
Il parlait bien, ce petit. Je l’ai applaudi jusqu’à jusqu’à…Mais il n’avait pas fini, le meilleur était à venir…

-Camarade Président, la deuxième façon de diriger, c’est sauver le peuple avec le système du « Marxisme-léninisme ».
-Marxi…quoi ?
-Marxisme-Léninisme. Ce sont deux types en Europe là-bas qui ont mis leurs têtes ensemble pour penser et produire une façon de gérer spéciale: le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Popopopopo : trois fois « peuple » dans une phrase aussi courte ? Quel français !

Du jour au lendemain, je suis devenu l’ami d’un grand barbu blanc qu’on appelle Marx et d’une chauve-souris nommée Lénine. Sur les murs, on les voyait. Nos dessinateurs reproduisaient leurs têtes comme si c’étaient des boules d’akassa. Moi-même, j’ai fini par apprendre à dessiner leurs visages. Comme ça :

D’abord : Marx. La tête, c’est une forêt vierge, donc, les herbes vont dans tous les sens. Tu fais katcha-katcha, puis tu fais un rond vers l’arrière. Parce que pour les photographes, ce type brossait sa forêt dans l’autre sens. Quand tu as fini, tu descends vers le sol, puis à gauche, puis à droite, puis en diagonale : tu brouissailles les traits partout. A la fin, tu obtiens ce qu’il y a de plus confus sous le menton d’un homme. Sa barbe. Exactement comme un nid d’oiseau. C’est donc Karl Marx.

Lénine suit après. Contrairement à Marx, lui, est un canari sans poil. Son crâne, un vrai champ dégarni, est accidenté sur deux côtés : un à l’arrière et un, juste après le front. Tu fais ça, puis tu attaques le visage. Là, sous le nez, tu fais une petite brousse qui s’ennuie comme Jacob à l’Etoile Rouge, puis tu allonges le menton d’un petit bouc. Voilà >> (À SUIVRE).

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